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One, two, three : viva Abdelli

Par Maxime Brigand
9 minutes

Un corps massif, un chemin tortueux et un profil de numéro 10 comme on pensait ne plus en voir : appelé de dernière minute dans le groupe de l’Algérie en remplacement de Houssem Aouar, Himad Abdelli est le joueur qui va vous réconcilier avec le football pendant cette CAN. Et autant dire que ce n’était pas gagné...

One, two, three : viva Abdelli

Article initialement paru dans le numéro 222 de So Foot, en décembre 2024

On croyait l’espèce morte, disparue, enterrée. Puis, l’un de ses représentants est réapparu là où on l’attendait peut-être le moins : dans le Maine-et-Loire. Numéro 10 dans le dos, passes que les autres n’avaient pas vues, dribbles de la semelle, corps qui tourne au ralenti et tête qui tourne à toute vitesse, Himad Abdelli porte des chaussettes hautes et défend les couleurs de l’Angers Sporting Club de l’Ouest. Au Vélodrome, début octobre 2024, ceux qui savent n’ont vu que lui. Au Louis-II de Monaco, un mois plus tard, il a, comme presque toujours, franchi la barre des 70 ballons tripotés et porté les siens vers une première victoire de la saison à l’extérieur, deuxième succès de suite après un début de saison complexe pour le promu angevin.

Abdelli semble courir pour ça : rappeler au petit monde de la Farmers League qu’être 10 est une façon de vivre, comme on peut être stoïcien ou crudivore, avant d’être une croix sur une feuille de match. Alexandre Dujeux, le coach du SCO, fait partie des premiers à l’avoir compris. À propos de son joueur, moteur de tout son projet de jeu, le technicien évoque même à chaque occasion le sacro-saint « profil particulier » de son spécimen anachronique de 26 ans, venu de Montivilliers, en Seine-Maritime. « Sa capacité à éliminer quatre, cinq joueurs sur un tout petit périmètre, à conserver le ballon sans trembler, on le voyait déjà quand il avait 18-20 ans, recadre le milieu du FC Versailles Romain Basque. C’est du Himad, un cas qui se comprend finalement plus au-delà du foot, en sortant du terrain. » Mais où ?

Un kilo en trop = un week-end à la maison

Faute de pouvoir en bavarder directement avec l’intéressé, la direction du SCO n’ayant visiblement pas apprécié que So Foot enquête, comme d’autres, sur deux membres du club depuis condamnés par la justice, il a fallu pousser d’autres portes afin de pouvoir comprendre ce « au-delà » du foot qui déboule presque automatiquement dans les discussions autour de la première partie de carrière d’Abdelli. Toutes se sont alors ouvertes vers un seul et même endroit : Le Havre. Himad Abdelli y a grandi dans le quartier du Mont-Gaillard, où il a, évidemment, poncé le city stade. Le week-end, il a également découvert le stade Deschaseaux aux côtés de son père, Saïd, avant de décrocher, bien plus tard, un premier contrat pro début 2019.

C’était un garçon qui manquait un peu d’ambition, qui avait des problèmes de poids… Mais en même temps, il avait une telle première touche de balle…

Oswald Tanchot, son coach au Havre

Au volant de l’équipe première du club normand à l’époque, Oswald Tanchot y est pour beaucoup, lui qui a vite vu chez Abdelli ce fameux « quelque chose que les autres n’ont pas ». Explications plus poussées du coach actuellement sans club : « Himad était ce qu’on appelle un joueur d’accompagnement. On ne me parlait jamais trop de lui en réunion, mais un jour, je suis allé voir une séance des U19, qui préparaient une demi-finale du championnat de France. Je l’ai vu en action et j’ai discuté avec son coach, Abasse Ba, qui m’a dit que c’était un garçon qui manquait un peu d’ambition, qui avait des problèmes de poids… En même temps, il avait une telle première touche de balle, une telle capacité à savoir tout faire – jouer avec les autres, éliminer, finir – qu’on ne pouvait pas ne pas lui donner une chance. »

L’histoire raconte, en effet, que jeune, Himad Abdelli se distinguait beaucoup plus à l’école qu’au milieu de la génération Pape Gueye-Rafik Guitane du HAC, et ce, pas forcément pour de bonnes raisons, le Normand étant passé notamment trois fois par la case conseil de discipline pour de « petites conneries ». Oswald Tanchot reste cependant persuadé de tenir quelque chose et choisit de le faire grimper pour des séances avec les pros, tout en le serrant de près sur la balance. Le deal est simple : un kilo en trop, et Abdelli passe le week-end à la maison.

Le régional de l’étape

Comme beaucoup de gens de son espèce, le meneur de jeu oscille depuis toujours entre amour sincère du foot et désir de liberté. Début 2020, un an après la signature de son premier contrat, il tire pourtant un constat clair, publiquement assumé : « J’avoue, je me suis un peu laissé aller. » Mais encore ? « Dans un premier temps, je pense que notre confiance a été un moteur, répond Tanchot. Il a compris qu’il n’était pas si loin d’avoir quelque chose d’intéressant, que c’était à lui de mettre en place les choses, qu’on lui offrait une certaine perspective. Le problème, c’est qu’il n’a pas su tenir toute la saison. En tant que coach, je l’ai beaucoup bousculé. C’est un mec agréable, respectueux, mais à un moment donné, j’avais aussi un effectif à gérer, donc si les multiples messages ne sont pas entendus, tu passes moins de temps et tu te lasses. Il n’y avait pas la moindre remise en cause de son talent. Il fallait juste qu’il intègre qu’un talent naturel, ça ne suffit pas pour faire une carrière. » En d’autres termes, qu’il est difficile, à 20 ans, de faire cohabiter une vie de joueur pro et une vie de jeune adulte, qui tue une partie de son temps libre entre les chichas et les matchs au five du coin, avec ses potes.

« Il fallait souvent lui rappeler ses objectifs, concède Abasse Ba. Il avait effectivement tendance à se laisser aller, et sa morphologie fait qu’il ne peut pas trop le faire. Quand on est dans sa région, dans sa ville, on peut faire des choses qui ne nous paraissent pas nuisibles pour une carrière, mais qui le sont. Ça l’a freiné, il le savait, mais c’était plus fort que lui. Et il y retournait. » Derrière Oswald Tanchot, Paul Le Guen fera un bilan similaire et ne lui fera grignoter que 423 minutes, dont trois titularisations, sur toute la saison 2019-2020.

« Pour grandir, parfois, il faut s’isoler »

À l’époque, Himad Abdelli, qui ramasse « des coups de pied au cul mérités », met pourtant des choses en place. Il passe moins de temps avec ses potes, reste davantage à la maison, avec sa copine, et se fait « plus discret en dehors du foot » pour se remettre « droit dans [sa] vie », après avoir été, un temps, proche de tout envoyer valser. Lors de l’été 2021, le HAC l’aurait même couché sur une liste de joueurs priés de s’en aller en cas de belle offre.

Il pouvait avoir tendance à se régaler pour le beau foot et à ne pas toujours être efficace. Il lui manquait cette petite efficacité, cette petite régularité, mais il était vraiment en train d’aligner les choses.

Victor Lekhal, coéquipier au HAC

Quelques mois plus tard, il s’ouvre dans la presse locale, confiant une «  peur de se retrouver dans une voie sans issue » et sa déception de voir que les choses tardent à prendre. « Je suis du Havre, et réussir dans le club de ma ville serait une réelle fierté, mais je ne sais plus vraiment ce qu’il faut que je fasse pour ça, souffle-t-il alors. Je donne tout ce que j’ai à l’entraînement et dans ma vie hors du terrain, je pense ne pas pouvoir être plus exemplaire. » Proche d’Abdelli, Victor Lekhal avoue avoir vu « des trucs de fou de sa part lors des séances. Il avait une aisance technique incroyable, les jambes pour résister, presser, et c’était déjà à mes yeux un milieu parfait, qui avait les qualités pour taper très haut, même si, dans la dernière passe ou le dernier geste, il pouvait avoir tendance à se régaler pour le beau foot et à ne pas toujours être efficace. Il lui manquait cette petite efficacité, cette petite régularité, mais il était vraiment en train d’aligner les choses. »

Il ne manquait finalement qu’une dernière pierre : quitter la ville, ce qu’il va faire lors de l’été 2022, au bout d’une saison enfin un poil plus aboutie, marquée par l’arrivée dans son entourage de spécialistes en nutrition et en préparation athlétique. Repéré par Laurent Boissier, venu observer le gardien Yahia Fofana, il signe libre au SCO et découvre la Ligue 1. « Le jour où il a décidé de partir, on en a discuté tous les deux, replace Romain Basque. J’ai connu la même chose à mon échelle, et partir de sa ville a du bon. Avoir son entourage proche, c’est bien, mais ça peut aussi être une contrainte, car tu veux être avec tout le monde, tu es jeune, tu veux participer à tout, mais pour grandir dans le foot, parfois, il faut s’isoler. »

Abdelli, I can fly

Deux ans et un tour dans l’ascenseur avec le SCO plus tard, la Ligue 1 a redécouvert Himad Abdelli, mais dans sa version 2.0. Devenu papa et capitaine, le 10 à l’ancienne reste toujours porté par des cuisses de deuxième ligne de rugby, un corps dont il est difficile de faire le tour et un cerveau de créatif, façon Téji Savanier.

Les chiffres sont, en revanche, là pour accompagner l’impression visuelle : s’il est avant tout chargé d’être l’homme qui aide ses coéquipiers à se jeter dans le public et qui leur ouvre des espaces, Abdelli réussit le tour de force d’être à la fois l’un des meilleurs dribbleurs et l’un des meilleurs récupérateurs du championnat. Il bosse, court, gratte, ose et fait avancer le jeu, bien que Dujeux insiste pour qu’il reste le plus haut possible sur le terrain. Lui a régulièrement répondu que se balader dans toutes les zones était aussi une façon de fatiguer mentalement les adversaires, et donc d’obtenir « plus de liberté » dans son jeu, ce que le match référence à Monaco a parfaitement symbolisé.

«  On parle d’une vraie force de la nature, d’un massif, d’un profil très osseux, complète Oswald Tanchot. Himad, il a un gros squelette, et c’est pour ça qu’il doit faire attention à son poids, mais s’il est bien physiquement, vu qu’il est capable de répéter les efforts et les courses à haute intensité, il devient un joueur redoutable, qui a largement sa place dans un club de première partie de tableau de Ligue 1. » Courtisé l’été dernier, notamment par Nice, le 10 n’a finalement pas bougé, préférant d’abord s’offrir le frisson d’une opération maintien avec son SCO d’adoption, ce qui lui a permis d’être rappelé en sélection algérienne (il compte jusqu’ici 4 sélections) et aujourd’hui de disputer une CAN, remplaçant au pied levé Houssem Aouar, forfait. Bien loin du Havre et de ses chichas.

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Par Maxime Brigand

Tous propos recueillis par MB, sauf ceux d’Abdelli tirés de Ouest-France et de Paris Normandie.

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