CM 2014 : les fantômes du Maracaña…
Comme prévu, le Brésil organisera la Coupe du Monde 2014 vu qu'il était seul en lice. Comme prévu, la finale se déroulera au mythique Maracaña de Rio, rénové et ramené à 99 000 places. Comme prévu, la Seleçao y remportera la victoire au terme d'une finale samba qui enchanter...Euh, non ! P'têt' pas...Because la tragédie nationale de 1950. Quand le Brésil avait organisé sa première coupe du Monde. Flash-back sur le souvenir le plus cauchemardesque du foot brésilien, dont la récurrence risque de réveiller pour de bon les zombies maléfiiiiiques...
« O Brasil ha de ganhar ! » …Le Brésil se doit de gagner ! En 1950, la rengaine populaire transformée en slogan saturait les ondes radios du pays à l’occasion de cette Coupe du Monde organisée sous les Tropiques. Associé au camp des vainqueurs de la Seconde guerre mondiale, le Brésil s’était cru devenir d’un coup une des plus grandes puissances du monde et s’était improvisé à la hâte organisateur de cette coupe du monde 1950 que personne ne souhaitait accueillir…
Aucun doute, donc : les Brazileiros gagneraient haut la main en juillet ! Et pourtant…Le pays, trop présomptueux, n’avait même pas fini les travaux du gigantesque Maracaña quand débutera la compétition. Un mauvais signe déjà relevé par les plus superstitieux. Et puis, dans ce tournoi final à quatre (Suède, Espagne, Brésil et Uruguay) qui avait zappé les matches à élimination directe après les poules, les Auriverde, eux aussi présomptueux, s’étaient vus trop beaux avant leur dernier match contre l’Uruguay, après les deux tôles infligées aux Suédois (7-1) et aux Espagnols (6-1).
Un nul suffisait aux Brésiliens contre cette Uruguay qui avait nullé face à l’Espagne (2-2). Ces mêmes Brésiliens avaient carrément “oublié” que la Celeste (sélection uruguayenne) était venue les battre chez eux, à Sao Paulo, en avril (3-4)…Et puis, tous les politiciens corrompus n’avaient pas manqué de faire le siège de l’hôtel des joueurs, histoire de poser avantageusement avec les futurs “vainqueurs”, y compris la veille de la finale. Un parasitage mortel, en plus de la pression populaire et médiatique sans précédent. Le journal O Mundo commettra l’erreur fatale de titrer à sa une, sous le cliché du onze brésilien : « Voici les champions du monde ! » . Cette photo provocatrice sera exposée dans le vestiaire des Uruguayens, juste avant la finale. La légende raconte que les joueurs, à tour de rôle, se sont mis à cracher sur l’illustration offensante… Autre “rituel”, côté brésilien : on a appris que les joueurs auriverde furent réveillés très tôt, le dimanche matin de la finale, pour assister à un long office religieux de type “patriotique”, afin de raffermir à l’extrême leurs motivations ! Pire que la lecture de la lettre de Guy Moquet, l’attaquant vedette Ademir témoignera de l’inopportunité ravageuse de cette cérémonie qui brisa l’habituelle mise en condition collective de l’équipe, à quelques heures du plus grand événement de leur vie…
La suite, on la connaît. Le 16 juillet, devant 220 000 supporters déchaînés, l’Uruguay, vainqueur 2-1, assènera au peuple brésilien le plus grand traumatisme de son histoire contemporaine. Ce sera un peu son “11 septembre”…On exagère à peine ! Aucun Brésilien n’a oublié ce jour noir, le raid assassin de Gigghia inscrivant le 2ème but à la 79ème au moment où le nul (1-1) préservait encore la victoire des locaux. Après ce but, des joueurs brésiliens s’effondrent alors que le match n’est pas fini…Le silence de mort au Maracaña Ground Zero. Contrairement à une autre légende, il n’y eut pas de vagues de suicides au pays, juste quelques cas, ainsi que la tentative de suicide aux barbituriques du défenseur Danilo. Le Brésil se trouvera quand même son bouc émissaire en vouant à la malédiction éternelle le pauvre gardien Barbosa, coupable d’avoir encaissé le but de Gigghia. Barbosa, noir de peau (donc “noir” du malheur pour le Brésil raciste de l’époque) sera « condamné à vie » à demeurer gardien du stade Maracaña. On lui offrira même les barres en bois des buts, histoire peut-être de lui suggérer l’auto crucifixion qu’il méritait…Au Brésil, une tradition populaire voulait aussi qu’à chaque Coupe du Monde, la plupart des nouveaux-nés portent le nom des grands joueurs brésiliens qui s’y illustrent. En 1950, cette tradition ne fut pas respectée.
Outre la défaite sportive porteuse de superstitions sur la lose brésilienne éternelle, une autre malédiction pointait, plus générale et tout aussi terrifiante, synthétisée par l’adage funeste local : « Le Brésil, terre de l’avenir qui ne se réalise jamais » . La défaite du 16 juillet 1950 en était l’illustration la plus désespérément probante…
Le Maracaña est maudit. Cette croyance populaire est certes moins vivace qu’autrefois. Sans doute parce que la première victoire du Brésil à la Coupe du Monde 1958 (puis les quatre autres en 1962, 1970, 1994 et 2002) firent mentir la croyance que le mauvais sort s’acharnerait indéfiniment sur la Seleçao. Et puis, le 16 novembre 1969, c’est au Maracaña que Pelé inscrira son 1000ème but contre Vasco de Gama, exorcisant par-là (mais à jamais ?) le sinistre 16 juillet 1950.
N’empêche… La “malédiction” du Maracaña n’oubliera pas de ressurgir dans un pays très religieux, très superstitieux. Outre la pression du résultat, c’est-à-dire la victoire, parce que là-bas, être deuxième, c’est être dernier, on imagine déjà le poids du passé (et son cortège de fantômes !) qui s’abattra sur la Seleçao au jour de la finale, si toutefois elle y parvient …
« Shake off the ghosts » , disent les Anglais. Eloigner les fantômes de 1950…Du point de vue sportif, comme du point de vue économique et culturel, le Brésil s’est lancé un grand défi : faire coïncider le succès de “son” Mundial avec les rêves de modernité et de mieux-être social sans cesse proclamés par Lula. Faire en sorte qu’en 2014 le Brésil soit le pays de l’avenir qui se réalise enfin…Sacré pari et sacrée pression sur la Seleçao, symboliquement missionnée d’office à la réalisation du Grand Projet.
En 2014, Robinho aura 30 ans. Il sera peut-être le capitaine du Brésil, aux côtés de Neymar, la nouvelle petite perle de Santos (15 ans actuellement !). Sûr qu’ils auront pris, comme tous leurs coéquipiers, une double assurance avant ce Mundial : une conversion dès maintenant à la secte évangélique des Athlètes de Dieu (dont font partie Kaka, Adriano, Edmilson ou Ze Roberto), histoire de ne pas se faire lyncher par le peuple, de plus en plus gagné par cette “religion nouvelle” et puis surtout un billet d’avion pour un exil définitif au Portugal. Au cas où…
Chérif Ghemmour
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