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Un mystère nommé Müller

Par Adrien Candau
6 minutes

Après 17 saisons disputées au plus haut niveau, Thomas Müller va dire auf wiedersehen au Bayern Munich, le club de sa vie, avec qui il disputera à 35 ans son dernier match ce samedi 17 mai, face à Hoffenheim. Le clap de fin pour un type qui jouait merveilleusement bien au football. Sans qu’on saisisse encore tout à fait comment et pourquoi.

Un mystère nommé Müller

Peut-être que sa carrière se résume le mieux, finalement, à cette simple question que lui avait posée un journaliste du quotidien Süddeutsche Zeitung, en 2011. « Was ist Thomas Müller ? » Qu’est-ce que Thomas Müller ? Pour se définir, le grand échalas bavarois avait alors fait de sa singularité un concept à part entière : « Je suis une pièce unique, d’une certaine manière. On peut comparer certains dribbleurs, certains attaquants les uns aux autres, mais moi, qu’est-ce que je suis ? Peut-être quelqu’un qui interprète l’espace. Oui, je suis un interprète d’espaces. » Soit un « Raumdeuter », en version originale.

Félicité cinq ans plus tard par un journaliste du Guardian d’avoir su si habilement caractériser son jeu, l’attaquant polyvalent du Bayern Munich confiait pourtant regretter de s’être aussi promptement catégorisé. « Oui, c’est un bon mot, un bon concept, concédait l’international allemand aux 131 sélections. Néanmoins, je ne suis pas sûr de m’être rendu service en l’inventant… En réalité, tout bon attaquant a un bon sens du temps et de l’espace. Il n’y avait rien de nouveau ici. Cette caractéristique n’est pas unique. » Alors même que l’attaquant à l’éternel visage d’ado disputera à Hoffenheim son 751e et dernier match avec le Bayern ce samedi, la question peut toujours se poser légitimement : qui est Thomas Müller ?

L’illusion de l’ordinaire

Beaucoup, comme l’actuel directeur sportif du Bayern Munich Christoph Freund, ont bien tenté d’y apporter une réponse : « Avec lui, il n’y a pas d’artifice, pas de recherche du spectaculaire, juste un instinct incroyable et une lecture du jeu extraordinaire. C’est un footballeur pur. » Par pur, comprenez épuré : regarder Müller évoluer sur un terrain, c’est tomber dans le piège d’une banalité trompeuse. Bien souvent, il ne se dégage aucune plasticité de sa gestuelle. Il n’a pas la grâce qui émane des avants-centres de métier, quand vient le moment de conclure une action dans la surface de réparation. Encore moins la fluidité, l’élégance du jeu de jambes, qui caractérise les autres 9 et demi qui ont tant marqué l’histoire du jeu. Müller, pourtant, n’aura bien jamais été aussi fort, aussi marquant, qu’aligné en soutien d’un attaquant pur jus. Ce fut très souvent le cas au Bayern, où sa doublette avec Robert Lewandowski a indéniablement marqué les mémoires.

Thomas Müller ne peut pas vous battre avec son contrôle de balle. Il ne peut pas vous battre avec sa vitesse. Il ne peut pas vous battre avec ses dribbles. Il se contente de vous battre, tout simplement.

Uli Hesse

Plus que son positionnement, c’est donc bien son interprétation et sa réappropriation du poste qui l’ont singularisé. Là où s’exprime habituellement l’élément le plus flamboyant et technique de l’équipe, le Bavarois aura paradoxalement réussi à incarner un concept devenu rarissime dans le football moderne : celui du joueur faussement ordinaire. Historiquement chasse gardée des renards de surface, cette catégorie à part de footballeurs laisse souvent une impression quelconque sur le pré, tout en se révélant décisive aux moments clés d’une partie. Un super-pouvoir joliment résumé par ces lignes du journaliste Uli Hesse : « Thomas Müller ne peut pas vous battre avec son contrôle de balle. Il ne peut pas vous battre avec sa vitesse. Il ne peut pas vous battre avec ses dribbles. Il se contente de vous battre, tout simplement. »

« Lorsqu’on fait une course, on ne le fait pas toujours pour soi »

L’énigme Thomas Müller serait-elle impénétrable ? Si la mécanique du talent du bonhomme est aussi complexe à décrire et à appréhender, c’est sans doute parce qu’avec lui, tout se joue là-haut, dans le ciboulot. Dans sa boîte à idées, les connexions synaptiques du Müller vont vite. Trop vite même, pour ses adversaires. Un examen plus approfondi du jeu de l’Allemand aux 248 buts en club parle d’ailleurs de facto pour son gros cerveau : la justesse de ses appels et de ses passes, de ses prises de décision, le liant et les complémentarités qu’il arrive à trouver avec ses équipiers sont le témoignage d’un QI football proprement hors cadre. Une remarquable intelligence de jeu, qui ne peut trouver son sens et sa force que dans l’expression collective. « Pour expliquer le football, les gens privilégient parfois des explications simples, en attribuant le succès d’un joueur ou d’une équipe au talent ou à la chance, théorisait le Munichois au Guardian en 2016. Mais souvent, ce qu’il se passe est d’abord le fruit d’une action complexe impliquant plusieurs joueurs. Lorsqu’on fait une course, on ne le fait pas toujours pour soi. Souvent, on le fait pour ouvrir la porte à un coéquipier. Au basket, c’est un élément clé : trois joueurs créent l’espace pour qu’un seul tire. Au football, cet aspect est souvent sous-estimé. »

À défaut de savoir le mieux jouer au football, Thomas Müller est donc sans doute l’homme qui l’aura le mieux compris. Dans sa dimension sportive, mais aussi identitaire et culturelle. Munichois pur jus, la grande tige affirme joyeusement enfiler des Lederhosen (la culotte courte traditionnelle bavaroise) à chaque fois « que porter un pantalon en cuir lui semble approprié ». Dans la plus pure tradition du football germain, le numéro 25 du Bayern ne se sera aussi jamais embarrassé de faire dans la fausse modestie ou la langue de bois. En 2020, alors que le Rekordmeister venait d’atomiser le Barça 8 pions à 2 en Ligue des champions, on l’avait notamment vu se fendre, un sourire carnassier en prime, de cette déclaration : « En réalité, nous n’avions pas dominé tant que ça contre le Brésil en 2014. Aujourd’hui, la supériorité était encore plus grande. » Celui dont le physique tient à première vue davantage du joueur de World of Warcraft que du footballeur professionnel n’a par ailleurs jamais hésité à s’autovanner. On se souviendra notamment de sa sortie sur ses gambettes aux airs d’allumettes : « On ne peut pas se blesser là où il n’y a pas de muscles. Mes mollets sont si fins qu’aucun adversaire ne peut toucher les os, parce qu’ils sont difficiles à voir. » Ou encore de son analyse hilare sur l’esthétique toute relative de son jeu : « Je sais que chaque but vaut la même chose. Si on ne comptait que les beaux buts, je n’en aurais pas beaucoup à mon actif ! » C’est cependant sa déclaration en bonne et due forme à sa chère et tendre, Lisa, qui lui aura inspiré sa plus belle punchline : « Je l’ai demandée en mariage à Noël dernier. Mais je n’ai pas eu besoin de m’agenouiller. On ne s’agenouille que pour célébrer un but. »

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Par Adrien Candau

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