L’écriture à la nantaise
Si le FC Nantes a été à sa grande époque le dépositaire d’une certaine façon de jouer juste, François Bégaudeau nous prouve à sa façon que l’on peut écrire sur la vie et le football avec justesse.
Fragments d’un discours « footmoureux » .
Du côté de chez foot. A propos de l’adaptation théâtrale du roman « Jouer juste » de François Bégaudeau.
Ce nantais né en 1971, ce n’est pas nous qui l’écrivons, mais c’est ainsi que se présente l’auteur sur ses quatrièmes de couverture, nous enchantait déjà en septembre 2003 par la magie de son livre « Jouer juste » (Editions Verticales).
Les plus anciens se souviennent peut-être encore des débuts d’un certain François Ramone (en hommage cela va sans dire au groupe les Ramones) du temps où il entamait un travail de journaliste aux Cahiers du cinéma, et où l’on pressentait que l’entrée dans la carrière de cet agrégé de lettres, professeur dans un collège parisien du XIXème arrondissement, appellerait d’autres succès. Le texte « Jouer juste » est aujourd’hui porté sur les planches du théâtre parisien le Lucernaire (représentations du 4 janvier au 25 février 2006).
Crée en mars 2005 dans sa forme théâtrale à l’occasion du festival « Solo’pipôts » à Boulogne-sur-Mer, puis repris pendant le festival off d’Avignon 2005, « Jouer juste » évoque le monologue d’un entraîneur de football, un soir de finale de coupe d’Europe, pendant la pause qui précède les prolongations.
Mettre en scène le monologue d’un entraîneur et le porter sur une scène relevait a priori de la gageure. Isabelle Duprez, à la mise en scène, et Régis Bourgade, comme interprète, transforment l’essai. Le court et dense récit de 93 pages, sans titre, chapitre, ni même paragraphe, mais uniquement ponctué par des virgules et quelques points trouve ici sur la petite scène du Lucernaire une autre respiration. L’essentiel est restitué.
Réduite à la durée d’une heure quinze minutes, la pièce conserve le mélange narratif du texte d’origine, soit deux discours tenus par le narrateur. D’une part, un discours sur le football. D’autre part, la confession d’un amoureux. Ce qui lie cet apologue (petite fable visant à illustrer une leçon de morale), c’est la technique. Pour l’entraîneur, qu’il s’agisse de son équipe ou de sa Julie, l’essentiel tient dans la mécanique, l’apprentissage du geste juste. François Bégaudeau déclarait lors de la parution de son texte que son personnage « n’a pas envie de gagner à n’importe quel prix. S’il doit réussir une histoire d’amour sur des bases fusionnelles débilitantes, alors il préfère perdre » .
Que ce soit le jeu ou l’amour, l’essentiel est ici traduit. L’amour juste que cautionne le narrateur est « l’amour qui n’est ni dans la folie ni dans la furie » (François Bégaudeau – interview donnée au site internet fluctuat.net). Et il en va de même pour le jeu. Tout se travaille. Rien ne s’improvise. Le laisser-aller doit être combattu (le discours sur la prohibition des tacles est exemplaire).
L’implication réclamée par le personnage de François Bégaudeau est en permanence placée sous les auspices d’un discours exalté. Rationnel dans un premier temps, il laissera la place au dérapage. Ce qui intéresse François Bégaudeau « c’est la folie de la raison, de la rationalité » quitte à grossir, selon ses propres termes, « les traits staliniens » de son caractère (propos donnés à Jacques Morice dans Télérama n°2801, septembre 2003).
La beauté du geste prendra alors chez Bégaudeau des accès de fièvre, de folie furieuse. Le roman laissait comme souvenir l’angoisse de l’entraîneur au moment de la rupture amoureuse. La pièce laisse le même goût et propose aux spectateurs un éclairage du texte au sens propre du terme par le jeu de la mise en scène. De la lumière à l’ombre et de l’ombre à la lumière.
Le spectacle s’ouvre sur le vestiaire encore baigné d’une intense clarté dans lequel se présente à ses joueurs l’entraîneur en costume cravate. La lumière diminuera laissant le récitant entre les murs de ses obsessions, de cette justesse qui l’obnubile, de la folie qui s’est emparée de lui. C’est dans ce clair-obscur que s’achèvera le parcours de cet entraîneur, assis sur son banc, dont les traits se détacheront dans la pénombre comme une statue du commandeur. La lumière jaillira une dernière fois. Plus rien ne sera comme avant. Le souvenir sera naturellement amer.
Même si ce n’est pas le propos, François Bégaudeau apportera également, bien que l’auteur s’en défende, une critique du football, symbole des défauts du capitalisme : « (…) Dans un peu plus d’une demi-heure nous sortirons du terrain et nous ne serons pas champions d’Europe, j’en vois qui pleurent et sans doute je ne devrais pas dire des choses pareilles mais je les dis parce que peu doit nous importer tout cela, tout cela n’est pas pour nous, tout cela est un truc inventé par et pour eux, inutile de le briguer car ils veulent tout et l’auront et se le partageront pour mieux se le disputer ou l’inverse, récemment ils ont franchi une étape sur cette voie en se fédérant sous le nom de club Europe, douze équipes auto-désignées pour s’affronter sans dégâts, ils veulent l’aventure sans les impondérables, la concurrence sans la défaite et bientôt ils auront ce qu’ils veulent, bientôt ils ne joueront plus qu’entre eux et rien n’aura jamais vraiment changé, au fond ils n’ont jamais joué qu’entre eux (…) » .
François Bégaudeau s’adresse à notre intelligence et non à nos émotions. François Bégaudeau est rare. Il n’en est que forcément plus beau. Bégaudeau est magique…
Jean-François BORNE
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