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Louhans-Cuiseaux, quand la Bresse ne respire plus

Par Evan Glomot et Mathieu Plasse
8 minutes

Club historique du football bressan, Louhans-Cuiseaux vit peut-être ses dernières heures. Relégué en Régional 1, plombé par des difficultés financières, le club voit s’éteindre la flamme qui l’avait porté jusqu’aux portes de l’élite dans les années 1990. Retour sur une épopée familiale et formatrice, aujourd’hui à l’agonie.

Louhans-Cuiseaux, quand la Bresse ne respire plus

À l’été 2014, le long-métrage Des lendemains qui chantent avec Laetitia Casta et Ramzy Bedia ne remplit pas les salles. À travers différents personnages, le film se veut une rétrospective du Parti socialiste. Léon Kandel, joué par Pio Marmaï, enchaîne les métiers au cours de ces deux décennies, notamment celui de journaliste. Envoyé par sa radio pour couvrir un match de Division 2, son personnage lâche une malicieuse réplique : « Je me gèle les miches en direct du Parc des sports de Bram ! » Une phrase que bon nombre de correspondants de presse ont sûrement sortie pendant des décennies, mais qui risque de ne plus être prononcée.

Son club résident, le Louhans-Cuiseaux Football Club, n’a pas réalisé une saison brillante dans son groupe de National 3, c’est peu de le dire. Aux côtés d’équipes franciliennes, auvergnates et bourguignonnes, le LCFC a officialisé sa relégation en Régional 1 au mois d’avril. Si cette escale au sixième échelon du football français n’est pas une première dans son histoire (déjà le cas en 2015-2016, NDLR), cette descente pourrait s’avérer fatale. Pour clôturer son exercice, Louhans accueillait Gueugnon, ce faux frère de Saône-et-Loire, lui aussi relégué après une saison cauchemardesque. Les deux se quitteront en bons amis avec un match nul (1-1), signe d’une saison complète sans la moindre victoire au stade de Bram. Un symbole fort, pour ce qui pourrait être le dernier match de l’histoire du club. C’est en tout cas ce que fixera le prochain passage devant la DNCG, après avoir prononcé un encadrement de la masse salariale en décembre.

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La place capitale du centre de formation

Les communes de Louhans et Cuiseaux, 8 000 âmes à elles deux, sont réputées pour leur marché vieux de 700 ans ou la volaille de Bresse. Pourtant, c’est la fusion du Club sportif louhannais entente et du Club sportif de Cuiseaux en 1970 qui va apporter à ce coin de Bourgogne un vrai coup de projecteur. Le club connaît son âge d’or dans le temps béni des années 1980 et 1990. Après un passage en D2, Louhans-Cuiseaux redescend en 1984-1985, plombé par le départ de Hugo Bargas, libéro argentin présent à la Coupe du monde 1974. « Sa mentalité de gagnant m’a marqué. Il chopait tous les ballons de la tête malgré son mètre 75 et finissait avant-centre quand on était mené », se souvient l’écrivain Bruno Paquelier, fidèle supporter du club. Cette période marque aussi un renouveau avec l’arrivée de René Le Lamer. Face à un effectif réduit, le technicien breton lance un centre de formation, soutenu par le mécène Jacky Duriez : « Il a laissé carte blanche aux techniciens et financé le projet », raconte l’ancien joueur du FC Nantes.

Beaucoup de clubs pros se déplaçaient pour venir voir ce qu’on faisait au niveau de la formation.

René le Lamer, bâtisseur du Clairefontaine rural

Cette école de foot naîtra en 1986, et verra passer des joueurs comme Alou Diarra, Guillaume Warmuz et Lionel Potillon. Un succès tel que le lycée Henri-Vincenot, en collaboration avec le centre, gagnera des compétitions étudiantes à l’échelle mondiale. « Beaucoup de clubs professionnels se déplaçaient pour venir voir ce qu’on faisait au niveau de la formation », se félicite encore le gourou de Louhans-Cuiseaux. L’équipe première va s’en retrouver bonifiée, et remontera en deuxième division en 1987, avec un duel mémorable contre Clermont-Ferrand, qui usait de gros renforts : « Ils avaient Serge Chiesa, qui restait un grand joueur même en fin de carrière. Avoir réussi à monter devant eux alors que personne ne s’y attendait, cela reste le plus beau moment de ma carrière. »

Encore un club qui est tombé après avoir croisé la route de Bruno Genesio.
Encore un club qui est tombé après avoir croisé la route de Bruno Genesio.

La machine est lancée, de quoi faire connaître Louhans-Cuiseaux sur le territoire français. À l’image de Guingamp ou d’Auxerre, le club saône-et-loirien va gagner cette réputation d’équipe capable de battre n’importe qui. Un statut qui atteindra son apogée en 1992, le petit Poucet se rapprochant d’une montée dans l’élite, comme le rappelle l’emblématique coach des Bressans : « On y a tellement cru, que la déception a pris le pas. Un vrai coup dur qui a terni le bonheur d’avoir terminé à cette quatrième place, qui ne nous emmenait pas en barrages. Il faut un certain temps pour s’en remettre. » Peut-être un peu trop, Louhans-Cuiseaux terminant à une 12e place plus que correcte la saison suivante, mais synonyme de relégation. Autrefois divisée en deux groupes, l’antichambre du football français, prompte à se professionnaliser un peu plus, trouvera un format plus traditionnel qui aura la peau de quatorze équipes, dont Louhans-Cuiseaux.

Philippe Risoli, manque d’ambition, et détournement de fonds

Après le départ de René Le Lamer en 1994, Louhans-Cuiseaux parviendra à revenir épisodiquement dans le monde professionnel. Une formation toujours productive et les débuts de Philippe Hinschberger sur le banc vont offrir d’autres coups d’éclat, comme ce quart de finale de Coupe de la Ligue 1997, après avoir battu le grand Nantes. Un exploit qui avait fait parler dans l’Hexagone. « Un de mes oncles était parti jouer au Juste Prix, il raconte qu’il vient de Louhans et Philippe Risoli sort “Louhans Cuiseaux, qui vient d’éliminer Nantes”. Preuve que ça avait marqué les esprits », précise Yannis, à l’époque pensionnaire d’Henri-Vincenot et se définissant aujourd’hui comme simple supporter.

Le synthétique n’a été posé que l’an dernier, on s’entraînait sur du stabilisé ou à une heure de route lorsque les terrains étaient inutilisables.

Antoine Larose, spécialisé dans l’herboristerie

Deux décennies plus tard, le club n’a jamais retrouvé son lustre d’antan, devenant un habitué discret du National. Un niveau honorable pour une petite commune, mais sans volonté de plus. « À Louhans, on vit dans une bulle. Guingamp n’est pas plus grand et a pu jouer en Ligue 1 grâce à ses ambitions », regrette Yannis. Cette routine prend fin en 2009 avec l’arrivée d’Alassane Sow. L’ancien joueur devenu homme d’affaires détourne en un an plusieurs centaines de milliers d’euros, creusant un trou comblé en urgence par le groupe Bigard. « Sans ça, le club aurait disparu. Les commerçants ne veulent plus s’investir vu les résultats », déplore Michel Sylvain, journaliste suiveur du club pendant plus de 40 ans. Deux relégations suivront, refroidissant durablement les soutiens financiers. Une équipe dans le dur économiquement, qui enchaîne deux relégations consécutives, ça a de quoi calmer les investisseurs.

Avec des finances fragiles, le club stagne entre National 2 et National 3, porté un temps par le local Antoine Larose, aujourd’hui pro à Annecy. Il se souvient des conditions précaires : « Louhans, ça a toujours été compliqué. Le synthétique n’a été posé que l’an dernier, on s’entraînait sur du stabilisé ou à une heure de route lorsque les terrains étaient inutilisables. » La situation empire après le Covid et une gestion hasardeuse. « En 2017, un coach a offert des salaires démesurés. Depuis, Bigard a divisé son soutien financier par deux », raconte l’ailier, bien avisé sur la gestion du club. Une spirale qui mènera à une relégation au niveau régional en trois ans.

« Louhans était un peu ma carte d’identité »

Quelques tentatives ont été faites pour sauver le club. Des économies salariales, une aide de la mairie, ou même une cagnotte en fin d’année, pour essayer de combler le trou de 127 000 euros. Le club n’en aura récolté que 2 500. Michel Sylvain faisant partie des donateurs les plus généreux : « Si 500 supporters mettaient 300 euros comme moi, le déficit serait épongé, mais c’est loin d’être le cas. Les gens n’ont pas répondu à la cagnotte, car ils ne veulent plus s’y investir… » Une véritable désertion, qui se ressent au stade de Bram (et non « Parc des sports de Bram », terme pourtant utilisé par tous aujourd’hui). Là où 3 000 spectateurs s’agglutinaient régulièrement pour voir leur équipe, difficile de dépasser le millier aujourd’hui. Et si l’avenir semble aussi flou, c’est aussi parce qu’un changement de présidence a été acté. Une transition qui rend les contacts avec les anciens dirigeants particulièrement difficiles, ce qui n’arrange rien dans ce contexte d’incertitude.

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La possible disparition de Louhans-Cuiseaux signerait la fin de deux histoires fortes : celle d’un club avec un ancrage centenaire, formateur et autrefois présent en Ligue 2, et celle du football bressan, enraciné pendant des décennies dans le paysage professionnel. « Louhans, c’était un peu ma carte d’identité. Quand je disais que je venais de Louhans, les gens comprenaient et disaient : “Ils étaient en Ligue 2 à un moment !” Aujourd’hui, plus personne ne connaît », regrette Yannis. Tandis que Bourg-Péronnas (dans l’Ain) survit, les clubs de Saône-et-Loire Louhans-Cuiseaux, Gueugnon ou même Montceau-les-Mines glissent vers le niveau régional, sans que personne ne déclenche l’alerte. « Un Bressan est humble, discret, il ne faut pas venir l’emmerder. Antoine Larose en est le symbole », résume l’écrivain Bruno Paquelier. L’intéressé ne contredit pas ce portrait : « Quand on vient de la Bresse, on se contente de ce qu’on a. Aucun regret. » Alors si un jour il fallait tout reconstruire, il ne serait pas surprenant de voir Louhans-Cuiseaux renaître comme le club a vécu : avec modestie et simplicité.

Le club de Louhans-Cuiseaux lance une cagnotte pour éviter de disparaître

Par Evan Glomot et Mathieu Plasse

Tous propos recueillis par EG et MP. Contactée, la direction du club n’a pas répondu à nos sollicitations.

Photo de couverture : Louhans-Cuiseaux FC.

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