CAN ’08 : Entretien avec Walid Regragui
Ancien capitaine des Lions de l'Atlas, découvert par Rudi Garcia à Corbeil-Essonne, Walid Regragui (32 ans) poursuit sa carrière à Grenoble après une parenthèse de deux ans et demi à Santander dans la Liga. Finaliste de la CAN en 2004, l'ex-joueur d'Ajaccio ne s'est jamais caché pour dire ce qu'il pense. Paroles...
Alors Walid, les Lions de l’Atlas vont peut-être rentrer chez eux dès ce soir… Cela va devenir compliqué pour nous. On s’est loupé contre la Guinée et maintenant on doit battre le pays organisateur chez lui, et du coup l’éliminer. Les gars y croient mais bon, on est à la CAN et souvent les arbitres avantagent l’équipe hôte. Déjà que les stades ne sont pas pleins alors si les Black Stars sortent, qu’est-ce que ce sera ? On ne sait jamais, c’est du 60/40 pour la sélection ghanéenne mais les gars sont capables de le faire…
Pour ne pas avoir à jouer à quitte ou double contre le Ghana, il aurait fallu battre le Syli National… Contre la Guinée, je ne sais pas ce qu’il s’est passé. D’abord, je ne comprends pas que Marouane Chamakh ne soit pas titulaire. Contre une défense athlétique, il aurait servi de point d’ancrage, il a les qualités pour ça. Zerka avait été absent huit mois avec Nancy et il est surtout fait pour jouer dans la profondeur. En plus, Henri Michel a aligné trois demi défensifs avec le même profil alors que tous les clignotants étaient au vert. L’équipe était en confiance. Longtemps avec d’autres joueurs, on s’est battus pour que la Fédération marocaine fasse venir un entraîneur expérimenté afin qu’on puisse bénéficier de son expérience dans les moments difficiles et puis là, j’avoue que je ne comprends pas ses choix, et apparemment, on est quelques-uns. Pour moi, c’est le coach qui perd le match tout seul. Pareil pour Talal (el-Karkouri) qui fait toutes les qualifs, inscrit des buts importants, qui est un leader et qui ne joue pas pour des motifs que personne ne connaît. Ses options sont étranges. J’espère qu’il n’a pas dans le crâne l’idée de tout miser sur la Coupe du monde 2010. Il y a d’excellents joueurs comme Boussoufa (Anderlecht), Yaacoubi Moha (Espanyol) et d’autres encore qui n’ont pas été retenus. On se demande encore pourquoi.
Il y a trois mois tu me disais hésiter quant à la marche à suivre rapport à la CAN… Je n’avais pas vraiment décidé. Je n’ai pas été en contact avec Henri. Avec certains dirigeants de la Fédération marocaine, j’ai juste fait un appel du pied au moment du match contre la France. Le coach ne m’a pas pré-sélectionné dans la liste des 30 qui jouaient contre les Bleus et le Sénégal. C’est son choix et je l’ai accepté sans problèmes. Je souhaitais juste être sur la liste des 23 pour apporter mon expérience, rentrer en cours de match, etc. Une CAN se joue souvent à de petits détails, c’est là que les anciens et les leaders t’apportent un supplément d’âme, de vécu qui font parfois basculer les matchs du bon côté.
Tu étais optimiste avant cette CAN ? Tous les clignotants étaient au vert et surtout, les dirigeants semblaient avoir compris les priorités d’une équipe nationale. L’équipe contre la France, par exemple, c’était la même que celle de 2004, (Ndlr : finaliste de la CAN et qui rate le Mondial 2006 d’un rien) avec Naybet en moins, Sektioui (Porto) en plus et Chrétien à ma place. On a perdu du temps avec cette génération. On avait le niveau mais la Fédé ne nous offrait que des matchs galère où il n’y avait rien à gagner. Aujourd’hui, on peut affronter de grosses cylindrées européennes ou sud-américaines. Alors, oui, j’étais plutôt confiant avant le début de l’épreuve.
A quel niveau tu situes cette édition ? Je ne peux pas te le dire maintenant car une CAN à seize équipes ne commence vraiment qu’à partir des quarts de finale. Avant, les gros jouent avec le frein à main, ils gèrent. Ensuite, sur un match, tout devient possible. J’ai été bluffé par l’Egypte, surtout dans son match contre le Cameroun. Il faudra compter avec elle pour défendre son titre. Comme tout le monde, je crois que les Eléphants ivoiriens sont au-dessus du lot. Le Mali, que je voyais gros comme une maison, m’a déçu. Le Cameroun : on ne sait pas où se situe son vrai niveau de jeu mais bon, quand tu as Eto’o avec toi…Et puis, il y a le Ghana, qui même s’il a démontré ses limites contre la Namibie, reste le pays organisateur, alors…
Beaucoup d’observateurs déplorent le niveau de jeu… C’est toujours la même histoire. A la CAN, les joueurs africains qui évoluent en Europe jouent à l’africaine. Quand je regarde la Copa America, je me fais la même réflexion. Les stars argentines et brésiliennes ne jouent pas comme dans leurs clubs. Le rythme n’est pas le même, elles doivent composer avec la chaleur, avec l’humidité. Le jeu est plus lent, plus heurté. Chaque tournoi continental possède ses propres spécificités, son contexte. D’ailleurs, lorsque les équipes africaines ou asiatiques rencontrent des équipes européennes ou sud-américaines en amical ou au Mondial, elles ne sont pas ridicules, loin de là.
En tant que Marocain né en France, tu en as pensé quoi de la Marseillaise qui se fait siffler lors du match de novembre dernier ? Oh là, il me faudrait plusieurs heures pour répondre correctement à une question pareille. Je crois que cela concerne des gens un peu perdus qui viennent au stade pour faire les malins. Ils ont la fibre patriotique dix minutes et puis ils regrettent. Ce sont probablement les mêmes qui sifflaient la Marseillaise en novembre et qui défilaient dans Paris quand la France est allée en finale de la coupe du monde un an et demi plus tôt. Je ne leur jette pas la pierre car je les comprends. Est-ce qu’on leur fait vraiment sentir qu’ils sont Français ? Pourquoi sifflent-ils l’hymne national ? Je crois que deux minutes après ils ne le savent pas eux-mêmes et ils regrettent mais bon, comme je te disais, c’est un problème extrêmement complexe qu’on ne peut appréhender en deux minutes…
Comment expliques-tu que les Algériens, qui ont rivalisé avec l’Argentine et le Brésil l’été dernier en amical, soient absents au Ghana ? Quand on voit des équipes comme la Namibie ou le Soudan, on peut effectivement se poser la question de l’absence des Fennecs. Certains devraient faire leur auto-critique là-bas, notamment à la Fédération. Comme le disait récemment Didier (Drogba), les dirigeants ne sont pas professionnels, contrairement aux joueurs. Les joueurs algériens devraient menacer leurs dirigeants de boycott pour faire avancer les choses. Eto’o et Drogba me font plaisir à s’impliquer à fond dans leur sélection. La plupart des dirigeants ne comprennent pas que les détails font la différence. Ils préfèrent prendre une chambre à 30 euros plutôt qu’à 130 au prétexte qu’il y a quatre murs dans chacune. Le confort qui en découle les dépasse. C’est le genre de trucs qui fait hurler les supporters au pays. Pareil, par exemple, pour les survêtements : longtemps, on a eu des XXL, que tu mesures 1,65m ou 1,90m, c’était la même. Certaines fois, on ne ressemblait à rien. Un joueur a besoin de se sentir valorisé, de donner une bonne image. En bout de ligne, cette accumulation de détails fait la différence entre les structures professionnelles et les autres. Aujourd’hui, par exemple, peut-être parce que leurs joueurs évoluent dans les meilleurs clubs européens, la délégation ivoirienne est ultra organisée et tout le monde va dans le même sens, joueurs comme encadrement. Comme par hasard, ils vivent la meilleure période de leur histoire…
Propos recueillis par Rico N’Rizzitelli
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