Lloris/Mandanda : la guerre des goals n’a pas encore eu lieu…
Hugo Lloris et Steve Mandanda sont inséparables. Mercredi, on a cru les distinguer sur une plage de Marbella éclairée à la chandelle. Ce soir, ils se retrouvent pour ce tout sauf amical Nice-Marseille. Jeunes et déjà incontournables, Lloris 21 ans, Mandanda 22 ans, zappent la phase de maturation propre au gardien pour se positionner comme le futur très proche du poste en France. Un conseil : Landreau et Frey ont intérêt à bien le savourer cet Euro.
Raymond Domenech l’a bien compris, tant qu’on le chatouille sur l’intérêt d’inscrire Hugo Lloris ou Steve Mandanda sur son passeport pour la Suisse, on évite ces questions qui commencent à nous gratter.
Au choix : l’arthrose de Vieira, l’utilité de Malouda pour une grande compétition sportive qui ne soit pas le plongeon olympique à 10 mètres, les problèmes psychomoteurs de Henry quand le ballon s’élève ou encore l’existence d’un monde parallèle sans Thuram comme stoppeur.
La hiérarchie en Bleu
Dans l’organigramme du groupe France, le troisième gardien se situe, en ordre d’importance, juste derrière le bagagiste et une tête devant Gaël Givet.
Une fois la compétition enclenchée, le troisième gardien disparaît dans un anonymat rempli de matchs de décrassage contre les amateurs du coin, des gars bien sympas de prêter leur terrain pour l’entraînement.
Mais chez les gardiens, la hiérarchie a suspendu son temps. « Je ne changerai pas pour changer, pour faire jouer un petit jeune…La hiérarchie est claire pour le moment » . Faites passer le message, Raymond Domenech a validé son tiercé : 1) Martini 2) Roussey 3) Lama.
Faut pas charrier, il n’est pas payé pour préparer l’Euro 96 le Raymond. La jeunesse attendra donc. Devant M6, elle pourra toujours la ramener, et prétendre qu’elle se serait bien vue bloquer cette frappe incertaine de Florin Bratu.
Bref, on ne va pas tirer d’enseignements particuliers sur le potentiel international de Lloris et Mandanda en envoyant l’un d’eux remplir les bouteilles de Coupet fin juin. Et puis pour la Chimbonda, Domenech se garde Christophe Jallet en doublure de Sagnol.
Pour l’instant, Mandanda et Lloris profitent de cet état de grâce médiatique qui avait porté un temps des Revault, Letizi ou Porato jusqu’à la maison France ; trois très bons gardiens (enfin surtout les deux premiers cités) qui ne se sont jamais remis dans l’imaginaire collectif de leur premier trou d’air.
Privilège de la nouveauté, de Lloris et Mandanda, on se repasse surtout les arrêts miracles en boucle, préférant jeter un voile pudique sur d’éventuels errements. D’ailleurs, qui se souvient de cette sortie à l’aveugle de Mandanda sur le fantôme de Kluivert ?
Cette hype, ils la doivent autant à leurs performances – souvent énormes, il faut le reconnaître – qu’à ce besoin de se rassurer après avoir vu Landreau et Frey en Equipe de France. L’avenir leur tourne quelque peu le dos, le premier entame sa cinquième course au maintien, quand le second exige d’avancer tous les matchs des Bleus à 15 heures.
L’école française des gardiens que le monde est censé nous envier, mais où en fin de compte pas grand monde ne vient se servir, a sa vitrine qui fatigue ces dernier temps. Alors on projette sur les deux nouveaux. Toute la question les concernant sera de savoir s’ils intéresseront un grand club étranger.
Souvent annoncés sur le départ, Coupé, Ramé ou Landreau écument toujours la L1. Par définition, un gardien se vend peu ou mal. Les entraîneurs, qui sont souvent des anciens joueurs de champ, ne savent pas toujours les évaluer, les clubs refusent de trop investir sur eux, quand deux boulettes suffisent pour réduire la valeur marchande d’un gardien à celle de Richard Dutruel à la sortie du Barça.
Des postes à pourvoir
Pourtant, il suffit de jeter un coup d’œil sur l’âge des portiers chez pas mal de pointures européennes pour comprendre que des cages devraient bientôt se libérer. Van der Sar 37 ans à United, Kahn 38 au Bayern, Dida 34 au Milan, Coupet 35 à Lyon, soit autant de destinations envisageables pour Mandanda et LLoris à moyen terme.
Bien que plus jeune en L1, Mandanda garde une cote d’avance sur Lloris. Une histoire de pression plus forte au Vélodrome, qui convainc à moitié. Nice quatrième, la théorie de la défense porte de saloon prompte à faire briller le gardien, ne s’applique plus à Lloris.
Pour le jeune Niçois, à ce poste si particulier l’exposition ne diffère pas d’un club à l’autre. C’est ce qu’il expliquait à Libération il y a quelques semaines : « Si le gardien marseillais fait une erreur, on la verra à la télé toute la semaine, c’est un fait. Pour un gardien, une erreur, c’est un but. Vous pouvez jouer à Marseille, Paris-Saint-Germain ou Nice : c’est toujours un but. Il ne faut pas se laisser embrouiller par les regards extérieurs » .
Lloris et Mandanda sont d’abord des doués. Là où un Coupet s’est construit une carrière à la force des spécifiques en se taillant un physique, nos deux compères ont été livrés avec la panoplie intégrale : taille, détente, réflexes et technique.
Pour l’instant, on ne décèle pas vraiment un défaut majeur dans leur cuirasse. La relance au pied reste perfectible, mais rien de rédhibitoire. Difficile de les opposer, même dans le caractère, les deux ne donnant pas dans la tradition du dernier rempart volontiers mystique, voire carrément allumé.
Sans trop s’exprimer par la gueulante, Mandanda dégage un charisme palpable, alors que Lloris donne l’impression trompeuse d’un jeune madeliniste égaré chez les footeux. Pourtant, il suffit de lire la suite de cette interview accordée à Libération pour réaliser que le jeune homme effacé a tout compris sur ce qui distingue un grand gardien des autres : « Prenez Fabien Barthez, une légende du poste. A chacun de ses arrêts, vous vous dites : « C’est Barthez qui l’a fait, c’est le Grand Monsieur qui l’a fait. » Même si cet arrêt est techniquement similaire à des dizaines d’autres, il est différent parce que celui qui l’a réalisé est un homme à part. Dans cet arrêt, il y a le passé de Barthez, les échecs qui l’ont construit, l’expérience accumulée. C’est comme ça que je le vois » .
C’est aussi comme ça que l’on a envie de voir Lloris et Mandanda. Il faudra juste éviter de les envoyer en Russie ou en Ukraine pour leur bizutage chez les Bleus.
Alexandre Pedro
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