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Les dessous de la Lingerie Football League

Officiellement lancée le 23 décembre dernier à Manchester, la Lingerie Football League fait beaucoup parler d'elle outre-Manche. Créée avec un but précis – pointer du doigt les inégalités homme/femme dans le football et les combattre – elle est aujourd'hui accusée de sexisme et de contre-productivité.
À l’évocation du mot « lingerie » , que même les novices en anglais peuvent traduire assez facilement, beaucoup d’oreilles deviennent plus attentives. Oui, quelque part en Angleterre, des femmes jouent au football en sous-vêtements. Mais elles ne le font pas pour permettre à quelques curieux de se rincer l’œil. Bien au contraire, elles le font pour défendre une cause et parce qu’elles sont toutes intimement persuadées que personne ne devrait avoir le droit de les en empêcher. Lorsque Gemma Hughes, une jeune femme de Manchester de seulement 23 ans, a lancé la Lingerie Football League, elle ne s’attendait pas à un tel succès. Elle s’attendait, en revanche, à devoir faire face à de nombreuses critiques. Mais elle affirme aujourd’hui être prête à les affronter, chacune d’entre elles. Uniquement guidée par sa foi dans son grand projet, elle explique simplement et sans détour comment une telle idée lui est venue à l’esprit. Ambitieuse, elle espère qu’à l’avenir, son initiative fera évoluer, ne serait-ce qu’un peu, les mœurs du football anglais.
Sexy pour la bonne cause
« J’ai toujours été fan de football. Je suis de Wigan, et mes meilleurs souvenirs d’enfance sont au stade, avec ma famille et ma part de tarte » , raconte Gemma Hughes, blogueuse lingerie et fondatrice de la LFL. « En Angleterre comme ailleurs, les footballeurs sont mieux payés que leurs homologues féminines. Pourquoi ? Parce que le football féminin manque de publicité, d’investisseur et de couverture médiatique. » Choquée par une parité inexistante dans le monde du football, et inspirée par la Lingerie Football League américaine (ligue de football américaine, ndlr), Gemma a décidé d’investir toutes ses économies dans ce grand projet. « Je me suis dit que c’était le moment de booster le football féminin, de le faire passer à la télévision, de lui apporter un nouveau public, de faire parler de lui » , explique-t-elle, pleine d’entrain. Le but à long terme est aussi simple qu’ambitieux : révolutionner le football féminin en Grande-Bretagne. « Je suis une activiste, je ne pouvais pas rester là les bras croisés. »
Cette ligue, assure Gemma Hughes, est aussi un exutoire nécessaire pour de nombreuses femmes encore entravées par le poids des préjugés. « Les filles avec qui je joue pratiquaient le football avant, mais elles étaient systématiquement harcelées, traitées de garçons manqués ou de lesbiennes » , raconte-t-elle, amère. Au-delà de la parité qu’elle rêve de voir s’imposer, elle veut aussi créer un football vraiment féminin. « Je veux casser ces barrières. Non, le football n’est pas un sport de garçons. Nous ne sommes pas douces et faibles, nous nous entraînons dur, nous sommes dévouées ! » Ce qui embête Gemma, entre autres choses, c’est que le football féminin est actuellement basé sur les codes du football masculin, à commencer par les codes vestimentaires. « Pourquoi ne pourrait-on pas jouer au football comme on le souhaite ? Pourquoi ne pourrait-on pas jouer au football dans une tenue féminine ? » Bien évidemment, le terme lingerie ne désigne pas ici des porte-jarretelles en dentelle, mais simplement des brassières et des shorts moulants.
Des débuts remarqués et controversés
Si le championnat ne débutera qu’au mois de mars avec huit équipes, la LFL a déjà entamé sa tournée médiatique. Le 23 décembre dernier, Gemma et ses amies disputaient un match à Manchester, après une présentation dans l’hôtel détenu par Gary Neville, Phil Neville, Ryan Giggs, Paul Scholes et Nicky Butt. « Nous continuerons d’organiser ce genre d’événements jusqu’en mars. Les buts sont simples : dénicher des sponsors, faire parler de nous et accueillir de nouvelles femmes » , détaille la fondatrice. Une première qui a fait grand bruit outre-Manche, après que Tony Farmer, la figure forte de l’équipe féminine de Chelsea, a lancé une pétition pour faire annuler l’événement, accusant la LFL de promouvoir le sexisme et de faire reculer la cause des femmes dans le football de 25 ans. « C’est une réaction à laquelle nous nous attendions. Mais si vous réfléchissez, on ne promeut absolument pas des valeurs sexistes. Tout ce que nous voulons, c’est que les femmes jouent au football tout en restant des femmes. Nous donnons au football féminin sa propre apparence esthétique » , se défend la jeune femme derrière l’idée de la Lingerie Football League. « Au tennis, les femmes ne portent pas les tenues des hommes, si ? »
Certes, les critiques à l’encontre de la LFL ne se tairont pas du jour au lendemain, et il est certain que Gemma Hughes devra faire face à d’autres pétitions, mais elle s’interdit formellement de baisser les bras. « Deux équipes basées à Londres viennent de rejoindre la LFL. Je continue à démarcher les femmes dans tout le pays pour les inviter à nous rejoindre » , explique-t-elle, ravie et déterminée. Bien au-delà du football, c’est à un grand problème sociétal que s’attaque la jeune mancunienne : le problème du genre, qui agite toutes les sociétés occidentales depuis quelques années. Un problème dont elle mesure pleinement l’immensité et la complexité, sans en être effrayée pour autant. « Pourquoi devrait-on laisser la société expliquer aux filles que le football est un sport réservé aux garçons, aux garçons manqués ou aux lesbiennes ? La Lingerie Football League va faire changer tout ça, et nous allons devenir des modèles pour les filles de tout le pays. »
Par Gabriel Cnudde