C.Tevez : Apache Red Peacock
Il y a quatre types de joueurs. Ceux qui ne retrouveront jamais leur niveau (Ronaldinho), ceux que l'on replace en défense à cause de l'âge (Matthaus), ou encore ceux qui deviennent meilleur buteur de la Bundesliga après un passage à Dijon, comme Ibisevic. Et puis, il y a ceux qui ont tout simplement changé leur manière de jouer. C'est le cas de Carlos Tevez. Aujourd'hui ‘l'Apache' est le remplaçant de luxe de Berbatov. La preuve, vendredi, il a offert la victoire à MU à 10 minutes de la fin, à Stoke.
C’est con à dire, mais rares sont les fois où un Bulgare aura mis un Argentin au placard. Ferguson a beau aimer les puncheurs, il n’empêche, le manager écossais est comme tout le monde et semble apprécier le flegme et la classe du sosie d’Andy Garcia, plutôt que la grinta de l’ancien joueur de Boca.
Berbatov à la place de l’international albiceleste, ce n’est pas qu’une question d’esthétique, c’est surtout et avant tout une question de complémentarité avec le titulaire incontesté à la pointe des Reds, “Shrek” Rooney. L’année dernière pourtant, le balafré et le goret britannique avaient marqué plus de buts pour MU à cette même période de l’année. Problème : Ferguson semblait vouloir trouver un point d’ancrage dans une équipe où les lignes offensives étaient quelques fois trop fuyantes à son goût : « Mon duo d’attaquants me convient parfaitement, mais ils ont tous les deux des caractéristiques similaires. Sur le terrain, on manque de perspectives et de recours lorsque les rivaux défendent tous dans les seize mètres » .
Avec Berbatov, Manchester a cassé sa tirelire pour trouver le pivot qui lui faisait défaut. Carlitos Tevez a quant a lui retrouvé sa place dans les tribunes. Depuis son arrivée en Angleterre, il y a bientôt trois ans, c’est malheureusement devenu une habitude pour cet amateur de cumbia.
Avant son arrivée dans la perfide Albion, Tevez n’avait jamais ciré le banc. Héros en Argentine et sanctifié au Brésil, l’Apache régalait la chique comme personne en Amérique du Sud. A l’époque, beaucoup s’accordaient même à dire qu’il deviendrait un jour ou l’autre l’énième successeur de Maradona. Diego Himself raconta n’importe quoi.
En 2004, quand Tevez arrive enfin à jouer dans l’équipe première des Xeneizes, il fait rapidement sensation grâce à des démarrages explosifs balle au pied, son sang-froid devant le but, ses passements de jambes pour régaler la galerie et ses paraboles dans les lucarnes. El Maestro Tabarez, son premier entraîneur en pro, le fait d’abord jouer au milieu de terrain pour profiter de sa percussion avant que son remplaçant Bianchi ne le place définitivement en pointe.
Pourtant Tevez n’est pas un avant-centre classique ; il ne fait pas partie de ceux qui attendent la balle et se contentent de toucher le ballon cinq fois par match. Bianchi l’encourage même à dévorer des espaces : « Tevez est un génie qui doit évoluer dans une zone située entre le milieu de terrain et l’attaque pour exister. Ce n’est pas un milieu de terrain, ni un avant-centre, c’est un accélérateur de jeu qui construit des autoroutes dans les défenses adverses » .
Tevez est donc libre de faire à peu près tout ce qu’il veut sur le front de l’attaque, chose qu’il fait à la perfection. L’Argentine aime les vilains petits canards qui se défoncent sur le terrain, les gueules ravagées capables de faire lever un stade et ceux qui ne peuvent s’empêcher de placer le mot « couille » à chacune de leurs phrases. Tous les pays du monde ont leur Ribéry et Tevez en est peut-être devenu historiquement l’un des premiers prototypes.
Quelques mois après avoir débuté en première division, Boca se déplace au Camp Nou pour participer au tournoi Joan Gamper. L’Europe découvre le phénomène qui place ce soir-là une accélération foudroyante avant de pétrifier Valdes et les Blaugranas d’une mine des trente mètres en pleine course, et pour ne rien gâcher, en pleine lucarne. Tevez devient alors le “Boy Next Door” pour tous les gros clubs européens, parmi lesquels le Real, le Barça, l’Inter Milan ou encore Arsenal. Interrogé sur un possible débarquement en Europe, l’Apache ne montre à l’époque pas vraiment d’entrain et répond la chose suivante : « Jouer ici ou en Europe, je m’en bats les couilles, je ne pense pas à ça » . Borderline, c’est sa profession. Après tout, c’est là où il s’exprime le mieux sur le pré : entre les lignes.
Après 38 buts en 110 matchs avec Boca, Tevez est expédié aux Corinthians avec Mascherano. Un choix certes bizarre mais dicté par l’entreprise controversée qui détient les droits du joueur. Les Européens l’ont un peu mauvaise, d’autant que Tevez fait un tabac au pays du Joga Bonito. Avec le Timao, il marque 31 fois en 47 matchs puis est consacré “meilleur joueur du championnat brésilien”. Tevez est l’idole de la torcida et devient « le joueur du peuple » pour les supporters de Sao Paulo. ‘O Apache’ est au zénith de sa forme. C’est pourtant la dernière fois qu’on reverra un Tevez aussi brillant techniquement…
En 2006, en effet, Tevez, toujours accompagné de Mascherano, fait la connerie de sa vie en débarquant à West Ham. C’est à ce moment-là que commence sa mutation. Alan Pardew, le coach des Hammers, décide d’en faire un homme de couloir pour profiter de l’impact physique de l’Argentin. Tevez se transforme en Dirk Kuyt façon latino et oublie de mettre des buts. West Ham est à la rue au classement, les Argentins sont remplaçants, mais Alan Curbishley, le remplaçant de Pardew, va éviter la rétrogradation du club en redonnant confiance à Tevez dans l’axe de l’attaque. Comme un symbole, ce dernier sauvera les Hammers grâce à un but décisif à la dernière journée. La première saison est pourtant un bide retentissant pour Tevez, incapable de s’adapter aux vilaines joutes anglaises.
Sir Alex décide pourtant de le recruter. Le changement de style de jeu s’accentue encore plus avec son arrivée à Manchester. Fini les passements de jambes et les déchets techniques. Place à l’impact physique et à la combativité. Tevez devient un petit tank qui affiche 19 buts à son compteur pour sa première saison chez les Reds. Pas mal pour l’Angleterre, un gâchis pour l’Argentine, et notamment pour son ancien sélectionneur Coco Basile : « Ça me désole de voir autant courir Tevez. Où est passé le joueur qui dribblait, qui feintait, qui tirait au but ? Je ne le reconnais plus et j’ai envie de revoir en séléction le joueur racé qu’il était en Argentine et au Brésil ! » .
En musclant son jeu, Tevez a en effet perdu ce qui l’avait fait découvrir au public sud-américain : la magie et la spontanéité. Et comme tous les ex-futurs successeurs de Maradona, Tevez a un peu perdu de son aura en franchissant l’Atlantique. Après une première bonne saison, le bad boy ronge ses ongles sur le banc de touche. Du coup il déprime un peu : « En Angleterre, j’ai beaucoup changé, pas parce que je le voulais, mais parce que je devais le faire… Je cours beaucoup plus sur un terrain et franchement je m’amuse beaucoup moins. Je regrette vraiment l’époque où je marquais des jolis buts et où j’amusais le public. Je veux redevenir celui que j’étais avant et je vais me sortir les couilles pour y parvenir ! » . Le classieux Berbatov n’a qu’à bien se tenir…
Par Javier Prieto Santos
Manchester United – Middlesbrough, ce soir, 21h
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