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Alisha Lehmann, la remplaçante la plus célèbre du monde
Phénomène des réseaux sociaux, Alisha Lehmann est l’un des visages les plus connus du football féminin. La Suissesse ne fait pourtant pas partie des meilleures de son sport et ne devrait même pas jouer un rôle majeur lors de l’Euro. Un succès médiatique qui interroge sur la façon dont sont encore et toujours perçues les footballeuses.

Ce mercredi, le Parc Saint-Jacques de Bâle verra la Suisse lancer son Euro 2025 à domicile. En guise de mise en bouche, la Nati affronte la Norvège, ce qui permettra de déjà voir à l’œuvre quelques pointures du ballon rond, comme Ada Hegerberg, Caroline Graham Hansen ou encore Lia Wälti. Peu de chances en revanche de voir parmi les titulaires Alisha Lehmann, elle qui est un autre nom bien connu de cet Euro. Avec son maquillage travaillé, ses ongles longs et sa coiffure platine, la Suissesse ne passe pas inaperçue, que ce soit sur le terrain ou sur les réseaux sociaux.
Le problème est qu’on la ramène toujours à son image et aux attentes que suscite sa notoriété.
Footballeuse la plus suivie d’Instagram avec 16,7 millions de followers – c’est huit fois le nombre d’abonnés d’Aitana Bonmatí, double Ballon d’or –, elle est aujourd’hui l’une des joueuses les plus connues à l’échelle mondiale. Une popularité hors norme pour une jeune femme dont une large partie de celles et surtout ceux qui la suivent ne seraient pas capables de citer le poste sur le terrain. Alors, quel genre de joueuse est Alisha Lehmann ? Et surtout, que révèle son immense succès médiatique du traitement du football féminin en 2025 ?
Le grand écart médiatique
Arrivée à la Juventus l’été dernier, l’attaquante de 26 ans n’a joué qu’un rôle mineur dans la reconquête du Scudetto de la Vieille Dame : dix-huit matchs toutes compétitions confondues, dont seulement six titularisations et deux petits buts. Avant cela, celle qui avait débuté aux Young Boys a fait ses gammes à West Ham, Everton et Aston Villa, toutes des écuries de second rang de la WSL dans lesquelles elle n’était jamais parvenue à dépasser la barre des six réalisations au cours d’une saison. Un niveau si relatif que sa présence dans le groupe de la Nati pour cet Euro à la maison n’a été rendue possible qu’en dernière minute à la suite de la blessure d’Alena Bienz. « Sa sélection a fait débat en Suisse, mais la vérité, c’est qu’on n’avait pas non plus quinze joueuses pour reprendre ce rôle, nuance Sarah Rempe, journaliste suisse spécialisée du foot féminin et commentatrice de l’émission Footaises. Ceux qui disent qu’Alisha Lehmann est une escroquerie ont tort, on ne joue pas en Angleterre ou en Italie par hasard. Même si elle n’est pas toujours titulaire, elle réalise une carrière tout à fait honnête. Le problème est qu’on la ramène toujours à son image et aux attentes que suscite sa notoriété. »
Comme bien d’autres gens de sa génération, Lehmann a bâti une partie de sa célébrité sur les réseaux sociaux, reprenant toute la panoplie de l’influenceuse lifestyle à coups de photos en vacances, de challenges et de placements de produits. Grâce à ces activités, la native de Tägertschi génère beaucoup d’argent, beaucoup d’engouement dans les stades qu’elle fréquente, beaucoup d’attention des médias… mais aussi énormément de commentaires sexistes et sexualisants de la part d’un certain public masculin, malheureusement.
Lehmann ressemble à ce qu’on appelle une “badass girl” : une femme libre qui s’assume pleinement et qui se fiche de l’avis des autres. Dans le même temps, c’est conforme au stéréotype de ce que la femme doit être dans la société : jugée et valorisée par son corps.
« C’est difficile de dire si la grande notoriété d’Alisha Lehmann est une bonne ou une mauvaise chose pour le football féminin, questionne Béatrice Barbusse, sociologue du sport. D’un côté, ça donne une image multiple de la footballeuse : on peut rester féminine et jouer au foot. Voir un type de physique différent sur un terrain de football ne devrait pas être un problème, ça peut au contraire casser l’image stéréotypée de la footballeuse masculine ou lesbienne. Je dirais que Lehmann ressemble à ce qu’on appelle une “badass girl” : une femme libre qui s’assume pleinement et qui se fiche de l’avis des autres. » Mais le revers de la médaille est lui aussi bien apparent. « Dans le même temps, c’est conforme au stéréotype de ce que la femme doit être dans la société : jugée et valorisée par son corps. Médiatiser une joueuse pour son physique et son esthétique plutôt que pour ses performances sportives, ça ne fait pas avancer le football féminin. »
Une sexualisation aussi chez les hommes
Depuis un bon moment déjà, les activités hors terrains font partie du football, ne serait-ce parfois que pour « rester en vie » une fois la fin de carrière entérinée. Alisha Lehmann pose en lingerie ? Très bien, David Beckham l’a fait en slip bien avant elle. Le problème est que cette exposition ne prend proportionnellement pas la même importance. « L’extrasportif occupe une part plus importante dans le traitement médiatique des femmes, explique Béatrice Barbusse. La plupart des questions posées en interview aux sportives concernent la vie privée : ça parle plutôt de la famille, des enfants, du bien-être… Ce qui relègue au second plan les performances sportives, évidemment. »
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Dans ce système, il est assez ironique de voir à quel point l’apparence peut être un sujet médiatique pour parler de certaines joueuses – pour Alisha Lehmann bien sûr, mais aussi Alex Morgan avant elle, pourtant une légende de son sport aux accomplissements majeurs – quand on sait que ce sont souvent… les hommes qui affichent le plus librement leur corps sur les rectangles verts. « Dans les sports considérés comme masculins, comme le football, les sportives subissent une pression plus forte pour affirmer leur féminité, c’est pourquoi d’ailleurs Lehmann casse à ce point les codes, complète la chercheuse. Cela peut se voir dans le physique, bien sûr, mais aussi dans l’attitude. Observez les célébrations : dans le foot féminin, les bras restent souvent près du corps, les gestes sont contenus. À l’inverse, on assiste à une mise en scène viriliste chez les hommes. Le joueur bombe le torse, montre ses muscles, enlève son maillot. Regardez par exemple Cristiano Ronaldo ! »
Si la surmédiatisation d’Alisha Lehmann soulève de nombreuses questions, elle reste néanmoins une exception dans le football féminin. La plupart des stars de la discipline se distinguent avant tout par leur talent et leurs performances sur le terrain. L’Euro 2025 sera d’ailleurs l’occasion parfaite de le rappeler, en mettant en lumière celles qui mèneront leur pays à la victoire. L’essence même du sport, que même les réseaux sociaux ne sauront jamais éclipser, heureusement.
La ville de Bâle célèbre le début de l’Euro féminin en modifiant ses feux piétonsPar François Linden