- C1
- J2
- Barça-PSG
Comment Luis Enrique a charmé les entraîneurs d’autres sports
Depuis le titre parisien en Ligue des champions, personne n’a peut-être plus incarné l’accomplissement du PSG que son entraîneur Luis Enrique. Si son travail a été salué par la majorité des observateurs du monde du foot, qu’en est-il des autres disciplines ? Discussions avec différents techniciens du monde du sport.

Le casting
- Jérôme Daret : ex-entraîneur de l’équipe de France de rugby à 7, champion olympique.
- Pascal Donnadieu : 37 ans à la tête de la JSF Nanterre, champion de France 2013, double médaillé olympique comme adjoint en équipe de France de basket
- Michaël Guigou : entraîneur de l’équipe de France de handball U17, triple champion olympique.
- Laurent Labit : ex-entraîneur des trois quarts du XV de France, deux fois champion de France comme entraîneur
- Marc Madiot : manager de la formation cycliste Groupama-FDJ.
Pensez-vous que Luis Enrique laissera une trace dans le sport français dans son ensemble ?
Daret : Un entraîneur qui gagne, comme il a gagné là, laissera forcément une trace. Mais la trace la plus indélébile qu’il va laisser, c’est celle qu’il a construite quand on n’est pas en haut de l’affiche. Comment transformer un groupe en équipe ? Il parle tout le temps de l’équipe, il a tout compris !
Donnadieu : On se doit, tous les techniciens des différents sports, de voir ce qui se passe à droite et à gauche et surtout de voir la manière dont ce type de coach amène son équipe au succès. Les ingrédients qu’il y met et surtout la manière de manager et de driver tout ça.
Il a mis sur la table ce qui est la chose la plus importante, il me semble, chez un manager : donner une part de lui-même.
Guigou : Pour certaines victoires, notamment en finale, tu retiens des personnalités. Basile Boli, tout le monde s’en souvient, par rapport à son but. Là, le 5-0 du PSG, c’est le collectif qui est mis en avant, plus que les individus. Donc peut-être que c’est le nom d’Enrique qui va rester. Ça va dépendre aussi de l’histoire qu’il va y avoir après. Dans le foot aujourd’hui, ça va très vite. Il suffit qu’ils se fassent éliminer, et dans six mois, il n’est plus là.
Madiot : C’est quelqu’un qui est habité par ce qu’il fait. C’est ce que j’ai ressenti quand je l’ai rencontré. Il a une volonté, un engagement, une détermination qui se ressent. On sent qu’il aime ce qu’il fait, qu’il est à fond et passionné.
Daret : Il a mis sur la table ce qui est la chose la plus importante, il me semble, chez un manager : donner une part de lui-même, fonctionner avec authenticité et être capable de mettre tout le monde sur les rails grâce à une conviction forte.
Comment résumer et s’approprier sa philosophie ?
Labit : Ce qui est intéressant, c’est que tout le monde change de poste et est partout sur le terrain. La polyvalence des joueurs crée le flou sur les défenses adverses et permet d’avoir une plus grande intelligence tactique, une compréhension du jeu par les 10 joueurs de champ sur les autres postes. J’ai essayé de le comparer avec le Stade toulousain chez nous, qui domine le rugby français et européen en s’appuyant sur un maximum de joueurs polyvalents. Pour moi, Luis Enrique a opéré une évolution tactique et stratégique la saison dernière, ce qui a perturbé beaucoup d’équipes rencontrées.
Donnadieu : Si on doit retenir quelque chose, c’est le fait d’instaurer une philosophie de jeu forte et d’y coller. Ce n’étaient pas un ou deux résultats mitigés en début de Ligue des champions qui lui ont fait changer de route, parce qu’il considérait qu’à partir du moment où il se procurait beaucoup d’occasions, il était dans la bonne voie.
Daret : C’est quelqu’un qui est tourné vers l’innovation, l’expertise. Il peut laisser cet héritage d’oser les choses. La difficulté quand on est entraîneur, c’est de convaincre, de faire adhérer les gens à votre vision.
Pensez-vous qu’il puisse devenir une influence, un modèle ? Même s’il ne vient pas de l’école française ?
Daret : Ce gars-là, il arrive d’Espagne, il a un parcours incroyable, il se pose en France et les premiers mots qu’il sort sont français. Donc, le gars il vous dit : « Je viens apprendre votre culture, je viens m’intégrer dans votre système et je vais apporter ma pierre à l’édifice. » Je suis convaincu qu’il y a des aspects identitaires qui sont importants, sur lesquels un coach se construit. Si vous devez transporter tout ça dans un autre contexte, et que vous arrivez en même temps à embarquer les gens avec vous, ça change tout.
Guigou : Il y a toujours des choses à apprendre, des choses intéressantes. Après, pour nous handballeurs, c’est difficile de comparer avec le foot. Rien que dans la relation avec les médias, ça concerne plutôt le sélectionneur, c’est très ciblé. Il y a très peu d’entraîneurs qui ont besoin d’avoir ce savoir-faire avec les médias.
Sa chance, c’est qu’il a avec lui des joueurs d’exception. Mais sa force, c’est d’avoir su les mettre tous au même niveau.
Labit : Je trouve ça inspirant. Aujourd’hui, le foot et le rugby, qui se ressemblent, ont beaucoup progressé ces dernières années sur le plan physique, sur le plan de la data ou des vidéos. Grâce à des personnages comme Luis Enrique, on revient à de la modernité et de la créativité sur le plan tactique et football, en fait.
Madiot : Sa chance, c’est qu’il a avec lui des joueurs d’exception. Mais sa force, c’est d’avoir su les mettre tous au même niveau et de leur avoir demandé de faire abstraction de leur cas personnel par rapport à la vie du groupe. Sa force est là, et la capacité qu’il a eue, ça a été de mettre tout le monde au même niveau pour aller dans cette direction-là.
Donnadieu : Ce type de coach a une forte identité, une forte philosophie, et il n’en déroge pas. Je pense aussi, et au foot ça doit être extrêmement dur, qu’il a sûrement réussi à convaincre les gens autour de lui qu’il lui fallait tel ou tel joueur pour pratiquer le jeu qu’il voulait mettre en place. Il faut une vraie force de caractère pour s’imposer dès la période de recrutement, pour dire : « Moi, je peux faire ça, ça et ça. Et pour ça, il me faut tel ou tel joueur. »
Guigou : Quand le résultat est là, tu ne peux pas dire qu’il n’a pas réussi son pari. Dans le reportage qui lui est consacré, il croyait aussi en certaines choses qui n’ont pas tout le temps marché. Il était d’ailleurs critiqué par rapport à ça, avec des changements de plans de dernière minute. Ça surprend un peu l’adversaire, mais ça peut aussi désorienter ses joueurs.
Daret : On est ni plus ni moins que dans la construction de l’état d’esprit. C’est ça, le vrai métier de l’entraîneur. Une équipe, c’est une vraie définition. Bien sûr qu’il y a des objectifs, bien sûr qu’il y a une organisation, tout le monde le sait. Je pense qu’il va bousculer un petit peu le schéma du foot. Le système de jeu, le petit artifice qu’on va sortir, pour moi, c’est 20% de la perf’. Le reste, c’est de l’humain. Observer les gens, les attitudes comportementales autour de soi… Par son positionnement, c’est le guide, le repère.
Donnadieu : Depuis gamin, je suis pour le FC Nantes. Aujourd’hui c’est dur, mais avant il y avait une école, une identité. Ils jouaient d’une certaine manière. Ça commençait aussi dans les équipes de jeunes. Dès les premières minutes d’une équipe comme Nantes, on savait à la manière de jouer que c’était Nantes. Ce que fait très bien Luis Enrique, c’est que bien sûr, il y a les aspects physiques, mais il y a surtout le fonds de jeu collectif. Et je trouve que c’est le virage qu’il a pris.
Est-ce qu’il n’est pas la preuve qu’il faut laisser du temps aux coachs ?
Daret : Il est patient. Mais il faut aussi avoir un staff, une direction et un club qui croient en vos capacités. Lui, visiblement, est capable de créer une atmosphère de confiance. Ce n’est pas neutre. Quand on vous laisse le temps, ça veut dire qu’on croit en vous. J’ai le sentiment aussi qu’il va chercher à transformer les personnes. Je pense qu’il a une connaissance fine de la psychologie humaine.
Madiot : Il est aussi arrivé là où il fallait quand il fallait, au bon moment. Il y a une question de timing. Peut-être que s’il était arrivé 5-6 ans plus tôt, ça aurait eu du mal à fonctionner. Là, toutes les planètes se sont alignées, et les convictions et le discours qu’il a proposés au PSG, c’est ce dont le club avait besoin.
Labit : Le temps, oui, mais il faut surtout être bien accompagné et aligné avec la direction du club. Et on l’a bien vu, Luis Enrique n’a pas hésité à féliciter le travail de Luis Campos. La saison d’avant, quand Paris perd en demi-finales contre Dortmund, ce qui était quand même une petite déception, il dit que l’année d’après, il sera encore plus fort. Tout le monde l’a pris pour un fou. Sur le temps, ils ont fini par construire une équipe. Avant, le PSG attaquait à dix, mais défendait souvent à sept. Pour gagner des compétitions aujourd’hui, on ne peut plus attaquer ou défendre si on n’est pas à dix.
Il a eu cette force de rester fidèle à ses principes malgré les pressions médiatiques. Il est resté dans son plan de jeu. Je crois qu’en cela, il se sentait rassuré.
Donnadieu : Déjà, il a eu cette force de rester fidèle à ses principes malgré les pressions médiatiques. Il est resté dans son plan de jeu. Je crois qu’en cela, il se sentait rassuré. Sur sa deuxième année, il a vraiment pris des joueurs qui collaient parfaitement à l’identité qu’il voulait mettre en place.
Guigou : Le fait d’être passé en mode outsider après être passé proche de l’élimination a grandement servi. Mentalement et psychologiquement, ça a pu aider et c’est peut-être ce qui a été décisif. En passant pas loin de toucher le fond, ça leur a permis de se reconstruire et d’accepter qu’ils aient des choses à travailler.
Daret : Il aime les gens, il aime ses joueurs, ça se sent. Et ce qui l’agace parfois dans les interviews, c’est un peu « l’injustice ». C’est-à-dire qu’on peut perdre un match, mais si on perd et qu’il y a des choses qui se transforment, des gens qui se révèlent, du talent qui est en train d’éclore, un système de jeu qui change et qui casse les codes, qui permet de dire aux gens « il faut oser »… C’est dans ce sens qu’il peut conforter le chemin de la victoire, qui demande de la patience.
Labit : C’est aussi inspirant pour nous, managers d’autres clubs, d’autres sports, de croire que quand on fait les choses comme il faut et quand on y croit, ça paye.
Si vous deviez garder une chose de Luis Enrique ? Ou puiser une source d’inspiration ?
Daret : J’aimerais bien prendre son côté un peu sanguin de temps en temps. Ce que j’aime bien, c’est qu’il souffle le chaud et le froid, et il met des petites fléchettes là où il faut les mettre comme il faut. Il a vraiment cette capacité pour amener le déséquilibre à un endroit pour se solidifier ailleurs. Je le trouve brillant. Il a une histoire à raconter. On ne la connaît pas, il ne la donne pas, il déroule la bobine. C’est un écrivain, un artiste, un artisan. C’est génial !
Donnadieu : Ce serait sa faculté à rester fidèle à sa philosophie, sans se soucier de tout ce qui se passe à côté, les médias, les résultats. Il est resté fidèle à ses principes en étant sûr de ses convictions. Pour les coachs, c’est important de se remettre en question, mais il faut trouver le juste milieu entre se remettre en question et tout changer au gré d’une défaite ou d’une victoire.
Madiot : J’ai vu la salle où il faisait sa causerie. Tout a été pensé pour que tout le monde soit au même niveau d’écoute. Ça, c’est quand même un truc assez impressionnant et assez frappant. Nous, on n’a pas ça. On est dans un bus, on n’a pas les mêmes moyens. On est dans un schéma différent. On est moins nombreux, déjà. Mais quand j’ai visité les locaux avec lui, on voit que tout est pensé pour aller dans le sens équipe et collectif. Ça, c’est clair.
Guigou : Ce que je retiens de Luis Enrique, et qui est aussi mon leitmotiv quand j’entraîne, c’est qu’un entraîneur doit être entraînant. Et lui, je suppose qu’il est entraînant pour son staff, pour ses joueurs. Je n’assiste pas aux séances, mais tu te doutes qu’avec son caractère, c’est quelqu’un qui est entraînant et ça fait partie des qualités ultra importantes pour un coach. Il est passionné, il a l’air d’être travailleur. Il réunit beaucoup d’éléments qui font que les joueurs ont envie de l’accompagner.
Labit : Ce qui m’inspire chez lui, au-delà de ses grandes compétences, qualités de manager, d’entraîneur, c’est de voir la passion qui transpire. Quand on le voit parler avec ses joueurs, à l’entraînement, en match, en conf de presse, etc. On sent toujours le manager ou le coach, l’éducateur qui est passionné par le foot, quoi. Et c’est ce qu’il nous a encore démontré. Athlétiquement, tout le monde sait préparer des équipes aujourd’hui, avec les datas, etc., mais il fait la différence sur ce qu’il aime le plus, c’est le foot.
Barça - PSG : dernières places pour la soirée So Foot !Propos recueillis par Julien Faure