- Interview Médias
Huard : «Il faut sentir le jeu»
En quatorze années passées sur les bords des terrains de Ligue 1 pour le compte du groupe Canal+, Gaëtan Huard a vu son métier prendre une tournure qui ne lui plait pas vraiment.
Quelles sont les qualités requises pour être un bon homme de terrain ?
Avoir été joueur de football. Pour être un bon homme de terrain, il faut avoir été sur le terrain.
A la mi-temps et en fin de match, vous n’avez pas beaucoup de temps pour interviewer les joueurs. A quel moment choisissez-vous vos questions ?
Ce qui est compliqué, c’est qu’on ne peut rien prévoir, rien anticiper. Le week-end dernier, par exemple, je travaillais sur Toulouse-Bordeaux. J’avais calé avec le média manager les deux joueurs que je voulais retenir, à savoir le jeune gardien bordelais Abdou Keita et Franck Tabanou qui avait raté son penalty, parce que je pensais que cela avait été le moment crucial du match. Le but d’Emmanuel Rivière en toute fin de partie a tout fait tomber à l’eau. Hormis les questions d’avant match qui sont orientées selon la ligne éditoriale choisie par le journaliste, tout le reste c’est de l’improvisation. Il faut sentir le jeu et connaître le football, c’est pour cela qu’il faut avoir été joueur. Selon les circonstances, il y a également des choses qu’on ne peut pas demander. Tous les moments ne sont pas propices à n’importe quelle question.
Justement, à la mi-temps de Toulouse-Bordeaux, vous avez eu un petit moment de tension avec le Bordelais Cheick Diabaté…
Il n’a pas du tout compris ma question. Je suis allé le voir après, là-dessus il n’y a rien qui me dérange. Ce genre de quiproquo m’est déjà arrivé, notamment avec Jacques Santini. Généralement, je perce l’abcès (sic) dans les dix minutes qui suivent. Là j’ai attendu que Diabaté sorte des vestiaires, et je lui ai dit qu’il ne m’avait pas compris. Certes, je suis un journaliste/consultant, mais je suis avant tout un homme de terrain, un joueur de football. Je ne suis pas là pour trahir ou blesser qui que ce soit. Ma question à Cheick Diabaté était toute simple, je faisais référence ironiquement aux joueurs que Francis Gillot avait envoyés en réserve (Henri Saivet, Anthony Modeste et Fahid Ben Khalfallah, ndlr). Mais il y a des gens à qui il ne faut pas poser trop de questions parce qu’ils ne comprennent pas forcément tout.
Est-ce qu’il y a des joueurs qui demandent à être interrogés au bord du terrain ?
Un grand joueur, c’est un joueur qui est capable en toutes circonstances de répondre intelligemment à un journaliste, de manière simple et posée. Il n’y a aucune honte à dire « je ne suis pas dans mon match, je ne suis pas bon, j’ai raté telle ou telle chose… » . Ce n’est jamais moi qui irait le voir en lui disant « t’as les pieds carrés aujourd’hui, tu fais pas une passe, etc.. » . C’est à moi de savoir ce que jeux demander ou pas. Pour en revenir à votre question, aujourd’hui il y a plus de joueurs qui refusent que de joueurs qui acceptent de se faire interroger. Nous, les médias, cherchons de plus en plus à faire du sensationnel, à aller droit au but. Au montage, la plupart du temps on ne garde pas la question du journaliste. Et quand vous ne gardez que la réponse du joueur, vous pouvez très bien la traiter hors-contexte. Les joueurs se méfient beaucoup de cela. Je suis persuadé qu’aujourd’hui, on est en train de tuer le journalisme de bord de terrain. On veut de plus en plus rentrer dans les mecs et on a de plus en plus de mal. Nous ne sommes pas toujours satisfait du comportement de certains joueurs lorsque nous les sollicitons, mais d’un autre côté il faudrait arrêter de sans cesse leur taper dessus. Des mecs qui ont les pieds carrés, j’en vois beaucoup. Mais est-ce qu’on est obligé de le dire ? Il faut mettre les formes. On a choisi des gens comme moi pour être homme de terrain parce qu’on est des anciens joueurs et qu’on peut ouvrir des portes. Et aujourd’hui, on nous referme des portes parce qu’on essaie qu’il y ait moins de relations entre les joueurs et l’homme de terrain. Si j’ai des échos ou des choses intéressantes à dire, c’est parce que je les ai obtenues en off et que j’ai appris à les exploiter. Et ça, c’est de plus en plus compliqué. Je sais ce qu’on recherche et ce qu’on demande. On reçoit des ordres de Paris pour orienter les questions, ce qui est logique parce qu’on veut aller tout de suite au coeur du problème, mais pour obtenir des réponses qui peuvent déranger, il faut une certaine préparation. Je ne dis pas qu’il ne faut pas dire les choses, de toute façon, à la télévision, on ne peut pas dire le contraire de ce qu’il se passe à l’image, contrairement à la presse écrite.
Vous n’avez jamais eu envie de monter en tribune de presse pour commenter les matchs en entier ?
Cela m’arrive de temps en temps, par exemple ce soir je commente Bordeaux-Lille pour Gold FM, la radio officielle des Girondins.
Vous avez un pronostic pour ce match ?
Je vais vous dire une expression que beaucoup n’aiment pas entendre : j’espère que ce sera un match référence (pour Bordeaux, ndlr). Ce serait bien que les Girondins gagnent et reprennent confiance.
A vous entendre, vous êtes ouvertement supporter bordelais.
Je suis le premier supporter des clubs dont j’ai défendu les couleurs. A savoir Lens, Marseille et Bordeaux. Mais j’ai une affection toute particulière pour les Girondins, étant donné que je vis dans la région bordelaise et que je passe du temps avec certains joueurs.
En dehors du journalisme, comment se passe votre reconversion ?
J’ai monté un concept de kiosques, d’instituts d’ongles dans les centres commerciaux en 2007.
Propos recueillis par Mathias Edwards
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