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La deuxième chance de Gervais

Par Benjamin Jeanjean et Fabien Gauvin
La deuxième chance de Gervais

Un an. C'est le temps qu'aura tenu Gervais Martel loin de « son » RC Lens. Après avoir quitté les Sang et Or par la petite porte en juillet 2012, l'éternel président lensois revient par la grande, accompagné de son nouveau pote Hafiz Mammadov. Pour le meilleur et pour le pire ?

On ne présente plus Gervais Martel. Du haut de ses 58 bougies, le mec transpire le RC Lens par tous les pores de sa peau. Au même titre qu’un Guy Roux ou un Loulou Nicollin, Gervais fait partie de ces dinosaures de la Ligue 1 qu’on ne peut imaginer ailleurs que dans « leur » club. À Lens, Gervais a tout connu. Les difficultés financières et la relégation d’abord, après une saison 1988-89 pourrie où les Lensois établissent un nouveau record en D1 avec… 17 points au compteur. La remontée en 1991 ensuite, et la stabilisation du club qui l’amènera vers les sommets nationaux et européens : qualification pour la Coupe UEFA en 1995 et 1996, champion de France en 1998, Coupe de la Ligue en 1999, demi-finale de Coupe UEFA en 2000 et participation à la C1 en 1998-1999 et 2002-2003, avant de connaître une période délicate aussi bien sportive que financière qui amène le RC Lens en Ligue 2 aujourd’hui.

Blanchart, Dacourt et Papin dans les valises

Des émotions, le natif d’Oignies en a connu dans le Pas-de-Calais. Il a même hypothéqué ses biens personnels et ceux de son épouse à l’été 2009 pour que le RCL passe le cut de la DNCG, alors que Lens remontait tout juste en Ligue 1. On peut raisonnablement penser qu’il a sûrement pleuré ce 2 juillet 2012, au moment de s’avouer incapable de rassembler les fonds suffisants pour racheter les parts du Crédit Agricole. Quittant la présidence, Gervais avait promis de revenir. Il l’a fait. Le Crédit Agricole a officialisé la nouvelle la semaine dernière. « Le Crédit Agricole Nord de France a examiné les offres concernant la reprise du RC Lens et décidé d’entrer en négociations exclusives avec M. Gervais Martel et son investisseur associé, M. Hafiz Mammadov. » Exit donc l’offre de 8 millions d’euros du fonds d’investissement luxembourgeois Mangrove Capital Partners.

C’est en septembre 2012 que Martel prend le chemin de l’Azerbaïdjan et du FC Bakou. L’homme d’affaires n’est pas seul dans l’avion et amène avec lui trois anciennes figures du club sang et or : Olivier Dacourt, Jocelyn Blanchard et Jean-Pierre Papin. Le courant passant bien, les deux businessmen envisagent un partenariat autour de la formation des jeunes, puis la possibilité de mettre sur pied un projet de reprise du club. Martel se rend à deux nouvelles reprises en Azerbaïdjan, en novembre 2012 avec Papin et Blanchard, et au printemps, seul. Les deux hommes se rencontrent une nouvelle fois fin mai à Monaco durant trois jours. Mammadov signe une lettre d’intention concernant le prêt des fonds nécessaires pour racheter un club. Le tour est joué : Gervais a réussi sa pêche au gros.

Mais qui est Hafiz Mammadov ?

Car Mammadov est clairement un gros poisson. L’Azéri a fait fortune en fondant une société financière en 1998. Devenue cinq ans plus tard le Baghlan group, la boîte basée à Dubaï est désormais l’un des plus gros groupes du pays et mélange plusieurs secteurs d’activité : BTP, pétrole, gaz, transports publics… Mais cette réussite (une croissance de 10 % en 2012), dans un pays controversé où les liens entre politiques et milieu des affaires sont patents, n’est sans doute pas uniquement le fruit du travail et du talent. Mammadov est ainsi réputé très proche du pouvoir, notamment du ministre des Transports, Ziya Mammadov. Et ce n’est pas seulement leur patronyme partagé qui les rapproche, puisque le premier gère par exemple les actifs du second… Ces relations lui auraient notamment permis d’obtenir des contrats publics sans appel d’offres, ou même de se faire aider à éliminer la concurrence. En amont de la tenue de l’Eurovision en Azerbaïdjan en mai 2012, Mammadov importe 1000 taxis ressemblant à ceux de Londres par le biais de Baki Taxsi, une filiale de son groupe, raconte Radio Free Europe. Quelques temps après, les restrictions sur les autres modèles de taxi pleuvent : interdiction des modèles soviétiques, limitation des places de parking aux taxis « londoniens » , etc.

Un proche d’Aliev

Le Bureau français de la cause arménienne n’a pas tardé à s’offusquer de l’arrivée annoncée d’Hafiz Mammadov au RC Lens : « Mammadov est directement relié à la dynastie Aliev (Ndlr : Heydar, le père, a dirigé le pays de 1993 à 2003. Ilham, le fiston, a pris sa succession depuis) qui concentre tous les pouvoirs en opérant une fusion totale entre pouvoir politique et réseaux d’affaires. La dictature exercée par Aliev, qualifié de « prédateur » par Reporters Sans Frontières, est en totale contradiction avec les valeurs éthiques et morales véhiculées par tout club sportif » , peut-on voir dans un communiqué de l’association.

Et le foot dans tout ça ? Qu’est-ce que vient foutre à Lens le discret homme d’affaires ? À la tête du FC Bakou depuis 2004, Mammadov œuvre pour des échanges entre son club et les grands de l’Europe du foot. Il n’oublie ainsi pas d’ajouter un accord de formation lorsqu’il négocie, pour 12 millions d’euros selon El Pais, le contrat de sponsoring qui lie son groupe et l’Atlético Madrid pour les 18 prochains mois. Il est aussi à l’origine du partenariat sportif négocié le mois passé avec le FC Porto. Un peu comme Nasser et ses potes au PSG, investir dans le sport est un bon moyen d’améliorer l’image de son pays à l’international. Dans la presse azérie, Mammadov a annoncé la couleur : « Je pense que le drapeau azeri sera hissé sur le stade de Lens. » Une personnalité qui a en tout cas séduit Jocelyn Blanchard : « Ce qui me frappe, c’est son obsession pour sa cause : les gamins du pays. Il sait comment fonctionne un club et comment faire progresser les joueurs de son pays par échange de compétences et l’organisation de stages. Il m’a reçu comme un père. Il ne laisse jamais son interlocuteur sur le carreau. » Le bonhomme a en tout cas les moyens de ses ambitions : celui que Jean-Pierre Papin a qualifié de « simple et abordable » pèserait quand même plus d’un milliard d’euros de fortune personnelle. De quoi rêver d’un destin à la Monaco pour les Lensois ?

Une alliance contre-nature ?

Rien n’est moins sûr. Car beaucoup d’incertitudes planent sur l’arrivée de ce nouveau duo dans le foot français. Comment Gervais Martel, président à l’ancienne et plus habitué aux combos barquette de frites – pinte de bière qu’à la jet-set des nouveaux riches du monde entier, a-t-il pu se retrouver avec un homme d’affaires azéri plein aux as ? La réponse est simple : la fin justifie les moyens. Lorsque Michel Faroux, numéro deux du Crédit Agricole Nord de France, lui montre la porte de sortie ce fameux 2 juillet 2012, Gervais ne se démonte pas : « Je reviendrai. » Mettant tout son temps et son énergie dans la balance, il prospecte désespérément (un trader londonien était tout proche de donner son accord) afin de trouver les fonds nécessaires pour reprendre « son » RC Lens. Et peu importe si l’origine des fonds fait polémique.

« L’image du RC Lens n’est pas faite par ses dirigeants, mais par son public. Alors que l’argent vienne d’Aix-Noulette, Trifouilly-les-Oies ou de l’Azerbaïdjan, où est le problème ? Le club repose sur l’identité de ses supporters, non pas sur ses dirigeants, investisseurs, ni même sur les entraîneurs qui ne tiennent pas plus de deux ans ou les joueurs qui sont devenus des mercenaires. Alors si un peu d’argent arrive pour bâtir un projet sportif et que ça fait revenir des partenaires qui ont déserté, ça peut au contraire renforcer l’identité populaire du RC Lens. Et ramener les gens au stade Bollaert, qui était plutôt morose cette année » , explique à DailyNord Benoït Dequevauviller, journaliste et auteur de plusieurs livres sur le RC Lens.

Du côté des supporters, on est plutôt contents du retour au bercail de la grande gueule du RC Lens, même si aucun chèque en blanc ne sera accordé à la direction. « Il y a Gervais pour mieux faire accepter l’investisseur dont on ne sait pas grand-chose. Il connaît les valeurs du club. Maintenant, il faut qu’il ait retenu les leçons du passé en ne prenant plus le copain du copain. Gervais, c’est Gervais. Il a amené tellement de choses, mais j’attends quand même de voir. S’il revient avec de bonnes intentions et une gestion rigoureuse, ça me va » , déclare Dominique Leroux, président du groupe des Captain Siko d’Hulluch, dans les colonnes de La Voix du Nord.

Des changements à prévoir

C’est un fait, très peu de voix se sont élevées jusque-là parmi les amoureux du club nordiste pour douter du retour de Gervais, ce « grand homme » comme le décrit Oliver Dacourt sur Twitter.

Mais à Lens, tout le monde sait bien que la nouvelle direction sera jugée sur ses résultats. En attendant, le plus grand flou artistique entoure la future organisation du club. Quel sera le rôle exact d’Hafiz Mammadov ? Quelle gouvernance ? Le maire de Lens Sylvain Robert ne cache pas son scepticisme : « Je ne dispose pas des éléments pour dire que je suis confiant à 100 %. » Si le départ de Luc Dayan de la présidence est d’ores et déjà acté, d’autres mouvements pourraient suivre. Antoine Sibierski aurait ainsi déjà mis les voiles et devrait être remplacé au poste de directeur sportif par Jocelyn Blanchard, autre ancien de la maison. Éric Sikora est lui aussi dans une situation difficile. Bénéficiant d’une belle cote auprès des supporters, il pourrait malgré tout être prié d’aller voir ailleurs, d’autant plus qu’il ne possède pas le DEPF et que son prête-nom habituel, Marc Westerloppe, a quitté le club le mois dernier.

Un investissement limité

Enfin, si les Lensois peuvent se féliciter d’avoir attiré un porte-feuille en mesure de sortir le club de sa catastrophique situation financière, ils devront sûrement attendre un peu avant de voir débarquer du beau monde à la Gaillette. Aucun montant n’a été officiellement communiqué jusqu’à présent, mais on parle d’un investissement d’une vingtaine de millions d’euros, dont la moitié destinée à racheter les parts du Crédit Agricole. On est encore loin de pouvoir se payer Zlatan ou Falcao, mais ce n’était de toute façon pas le but. Côté supporters, on se contentera volontiers d’une remontée en Ligue 1 et d’une stabilisation du club dans l’élite. « Ce qu’on veut, c’est que le club survive et surtout revive des moments comme ceux de la période dorée de 1998. Une remontée la saison prochaine, ce serait magnifique » , explique Dominique Leroux. « On nous promet un destin à la Monaco, tant mieux, mais j’espère qu’on va garder les jeunes du centre de formation. Ils ont montré qu’on pouvait compter sur eux. »

À Lens, tous les voyants semblent donc au vert pour l’instant. Mais ça, Gervais s’en fout : il est daltonien.

Par Benjamin Jeanjean et Fabien Gauvin

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