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Les conseils tactiques extérieurs : nouvelle lubie ou aide précieuse pour les footballeurs ?
Après les chefs cuisiniers, les préparateurs physiques et les coachs mentaux, le cercle des joueurs professionnels s’est encore agrandi pour laisser place aux conseils tactiques extérieurs. Si leur présence ne date pas d’hier, notamment dans les entourages des plus grandes stars, le phénomène se popularise, même en Ligue 1.

Il est désormais loin le temps où les footballeurs buvaient essentiellement les paroles de leurs entraîneurs respectifs. Le football s’est progressivement individualisé et le joueur est devenu un produit dont il faut tirer le maximum de profit. Conséquence, certains footballeurs ne se contentent plus des analyses tactiques du staff de leur équipe, mais font appel à des conseillers extérieurs. Comment cela fonctionne, concrètement ?
Effet de mode ou sens de l’évolution ?
« Au début, comme beaucoup de joueurs, je n’étais pas emballé par l’idée. Je pensais que c’était une perte de temps. Mais une fois que j’ai testé, j’ai été convaincu des bénéfices que ça allait m’apporter », rejoue Bradley Locko, client d’une société spécialisée dans l’analyse du jeu et des données pour les joueurs. Mis en relation avec Neurotactic par son cousin, le latéral gauche du Stade brestois utilise ce service depuis près de trois ans, et il ne regrette pas une seconde ce choix. « J’ai énormément progressé, assure le vice-champion olympique 2024. Cela m’a permis de mieux comprendre quelle était la meilleure zone où centrer. Je sens également que je suis mieux positionné dans notre ligne de quatre derrière, mais aussi dans mon placement offensivement. Et je suis plus attentif au positionnement de mon corps. »
Cette aide extérieure est exhibée sur les réseaux sociaux par plusieurs joueurs, comme Leny Yoro (Manchester United), Jonathan Bamba (Chicago Fire) ou encore Jaouen Hadjam (Young Boys). Démarché, l’agent Nicolas Dieuze a constaté la multiplication de ces offres : « Je vois bien que c’est quelque chose qui commence à être de plus en plus utilisé. La personne qui nous a contactés est passée de cinq à une vingtaine de joueurs en peu de temps, souffle l’ancien milieu défensif de Toulouse. Je trouve personnellement que ça peut être intéressant de le faire, mais tout le monde n’a pas la même sensibilité par rapport à cela. »
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Certains joueurs ne veulent pas que notre collaboration soit rendue publique.
C’est le cas d’Olivier Dall’Oglio. Encore entraîneur de Saint-Étienne l’hiver dernier, le technicien n’est pas pleinement convaincu des bénéfices de ce phénomène. Selon lui, le plus problématique, c’est surtout le manque de transparence : « Les staffs, et surtout les entraîneurs, sont souvent les derniers à être au courant parce que le joueur ne va pas le crier sur les toits. Il y en a très peu qui avouent ce genre de choses parce qu’ils savent que cela peut être délicat. » Un constat confirmé par Hassan Kaba, cofondateur de Neurotactic : « Aujourd’hui, on travaille avec 21 joueurs dans les cinq grands championnats. Après, pour certains, on le fait de manière officieuse, parce qu’ils ne veulent pas que ce soit rendu public. » Contrairement à un cuisinier, un analyste tactique peut être contesté par un club, notamment sa crédibilité. Au point d’être considéré comme un faux allié. « Souvent, le problème, c’est que l’on n’est jamais certain de la qualité de ces personnes. On ne sait pas toujours qui est derrière, pointe Dall’Oglio. À l’époque, on avait mis en garde les joueurs sur l’utilisation des préparateurs physiques individuels, mais cela n’a servi à rien, ça s’est démocratisé et c’est exactement ce qui est en train de se produire avec les analystes tactiques individuels. »
Pour le cas de Neurotactic, Hassan n’a pas baigné dans le monde du ballon rond, que ce soit sur le terrain ou dans un staff, n’a pas non plus suivi de formation, mais se décrit comme « un mordu de foot et de tactique » qui apprend sur le tas, notamment grâce à de nombreuses lectures et des matchs visionnés à la pelle. À ses yeux, seuls les résultats comptent. « La chance que l’on a eue, c’est de commencer tout de suite avec des bons joueurs. C’est eux tes diplômes, martèle l’ancien analyste de l’US Lusitanos Saint-Maur. Lors de notre première saison de collaboration, Bradley (Locko, NDLR), par exemple, a figuré dans l’équipe type de la Ligue 1, donc cela nous apporte de la crédibilité tout de suite. » Dans ce genre de cas, le joueur est le seul maître à bord. C’est à lui de jauger l’influence que ces cours de tableau noir 2.0 ont sur son jeu et d’analyser ses progrès pour décider si ce travail supplémentaire, dont la séance ne dure généralement pas plus de 30 minutes, est fructueux ou non.
La collaboration comme seule solution
L’une des principales craintes pour les entraîneurs est que les consignes tactiques données par ces analystes individuels soient en contradiction avec les leurs, ou pire, que celles-ci apportent de la confusion dans l’esprit des footballeurs. Surtout qu’il est impossible pour les clubs d’interdire ce type d’usage, puisque ce sont des initiatives personnelles. Face à cette problématique, la seule issue est la coopération pour l’ancien entraîneur des Ty-Zefs : « On est obligé de travailler avec ces aides extérieures pour adapter nos séances, notamment pour la préparation physique ou le travail vidéo. On est partagé entre la collaboration et la mise en garde aux joueurs. »
Éric Roy est directement venu me trouver pour parler de ces conseils extérieurs. Au départ, j’avais peur qu’il m’embrouille.
C’est d’ailleurs le choix qu’a fait le Stade brestois, en entrant directement en contact avec l’entourage de Locko en ce début de saison pour se mettre d’accord sur les séquences à décortiquer et éviter les doublons. « Éric Roy est directement venu me trouver pour parler de ces conseils extérieurs. Au départ, j’avais peur qu’il m’embrouille, mais dans sa démarche, il a voulu comprendre comment cela fonctionnait et ce que ça pouvait m’apporter, rejoue le numéro 2 des Pirates, un poil rassuré. Après notre discussion, il était content pour moi et a demandé de le mettre en relation avec eux. Désormais, les deux travaillent main dans la main. Le staff est conscient que cela peut tout autant leur apporter qu’à moi. » Avec la progression et la valeur marchande en guise de boussole, l’idée pour les différentes parties est de privilégier le win-win. Face à l’étendue du phénomène, les clubs vont peut-être devoir trouver un juste milieu et le moyen de collaborer en bonne intelligence avec ces conseils extérieurs. Une nouvelle manière de s’adapter à l’époque.
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Tous propos recueillis par TM