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Harrison Manzala : « Ceux qui me connaissent savent que je suis un énorme geek »

Propos recueillis par Tristan Pubert
8 minutes

À 29 ans, Harrison Manzala a délaissé sa paire de crampons et le ballon pour la manette et la chaise gaming. Membre du collectif DVM, c’est désormais devant un ordinateur que l’ancien Amiénois s’épanouit pleinement.

Harrison Manzala : « Ceux qui me connaissent savent que je suis un énorme geek »

Tu as disparu des radars footballistiques depuis quelque temps. Comment vas-tu ?

Tout va bien. C’est vrai que j’ai disparu de « la scène française » depuis mon départ du Mans (2019-2020). Ma dernière expérience ne s’est pas très bien passée en France à Bastia (2022). Mais sinon, d’un point de vue personnel, tout va bien.

Ta dernière expérience sur les terrains était en Roumanie, au Petrolul Ploiești, et ne s’est pas vraiment bien déroulée. Que s’est-il passé là-bas ?

Je suis resté six mois là-bas. J’ai rencontré le même problème qu’en Turquie (Manzala a évolué au Kayserispor durant la saison 2020-2021, NDLR), à savoir les paiements. C’est arrivé à une période de ma vie où je n’avais pas vraiment besoin de ce genre de problème. Je n’ai pas trop réfléchi et j’ai rapidement quitté le club. Je n’avais pas la tête à me bagarrer, à envoyer des courriers. J’avais un salaire important au club, ils m’ont menacé de résilier ou bien je ne jouerais plus. Et puis en parallèle, j’avais également quelques problèmes personnels.

Tu m’aurais parlé de la santé mentale lorsque j’avais 18 ans, je n’aurais pas calculé.

Harrison Manzala

Ça t’a dégoûté du football ?

Je dirais plutôt que ça m’a conforté dans l’idée que je n’étais plus vraiment heureux. Tout au long de ta carrière, tu dois faire face à des épreuves et aussi des échecs. Et forcément, lorsque cela s’accumule, tu prends des petits coups au moral. Jusqu’au jour où tu craques et t’en peux plus. Et c’est là que j’ai compris pourquoi certains joueurs finissent en dépression. Tout le monde n’a pas la carrière de Mbappé. Il y a plus de gens qui sont tristes dans le football qu’heureux. Les gens ne s’en rendent pas compte. Ils se disent que les footballeurs ont de l’argent, ils sont célèbres, ils ont des belles voitures, donc ils ne peuvent pas être tristes. Aujourd’hui, je fais quelque chose dans lequel je suis épanoui et je me rends compte qu’il n’y a rien de plus important que la santé mentale.

C’est un sujet assez tabou dans le monde du football. Pourquoi ?

C’est un peu mieux maintenant, la santé mentale des joueurs est un peu plus prise au sérieux. Mais si on remonte quatre ans en arrière, personne n’en parlait. Bien sûr que j’aimerais qu’on en discute plus, mais là, je te réponds en tant que Harrison qui a 29 ans. Tu m’aurais parlé de la santé mentale lorsque j’avais 18 ans, je n’aurais pas calculé. C’est assez délicat, certains ont sûrement honte d’en parler, de dire qu’ils consultent un psy. C’est une question de courage.

Malgré ton CV (45 matchs en Ligue 1 et 81 en Ligue 2), tu es sans club depuis bientôt un an. C’est véritablement une volonté personnelle de stopper ou tu n’as pas reçu d’offres intéressantes ?

J’ai eu quelques propositions à l’étranger. Mais avec ce que j’ai vécu en Turquie et en Roumanie, j’étais en quelque sorte dégoûté des clubs étrangers, je n’avais plus vraiment confiance. Je voulais vraiment rentrer en France auprès de mes enfants et de ma famille, quitte à faire une pause. J’ai discuté avec John Williams (directeur sportif d’Amiens, NDLR) et deux, trois autres clubs, mais ça ne s’est pas fait. Je ne veux pas forcer les choses, on verra bien ce qui se passe au mois de janvier. Certaines personnes, même des potes, ne comprennent pas pourquoi j’ai mis un stop à ma carrière. Il y a une réalité, c’est que je ne suis plus un jeune joueur et que les clubs vont beaucoup plus miser sur des jeunes talents qui peuvent rapporter gros plus tard.

Dans un entretien pour MaLigue2, tu expliquais qu’à Amiens, « on venait à l’entraînement sans vraiment se rendre compte des enjeux, sans vraiment ressentir de pression ». Ce cocon dans lequel tu étais en Picardie t’a joué des tours pour la suite de ta carrière ?

J’ai jamais été un gros bosseur, je ne vais pas faire l’hypocrite. J’avais certaines qualités qui m’ont permis d’atteindre le top niveau, de réaliser des belles saisons en Ligue 2 et en Ligue 1. Lorsque j’étais à Amiens, j’avais l’impression d’évoluer au club de chez moi, à Asnières. Ce n’est en aucun cas pour dénigrer le club, mais Amiens n’était pas forcément structuré, les exigences n’étaient pas importantes, le coach (Christophe Pélissier) était un peu à la cool. L’ambiance était familiale, tranquille et elle nous a permis d’avoir des résultats (promotion en Ligue 1 avec un scénario dingue en 2017 et maintient acquis aisément la saison suivante, NDLR). Forcément, lorsque j’arrive à Angers, je n’ai pas forcément cette attitude de bosseur assidu. Et là, je découvre un autre monde, les joueurs arrivent en avance, ils vont à la salle. Je ne connaissais pas cette ambiance-là et je n’ai pas réussi à m’adapter. Et puis ma préparation a aussi été difficile, j’arrive en cours de préparation à Angers, j’enchaîne les allers-retours entre Angers et Amiens, car ma femme est enceinte. Puis, lors de mon premier match de championnat avec le SCO, je loupe une action immanquable. Et ça m’a mis dans le trou pour la suite.

 

Depuis le mois de janvier, on peut te voir dans un tout autre registre : le streaming. Comment t’est venue l’idée de te lancer là-dedans ?

Ceux qui me connaissent savent que je suis un énorme geek. J’aime trop les jeux vidéo, c’est vraiment un univers que j’adore. Pendant la période du confinement et également pendant ma période compliquée en Turquie, je jouais à un jeu qui s’appelle GTA RP, pour faire passer le temps. J’avais acheté un Setup, un ordinateur de gaming. J’ai rencontré pas mal de gens, dont certains qui faisaient des lives. À cette époque-là, je jouais simplement avec eux, je ne faisais pas de live. On s’est lié d’amitié. Puis, quand j’ai arrêté le football, j’ai directement fait quelque chose que je kiffais. Ça m’a fait du bien et ça m’a permis de ne pas trop cogiter. J’ai tout de suite été épanoui, ça a bien marché.

Tu fais donc partie de la DVM CORP. Comment s’est faite la connexion ?

J’avais un pote en commun avec Medja (créateur du collectif DVM, NDLR), on se connaissait de loin. Lui était déjà bien installé sur Twitch. Quand j’ai résilié mon contrat en Roumanie et que je suis revenu à Paris, je me suis lié d’amitié avec lui, et un jour, il m’a invité pour une émission en live sur Twitch. L’émission a bien marché, j’ai kiffé. C’est parti comme ça, tout simplement. Quand je pars de Roumanie, jamais je me suis dit qu’à mon retour, j’allais faire ça.

 

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Peux-tu présenter DVM à celles et ceux qui ne connaissent pas ?

Certains pensent que nous sommes uniquement un média rap avec les nombreuses vidéos faites avec des rappeurs. De base, nous sommes des vrais geeks. DVM, c’est un collectif qui a été créé avec différentes personnes, avec des délires différents. Donc ça nous permet de toucher un peu à tout, les jeux vidéo, des émissions de rap et des discussions. Medja et Blaise sont de base des vrais gamers de GTA RP, Naskid est un beatmaker… À nous quatre, ça fait un mélange de plein d’univers différents et c’est ça qui marche. On a chacun notre chaîne, il y en a pour tous les goûts. Si tu veux parler de foot, il y a ma chaîne. Si t’es plus musique, il y a Naskid. Si tu veux te détendre et rigoler, il y a Blaise. On n’a pas les mêmes passions, c’est ça notre force.

Il y a aussi eu le DVM Show qui a explosé sur Twitch et YouTube.

Exact, c’est une émission de rap durant laquelle on invite divers rappeurs qui viennent lâcher des freestyles en direct et aussi des exclus. On l’a notamment fait avec Leto, Freeze Corleone, Kaaris.

J’ai reçu pas mal de messages de soutien, mais aussi de certains qui se demandent pourquoi je ne reprends pas le football. C’est la question qui me saoule le plus au monde

Harrison Manzala.

Vous voulez également vous développer dans l’e-sport ?

On essaye de maintenir le gaming dans notre contenu. On a justement créé une équipe e-sport pour la ligue française du jeu Valorant. C’est un nouvel univers pour nous qu’on ne connaît vraiment pas.

Qu’est-ce qui te plaît dans le streaming ?

C’est le direct, l’interaction avec les gens. Tu ne peux pas mentir. De base, je suis un consommateur, je regarde pas mal de streamers, je trouve ça vraiment cool. Certains ne comprennent pas vraiment le délire de regarder quelqu’un jouer aux jeux vidéo, mais faut comprendre, il y a des anecdotes, des moments drôles. Ça me plaît, donc je le fais.

Tu as eu des retours d’anciens coéquipiers qui voient ce que tu fais maintenant ?

C’est une dinguerie, je reçois pas mal de messages, on me dit qu’on voit ma tête partout. (Rires.) La plupart des footballeurs sont des consommateurs de musique, donc quand ils voient un freestyle de tel ou tel rappeur au DVM Show, ils voient ma tête. Au début, certains ne comprenaient pas, je fais un petit big-up à Romain Saïss. (Rires) Il me disait : « Qu’est-ce que tu fais, retourne jouer au football. » Après, je lui ai expliqué le délire, que je kiffais et il était content pour moi. J’ai reçu pas mal de messages de soutien, mais aussi de certains qui se demandent pourquoi je ne reprends pas le football. C’est la question qui me saoule le plus au monde.

Tu es plus à l’aise manette en mains ou ballon dans les pieds ?

Ballon dans les pieds, quand même. (Rires.) Ces derniers temps, je me suis entraîné avec certains clubs et je me suis rendu compte que j’avais encore un bon niveau.

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