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Amad Diallo : aux frontières du réel
Meilleur joueur de Manchester United cette saison, Amad Diallo est désormais, à 22 ans, bien installé en Angleterre. Mais cette stabilité n’a pas toujours été sienne : parti à 12 ans de chez lui à Abidjan pour percer dans le foot en Italie, il s’est retrouvé au cœur d’un micmac administratif et cité dans une affaire de trafic de joueurs mineurs.

En période hivernale, il y a des gestes qui sauvent. Rúben Amorim peut en témoigner. Cela peut être par exemple : lancer un pressing lancé dans le bon tempo sur une passe en retrait foireuse à la 86e alors que l’on est mené d’un petit but lors d’un derby mancunien, opérer une subtile inclinaison du bassin alors que le défenseur incriminé revient comme un bourrin, obtenir un penalty salvateur et donc éviter à son coach une troisième défaite de rang pour sa cinquième sortie en championnat. Ou encore, dans le même match, enrhumer Ederson d’un sombrero avant de finir tranquillement dans le but vide. On est le 15 décembre, et sur les coups de 19h30, Amad Diallo vient de sacrément rafraîchir l’ambiance à l’Etihad Stadium.
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Sauver les miches de son coach, l’ailier ivoirien en a fait sa spécialité ces dernières semaines. Quelques semaines plus tard, United est bien parti pour connaître une cinquième déconvenue consécutive, qui plus est chez son autre ennemi héréditaire, Liverpool ? C’est encore lui qui sort du bois. United est malmené à la maison par la lanterne rouge ? Triplé dans le money time. De quoi s’imposer comme le meilleur buteur et l’une des rares satisfactions cette saison au sein de « la pire équipe de l’histoire de Manchester United » – dixit Amorim himself. Et accessoirement de justifier les 40 patates (dont 15 de bonus) posées à l’hiver 2021 sur un minot de 18 piges qui facturait tout juste 40 petites minutes de jeu en Serie A.
Recruté par Boca à douze ans
Un transfert précoce qui n’est pourtant pas une première pour l’attaquant, parti de son pays à 12 ans en 2014 pour rejoindre l’Italie. Accompagné d’un certain Hamed Junior Traoré, de deux ans son aîné et aujourd’hui gâchette providentielle du côté de l’AJA prêtée par Bournemouth, direction Barco et ses 2665 âmes, au fin fond de l’Émilie-Romagne. En guise de décor, une église, quelques maisons et un stade de foot en lisière des champs, des vignes et des bois. Un décor de carte postale, mais qui ressemble surtout au début d’une aventure pour les deux petits ivoiriens. « Ils sont arrivés au début du mois d’octobre, avec pas grand-chose d’autre que ce qu’ils avaient sur le dos. On leur a donné de bonnes chaussures, des vêtements chauds, on les a habillés avec les équipements du club », se souvient Enzo Guerri, le président du club de Boca Barco.

Ils sont rapidement rejoints par deux autres espoirs venus de Côte d’Ivoire, amenés dans le coin par un certain Fabrizio Gilioli, éleveur de labrador de son état, qui se présente comme un « ami de la famille ». Intermédiaire privilégié de la Leader Football Académie d’Abidjan, connue pour avoir envoyé Éric Bailly à l’Espanyol Barcelone en 2013, c’est lui qui organise la filière, fait jouer ses contacts sur place pour amener les enfants dans sa campagne.
Lui donner la balle, c’était comme la mettre à la banque : tu savais que tu ne la perdrais pas.
Le père de Cris Gilioli, une centaine de matchs en Serie B et aujourd’hui coach des U18 à Sassuolo, a eu le nez creux. Peu après l’arrivée d’Amad et Hamed Junior, Guerri observe « les scouts des plus grandes équipes d’Italie faire la queue pour venir les voir jouer ». « Lui donner la balle, c’était comme la mettre à la banque : tu savais que tu ne la perdrais pas », image Guerri. « Amad était parti faire des tests à la Juventus. Après 10 minutes d’entraînement, la Juve me rappelle en me disant qu’il doit venir jouer chez eux. » Le gamin visite les installations, prend la pose aux côtés de Paul Pogba, qui lui souhaite déjà la bienvenue… Mais c’est finalement l’Atalanta qui rafle la mise, et recrute en prime celle qui se présente comme la mère d’Amad. « C’est une pratique qui assez répandue parmi les clubs européens : au-delà de transférer le gamin de moins de 16 ans, ils proposent un emploi fictif aux parents. Si le parent obtient un emploi légalement au sein du club, le fils encore mineur a le droit d’y être transféré, explique Barthélémy Gaillard, coauteur du livre Magique Système : l’esclavage moderne des footballeurs africains. Il y a plein de petites tricheries, d’ajustements comme cela qui s’opèrent » Hamed Junior, moins clinquant balle au pied, part lui vers Empoli, accompagné de Muhamed Tehe Olawale, troisième des quatre larrons arrivés à l’automne 2014.

Bébé Éléphant et grand manitou
Fin janvier 2021. Recruté à prix d’or par United, Amad est envoyé se faire les dents un peu plus au nord, à Glasgow. Ses valises tout juste posées, il claque pour sa première sous le maillot des Rangers. La joie est de courte durée : quelques jours plus tard, la FIGC, la Fédé italienne, le met à l’amende. 42 000 euros et une culpabilité établie par l’instance dans la falsification de ses papiers d’identité qui lui avaient permis de rejoindre l’Italie, encore mineur. En un tour de passe-passe, Amad était devenu le frère de Hamed Junior Traoré, et le fils de Hamed Mamadou Traoré, président et fondateur de la Leader Foot Académie où il tapait le ballon de ses 8 à 12 ans à Abidjan.
Les joueurs étaient au courant de tout, ils ont mené une vie normale avec leurs faux parents.
Une manière de dribbler la législation italienne, et de permettre à la femme du président de faire venir les deux espoirs abidjanais en Émilie-Romagne. Le système est révélé par le sulfureux agent sicilien Giovanni Damiano Drago, coutumier du fait, lui qui avait déjà fait venir un jeune de la Leader Foot Académie en Italie en modifiant son âge et en lui trouvant un père de substitution pour lui permettre de rejoindre les rangs de l’Inter Milan. Accusé d’être le grand manitou d’un trafic de footballeurs mineurs entre la Côte d’Ivoire et l’Italie dans le cadre de l’opération dite « Bebé Éléphant » et condamné pour cela, Drago vend la mèche pour obtenir une peine plus légère : Amad n’a rien du fils de Traoré, et Hamed n’est au mieux que le rejeton de son cousin.
Traoré, le président de la Leader Foot Académie, ne veut plus entendre parler de l’Italie. Il ne décroche pas son téléphone si c’est pour parler d’Amad. Quand The Athletic est venu sonner à sa porte pour lui parler du prodige, il a affirmé l’avoir traité « comme son fils », lui apportant « les meilleures conditions et tout le support » nécessaire à son développement. « Ce n’était pas exactement du trafic d’êtres humains », reconnaissait un enquêteur au micro du service sport du New York Times. « Les joueurs étaient au courant de tout, ils ont mené une vie normale avec leurs faux parents », loin de toute maltraitance. De l’histoire désormais ancienne, d’autant plus qu’Amad ne devrait plus changer de continent ni de pays de sitôt : Manchester vient de verrouiller son nouveau sauveur attitré au moins jusqu’en 2030. De quoi lui laisser le temps de caler quelques autres sombreros dans le Fergie Time, indubitablement.
Par Baptiste Brenot et Benjamin Gaillardin-Claeys
Propos de Enzo Guerri recueillis par BGC.
Contactés, Hamed Mamadou Traoré et Fabrizio Gilioli n’ont pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication.