Footbanalyse
Comme toute rencontre universitaire qui se respecte, la journée d'études sur le spectacle sportif, organisée le 28 juin par Patrick Mignon à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, a été l'occasion d'entendre des expressions comme « ethnospectacularité » ou « identité substantielle »... Mais elle a livré aussi des analyses plus accessibles aux amateurs de football. Petite revue d'effectif des communications consacrées au football.
Patrick Mignon ouvre le bal en se demandant si le supporter peut être « fan et militant » . Pour rendre compte de la diversité des modes de consommation du spectacle sportif, Richard Giulianotti, sociologue écossais de renom (la preuve, il a été plusieurs fois interviewé dans So Foot), construit une typologie allant du « flâneur » picorant le spectacle sportif au gré de ses envies, au « supporter » fervent défenseur de la cause de son club. Patrick Mignon s’étonne que, dans le tableau du chercheur écossais, il n’y ait pas de case « militant » . Ne pourrait-on pas considérer qu’il existe une pente militante du côté du supportérisme, qui serait en quelque sorte son aboutissement ? Les supporters, des militants, idée absurde ?! Et pourtant… Loin de n’être qu’assoiffé de bière et de femmes, le supporter, comme le militant, a l’idée d’être avant-gardiste, de défendre des causes nobles. Et à l’instar du militant au sens large du terme, le supporter se situe dans un mouvement rebelle. Plus largement, le football est aussi un moyen de penser une situation dans laquelle on n’est pas, mais qui pourrait exister : l’égalité de tous devant la sphère de cuir mime l’égalité de tous devant la réussite sociale. Jouer plus pour gagner plus ?
Le football, sport de droite ? Pas si simple. Les rapports que le Parti Communiste Français a entretenu avec le sport en général et le football en particulier sont complexes, remplis de contradictions qu’il convient de resituer dans le contexte historique du PCF, comme le propose Marion Fontaine en se penchant sur les années 1950-1960. Le football est alors vu comme un vulgaire loisir, véritable opium du peuple. Par conséquent en inadéquation totale avec un parti qui se veut celui des travailleurs et de la culture. Mais, en tant que représentant du peuple, ce même parti ne saurait nier l’engouement populaire suscité par le Racing Club de Lens auprès des populations minières. En soutenant le club professionnel lensois, qui incarne pourtant tout ce qu’il combat, le PCF s’est adapté de manière pragmatique tentant ainsi de s’approprier les sports populaires. Mais si le Parti Communiste voyait en Lens un « nous miniers » , les stades de football français n’ont jamais été perçus comme pensant le « nous ouvriers » . Le Tour de France était autrement mieux considéré : le sport du peuple était sur les routes plus que dans les stades.
C’est justement sur le public des stades que s’interroge Nicolas Hourcade. Centré sur les problèmes méthodologiques et déontologiques posés par les enquêtes de terrain auprès des supporters extrêmes, cet exposé soulève des questions qui dépassent le cadre du ballon rond et trouvent de plus en plus un écho dans les médias. Y a t-il de la rationalité dans un mouvement ultra structurellement ambivalent ? Comment analyser les contradictions de ces supporters ?
Clément Rivière traite lui d’un sujet original : résider aux abords du Parc des Princes. Lieu stratégique du 16ème arrondissement de Paris où se côtoient Parc des Princes, Roland Garros, Jean Bouin, et autant de publics apparemment différents… mais pas tant que ça. Ce quartier comporte aussi de très nombreuses associations de défense des riverains. Les interactions entre supporters et résidants sont rarissimes ; pourtant les riverains s’efforcent de les éviter. Car la forte mobilisation policière lors des matchs de foot leur fait peur et les supporters ivres du PSG les inquiètent. Parallèlement, un supporter de rugby complètement saoul est jugé amusant. Le tout étant probablement dû aux images des deux sports que véhiculent les médias et aux forces de polices quasi absentes lors des matchs de rugby. Ce n’est donc pas l’alcool qui est la cause de troubles, mais bien le contexte. Bien évidemment, les problèmes sont nombreux : entre urine, nuisances sonores, déchets, problèmes de stationnement, perturbations de la vie mondaine… Les riverains ont de quoi se plaindre. Et pourtant…, la rue n’est jamais aussi propre qu’après un match de football et le Parc des Princes garantit aux riverains l’absence de vis-à-vis. Ce qui, à Paris, n’a pas de prix. D’où la volonté farouche d’une partie des résidants de conserver le PSG au Parc : comme quoi tous ne veulent pas de la délocalisation des matches au Stade France. Surtout, tous les riverains s’accordent à dénoncer l’arbitraire des télévisions qui fixent à leur guise l’heure et la date des matchs. Et riverains et supporters d’être sans le savoir les meilleurs alliés du monde contre l’hypertrophie télévisuelle et les matches décalés…
Bérangère Ginhoux aborde le sujet de l’interdiction de stade (IDS) dans la carrière du supporter. L’IDS est un moment de rupture où le supporter est contraint de reformuler son engagement et de mener un travail réflexif qui peut le conduire à retrouver une sorte de normalité perdue. Catégorie à part entière, les IDS constituent un micro-monde chez les ultras et se voient forcés de réapprendre à voir des matchs. L’aspect tactique, le jeu, qui passaient parfois inaperçus au profit de l’ambiance du parcage se retrouvent désormais au premier plan. Où l’on considère que l’IDS est à l’ultra ce que la blessure est au footballeur : elle pose le problème de la reconversion. Les supporters aussi connaissent leur petite mort…
Les violences hooligans lors des dernières coupes du monde conduisent à réfléchir, avec François Rullon, sur la dimension patriotique voire nationaliste des hooligans pour qui la coupe du monde constitue une sorte de paroxysme. La figure de l’ennemi est ainsi plus forte que les dissensions internes. La défense de l’intérêt général, sur un territoire étranger de surcroît, passe avant tout. La mondialisation du hooliganisme voit ainsi se développer un tourisme de la violence toujours plus actif. On connaît la ritournelle : « Le hooliganisme national, c’est la continuation de la guerre par d’autres moyens » .
Par Lucas Duvernet-Coppola, avec Quentin Blandin
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