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Le monde de Carlos Tévez

Par Markus Kaufmann, à Santiago du Chili
Le monde de Carlos Tévez

C'est un conte de géographie, de football et de sentiments. L'histoire d'une enfance, d'un vécu et surtout d'un regard. Celui que pose Carlos Tévez sur le football européen, son travail et sur Boca Juniors, sa vie.

Durant de longs après-midi des années 90, Ramon Maddoni baladait sa voiture du domicile de Carlitos Tévez au Club Social Parque. Il était son second père, et entre deux feux rouges au sud-ouest de Buenos Aires, il répétait parfois au petit Carlitos qu’un jour, il ferait partie des cinq meilleurs joueurs au monde. « Il explosait de rire à chaque fois » , raconte-t-il aujourd’hui dans un café glacier de son quartier de Villa del Parque, habillé d’un survêtement de l’équipe de France qui date d’une visite à Clairefontaine avec Domenech et Jacquet. Puis, alors que Tévez ne vivait que « pour le foot et la cumbia » , la vie avança et l’insouciance laissa place aux choix.

« Un jour, en 1996, je lui avais parlé de l’intérêt d’Argentinos Juniors, et il avait refusé catégoriquement. » À cette époque, le centre de formation d’Argentinos est encore le plus prestigieux du pays, ayant déjà sorti Maradona, Batista, Redondo et couvant alors Riquelme, Cambiasso, Biglia, Sorín ou encore Pisculichi. Mais peu importe. « Il ne voulait pas en entendre parler » , assure Maddoni avant de reprendre son récit : « Quelques mois plus tard, je suis parti travailler pour Boca. Je suis revenu à la charge et il m’a dit avant de m’écouter« non, Ramon, non ! » Ensuite, je lui ai dit que c’était pour jouer pour Boca. Son visage s’est éclairci, il a dit oui tout de suite. Il était déjà complètement fanatique. » C’était il y a plus de quinze ans. Et Tévez laissait déjà ses sentiments bosteros guider sa carrière.

Les interrogations, vues d’Europe

L’intrigue a attendu une petite éternité pour se mettre en scène, mais le décor s’est enfin installé. D’après les déclarations de Marotta d’un côté et d’Angelici de l’autre, respectivement directeur sportif de la Juventus et président de Boca, Carlos Tévez aurait demandé à son club turinois de le laisser partir chez les Xeneize alors qu’une année de contrat le lie encore à la Vieille Dame. Et la direction turinoise aurait accepté en échange de rien ou peu de choses. Double grosse surprise aux quatre coins de l’Europe. D’une part, le finaliste de la dernière Ligue des champions consent à laisser partir son meilleur buteur pour quelques gracias. D’autre part, l’un des meilleurs joueurs du monde quitte l’un des meilleurs clubs du monde de son plein gré pour aller évoluer dans un championnat dont le niveau footballistique vit une crise sans lumière depuis environ dix ans.

Comment la star de la Juventus peut-elle quitter un environnement si compétitif pour aller affronter les défenses redoutables de Defensa y Justicia et Nueva Chicago ? Comment Tévez peut-il mettre un terme si tôt – 31 ans, au top de sa forme – à une carrière européenne qui a encore tant à donner ? Un sportif de haut niveau devrait pousser ses limites le plus loin et le plus longtemps possible, a priori. De manière générale, du moins, il est dans la nature de l’homme de vouloir toujours se surpasser. Alors, pourquoi Carlitos quitte-t-il le plus haut niveau maintenant, et avec un si grand sourire ?

Rêve et travail

Parce que la dimension culturelle du football n’est pas celle d’un sport comme les autres, et que la compétitivité de son équipe n’a jamais été le facteur le plus important pour Tévez, comme le démontre son refus d’intégrer Argentinos Juniors à l’adolescence. Parce que le monde de Tévez ne rêve pas de l’hymne de la Ligue des champions. Et parce que la réponse à ces questions réside dans une logique toute relative : ce qui semble aberrant en Europe ne l’est pas de l’autre côté de l’Atlantique. Et vice-versa. Si certains Argentins peuvent tomber amoureux d’un club ou d’une ville, comme Javier Zanetti avec l’Inter, la grande majorité reviennent au pays à la suite de leur carrière en Europe. Et il faut entendre ici le sens propre du mot « carrière » , qui a à voir avec un métier et un travail. Tévez, ainsi, a toujours rappelé qu’il percevait son voyage en Europe comme un long périple professionnel. Et de manière générale, les générations des joueurs argentins nés dans les années 1970 et 1980 ont montré, retour après retour, qu’ils perçoivent le football européen comme un enjeu strictement professionnel, et pas forcément personnel. L’Argentin a joué pour Corinthians, West Ham, Manchester United, Manchester City et la Juventus. Il a marqué près de 210 buts, gagné plus de 14 titres et empoché des dizaines de millions d’euros. Professionnellement, il s’est épanoui. Et personnellement ?

Au Brésil, Tévez s’est fait retirer le brassard de capitaine après une saison grandiose parce qu’il ne savait pas s’exprimer en portugais. En Angleterre, il n’a même pas pris la peine d’apprendre l’anglais, sentant très rapidement la nostalgie de son Buenos Aires au milieu de la grisaille de Manchester. À Turin, enfin, le numéro 10 a admis s’être senti bien. Mais ça ne l’a pas empêché de se sentir trop éloigné de chez lui, l’esprit occupé par cette idée de départ anticipée. Dans le Grafico, Dani Osvaldo racontait ses six mois passés avec Carlitos à Turin avec les mots suivants : « de la cumbia, tout le temps » , « deux à trois asados par semaine » et « tous les matchs de Boca chez lui » . Tévez est, depuis son départ de Boca, un expatrié qui souffre de la distance, en quelque sorte. Et alors, pourquoi partir travailler tout court ? Pour le défi personnel d’affronter les meilleurs, peut-être. Mais Tévez n’a plus à prouver qu’il fait partie de la cour des grands. Pour l’argent, aussi, sans aucun doute. Mais aussi parce que ces joueurs n’ont pas vraiment le choix. Lorsque le Corinthians a envoyé une offre de 27 millions de dollars à Boca, le joueur n’a pas eu son mot à dire. Diego Milito, lui, a été transféré pour seulement 1,8 million de dollars au Genoa (alors en Serie B) en 2003. Cette saison, il affirmait que « c’était une belle opportunité d’aider le Racing financièrement, mais j’aurais très bien pu rester toute ma carrière ici » .

Efforts et signification

Et si le football européen était perçu par les Sud-Américains comme une sorte de MLS qui aurait réussi ? Une terre où les stades sont beaux et neufs, les clubs sont riches et prospères, et les supporters polis et courtois. Une sorte de futur dont ils aiment faire l’expérience sans en faire leur vie. Recoba au Nacional, Diego Milito au Racing, Gaby Milito à Independiente, Veron à Estudiantes, Riquelme à Boca, Gallardo, Aimar et Saviola à River Plate : après l’Europe, les Argentins reviennent tous, ou presque, pour retrouver « leur » football. L’écrivain Eduardo Sacheri compare : « Moi par exemple, je ne regarde pas tellement de football européen, j’admets que je vois beaucoup plus de football local. Il m’arrive de regarder quelques équipes : le Barça, le Real, le Bayern, le PSG. Mais surtout la Ligue des champions parce que c’est là que le niveau est le plus similaire entre les adversaires. En Liga, tu veux seulement savoir combien de buts de différence il va y avoir entre le grand et le petit. Le football européen a un peu perdu cette surprise imprévisible dont tout football a pourtant besoin. » À Buenos Aires, on aime pouvoir profiter des sucreries de Messi au Barça et des délicatesses de Pastore au PSG, mais on suit avant tout la Primera, le championnat argentin.

Sacheri poursuit : « Notre championnat argentin se trouve là-bas, en fait. Il doit y avoir 500 joueurs argentins évoluant à l’étranger, la majorité dans les grands championnats européens. Ici, on a gardé quelques seconds couteaux, ou quelques superbes vétérans, comme Riquelme à Boca ou Milito au Racing. Mais ce sont des exceptions. Si tu regardes un match de Ligue des champions, et que t’enchaînes avec un match de ton équipe ici, t’as envie de te tuer… Mais bon, c’est incomparable. L’un est un spectacle, et l’autre est un engagement sentimental. » Cet engagement, qu’il cultive auprès de sa famille et ses proches, Tévez le sent en lui depuis tout petit. Et c’est bien pour lui qu’il s’apprête à tirer un trait sur le football européen et embrasser à nouveau la Bombonera, ce petit monde bleu et jaune. Là-bas, à la Boca, Tévez redeviendra ce petit gamin insouciant que l’on conduisait d’un entraînement à l’autre. Il jouera à nouveau pour autre chose que des contrats, aussi : ses amis et sa famille, d’une part, mais surtout son club.

Par Markus Kaufmann, à Santiago du Chili

Tous propos recueillis par Markus Kaufmann et Léo Ruiz

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