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De battre leur Hearts a failli s’arrêter
Pour Heart of Midlothian, ce début de saison ressemble à une comédie romantique. S’ils ont été battus dimanche denier pour la première fois de la saison (0-1 contre Aberdeen), les Jambos rêvent toujours de mettre fin à 40 ans de règne partagé entre le Celtic et les Rangers. Pourtant, en 2013, tout aurait pu s’écrouler. Retour sur un épisode qui les a rendus plus forts que jamais.
À Édimbourg, l’automne a cette manière de transformer chaque coin de rue en décor de comédie romantique. Les feuilles mortes, les pavés humides, le château qui surplombe la ville… Parfait pour tomber amoureux. De quelqu’un ou… d’un club de foot. « Le football, c’est un mode de vie en Écosse. Mais ce qui nous différencie, nous supporters de Heart of Midlothian, c’est le traumatisme traversé en 2013. Notre amour s’est renforcé dans la douleur », se remémore Craig Stewart, un Édimbourgeois au sang grenat.
Les emprunts russes
Saison 2004-2005, celle où Vladimir Romanov, un ancien sous-marinier russe devenu patron d’une grande banque lituanienne, arrive à la tête du club. « À cette époque, Hearts était endetté et prêt à se séparer de son stade, Tynecastle Park, dévoile le supporter, tout en repensant au panneau de Tynecastle que son père avait peint dans sa chambre d’enfant. Sans lui, on aurait dû louer le Murrayfield Stadium à la fédération de rugby. » Une idée impensable tant l’enceinte occupée depuis 1886 a une place importante dans leurs cœurs.
Les années Romanov ont été un véritable roller coaster.
Après avoir fait fortune dans le textile en Lituanie et dans l’aluminium en Bosnie-Herzégovine, le sauveur injecte des billets, retape l’effectif et gagne deux Coupes d’Écosse, en 2006 et en 2012. Au fil des années, le personnage fantasque grappille de plus en plus de parts au club. Mais dans l’ombre, celui qui a hérité du surnom de Mad Vlad (Vlad le fou) poussait le club vers le précipice. En France, on appelle ça « faire une Gérard Lopez ». « Les années Romanov ont été un véritable roller coaster », raconte Garry Halliday, un Gorgie Boy depuis trois générations. Changements d’entraîneurs incompréhensibles, dettes converties en actions, masse salariale incontrôlable… À force, Garry finit par agir : en compagnie de Jamie Bryant, Brian Cormack, Alex Mackie et Donald Ford, il crée la Foundation of Hearts en février 2010. « On a structuré le projet pour être prêts lorsque l’inévitable se produirait », poursuit Alex Mackie, entouré de ses deux golden retrievers et d’un maillot du Real Madrid signé par Zidane.

Ce qui devait arriver arriva le 7 novembre 2012. « La veille d’un match contre Saint-Mirren, nous avons appris que le club était dans une situation financière catastrophique, se souvient avec effroi Craig Stewart, affirmant qu’il ne dormait plus la nuit. Les rumeurs sur le fait que ce soit le dernier match au stade fusaient. » Mais il n’y a pas plus coriace qu’un Écossais. Demandez aux Anglais qui ont combattu William Wallace. Cela marque le début du massage cardiaque. Stewart décide de superviser une collecte de fonds. « Les gens ramenaient ce qu’ils pouvaient. On allait ensuite déposer l’argent à la banque, avant de le transférer au club, rapporte-t-il. Ils trouvaient n’importe quel moyen pour lever de l’argent : matchs de charité, des ventes de t-shirts imprimés pour l’occasion… Même les commerces du quartier de Gorgie mettaient la main à la pâte. »
Le dernier pub avant la fin des Hearts
Parmi eux, le Digger’s Pub. Une institution pour Craig Stewart et de nombreux Jambos. « J’ai permis que mon pub soit utilisé pour parler de collecte de fonds. J’organisais des tombolas et je donnais personnellement », retrace Kev Macghee, le boss du pub et… supporter de Hibernian. Oui, vous avez bien lu. Au début, on a même cru que c’était de l’humour « so British ». Alors pourquoi avoir aidé le club rival ? On aurait pu vous sortir que le cœur a ses raisons que la raison ignore. Mais il n’est aucunement question d’ignorance : « Je suis un fan de football et cela aurait pu nous arriver. C’était logique pour moi. »

17 juin 2013, le club demande à être placé sous administration judiciaire pour éviter la faillite. Il a 25 millions de livres sterling de dettes, dont 15 envers la banque lituanienne de leur propriétaire, alors en faillite. Pour retarder l’échéance et éviter la liquidation, 10 000 supporters décident alors de s’abonner pour la saison 2013-2014. « C’est à cet instant que nous avons mis en place le plan de la fondation. Nos 8 000 membres donnaient ce qu’ils pouvaient chaque mois », retrace Garry Halliday. Un jour, lors d’une réunion regroupant une trentaine de membres de la fondation, Ann Budge, une femme d’affaires convaincue par le projet, déclare : « S’il faut quelques millions pour sauver le club, je mettrai l’argent. » Il est donc prévu qu’elle rachète le club grâce à sa société, avant de revendre les parts à la fondation au fil du temps.
Quand j’ai appris que le club était à nous, j’ai pleuré du haut de mes 57 ans.
Le lundi 12 mai 2014 restera à jamais celui où Hearts a continué de battre. Après avoir envoyé 2,5 millions de livres, celle que l’on surnomme « The Queen of Hearts » (la dame de cœur) au pays du kilt prend le contrôle. « Quand j’ai appris que le club était à nous, j’ai pleuré du haut de mes 57 ans », assume Alex Mackie. Hearts, sorti de l’administration judiciaire le 11 juin 2014, traînait encore une interdiction de recrutement et une pénalité de 15 points. La relégation était inévitable. Néanmoins, grâce au modèle de contribution mensuelle et de propriété collective, le Barça écossais s’est reconstruit et a immédiatement retrouvé la Scottish Premiership.
Un cœur qui fait Bloom
Le 30 août 2021, la présidente Ann Budge a officiellement transféré les actions du club à la fondation. « Hearts devenait le plus grand club détenu par ses supporters au Royaume-Uni », conte avec fierté Craig Stewart. « On doit énormément à Ann Budge, tient à préciser Alex Mackie. Elle a remis Hearts sur pied alors qu’il était sous perfusion, et c’est elle qui a rendu possible l’arrivée de Tony Bloom. » Réputé pour ses exploits à Brighton et à l’Union saint-gilloise, Tony Bloom est devenu actionnaire minoritaire et permet de recruter des pépites grâce à Jamestown Analytics : sa société de data sans qui Tynecastle ne pourrait pas chanter les louanges de sa nouvelle coqueluche, Claudio Braga, sur l’air de « Radio Ga Ga » de Queen.
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Alors, les Jambos peuvent-ils aller chercher un cinquième championnat, 66 ans après ? Les supporters préfèrent garder les pieds sur terre. « Peut-être pas cette année, mais bientôt, je l’espère », tempère Alex Mackie. Cependant, Craig Stewart l’assure : « Le jour où ça arrivera, ce sera monumental. Édimbourg n’aura jamais connu de fêtes pareilles. » Mais en attendant ce jour où Édimbourg et l’Écosse vireront au grenat, il reste cette histoire d’amour si singulière : celle d’un cœur que ses supporters ont refusé de voir s’arrêter, et qui bat désormais plus fort que jamais.
Et si l’hégémonie du Celtic et des Rangers s’arrêtait en Écosse ?Par Julien Delastre
Propos recueillis par JD.




























