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Bautista-Agut, une vie en sous-marin

Par Antoine Donnarieix
Bautista-Agut, une vie en sous-marin

Éliminé au troisième tour de Roland-Garros par Pablo Carreno-Busta (6-4, 6-3, 5-7, 6-4), Roberto Bautista-Agut s’est fait bercer par autre chose que le tennis lors de sa jeunesse. Recruté dans le centre de formation de Villarreal entre 1999 et 2002, la tête de série numéro 10 du tournoi préférait le football à son métier actuel. Mais un jour, il fallait trancher. Coup de rétro.

À première vue, il apparaît difficile d’imaginer Roberto Bautista-Agut frustré au moment de constater sa progression sur le plan professionnel : finaliste du Masters de Shanghai en 2016, vainqueur du tournoi ATP de Dubaï en 2018, vainqueur du tournoi ATP de Doha, quart-de-finaliste de l’Open d’Australie, demi-finaliste à Wimbledon et vainqueur de la Coupe Davis avec l’Espagne en 2019, le tennisman se hisse parmi les meilleurs de sa discipline à maintenant 32 ans. Une consécration ? Pas vraiment. « Quand je joue au football, je cours comme un fou sur le terrain et derrière, je dois rester cinq jours sans bouger, explique l’intéressé pour le magazine Panenka en août dernier. J’aime beaucoup, j’adore le football. Quand je prendrai ma retraite, je reviendrai y jouer. Je ne sais pas si ce sera dans une ligue de communauté autonome, en régional ou déjà chez les vétérans, mais je reviendrai dans le football. Et je donnerai tout ce que je n’ai pas pu donner ces dernières années. » Et pour cause : Bautista-Agut avait tapé dans l’œil de Villarreal avant de définitivement taper dans la balle jaune.

De La Cruz : « Roberto savait tirer dans le ballon avec une force et une précision redoutables »

Originaire de Castellón de la Plana, le jeune Roberto joue au Castalia, club de son village situé au cœur de la communauté valencienne avec son père Joaquín, ancien joueur de l’équipe première de Villarreal, comme entraîneur particulier. Mais dès ses onze ans, le garçon franchit l’étape et intègre la pouponnière de Villarreal. « Dès le départ, j’ai senti un bon feeling avec lui, se souvient Salva De La Cruz, ancien coéquipier de Bautista-Agut chez les U11 des Amarillos (Jaunes, en VF). Une fois, il est venu dormir à la maison de mes parents, c’était devenu un copain. Roberto est charismatique, il dégage un esprit de leader. Il avait deux postes : soit avant-centre, soit attaquant de soutien. À cet âge-là, il était déjà fait pour pratiquer le sport de haut niveau : son caractère était bien plus marqué que celui des autres, il dégageait une puissance supérieure à la moyenne et un esprit de compétition très important. Il avait une envie débordante d’aller au duel au moment d’arracher un ballon perdu. Je savais qu’il jouait également au tennis en parallèle, c’était d’ailleurs assez curieux pour nous, car le football était le sport dans lequel nous souhaitions tous réussir. Mais lui, il avait ce double statut. »

Rapidement devenu capitaine de l’équipe, Bautista-Agut détonne par ses capacités physiques au point d’impressionner ses partenaires. « En tant que gardien, je suis quelqu’un de courageux, explique De La Cruz, ancien portier du CD Ebro jusqu’au mois d’août 2020. Mais quand Roberto frappait au but lors des entraînements, je savais que j’allais passer un moment difficile. En fait, c’était paradoxal : Roberto savait tirer dans le ballon avec une force et une précision redoutables depuis l’extérieur de la surface, alors que ses jambes étaient plutôt fines ! On se demandait d’où il sortait toute cette puissance pour taper dans la balle… » Sans doute une question d’équilibre à l’instant décisif, une attitude également fondamentale pour envoyer des parpaings dévastateurs sur un court. « L’année suivante, il était surclassé d’une catégorie, ce qui était rare, poursuit De La Cruz. À cet âge, tu sais que le physique joue un rôle fondamental. Mais lui, ça ne lui posait pas de problème, il était à la hauteur des attentes placées en lui. Le souci, c’est que cela n’a pas duré longtemps, car de mémoire, il n’avait pas terminé la saison. » La faute à un replacement tactique de son entraîneur en U13 qui le fait passer d’attaquant à milieu de terrain dans un couloir, un poste qu’il affectionne moins, et un planning surchargé entraînant une décision sportive déchirante après deux années et demie sous le pavillon du Sous-Marin jaune.

Le rêve du Madrigal et les chevaux pour s’évader

« On s’entraînait les lundi, mercredi et vendredi, rembobine Bautista-Agut. Le jeudi, nous avions aussi entraînement, mais j’expliquais que j’avais des cours d’anglais, alors que j’allais au tennis. J’allais aussi au tennis le mardi et le samedi. Physiquement, j’étais un monstre. Mais à mes quatorze ans, je me suis dit : « Ce n’est plus possible, j’abandonne. Stop. » Et j’ai lâché. C’était dur, très dur à vivre, mon pire souvenir lié au football. Au-delà des deux relégations et de la demi-finale de Ligue des champions perdue contre Arsenal en 2006. D’un coup, tu te retrouves à t’entraîner sur une piste où tu es seul. Tu joues, tu t’entraînes et tu voyages seul.(…)Quand j’étais gamin, j’étais meilleur au football, mais à cet âge-là, tu ne prends pas conscience de cela et tu analyses seulement où est-ce que tu te sens le mieux à l’instant précis. » Dix-huit ans après, la magie dégagée par le football n’a pas quitté l’homme qui voyait son père, décédé en novembre dernier, et Raúl González Blanco comme des modèles à suivre.

« Je n’ai jamais rêvé de gagner un tournoi de tennis, poursuit l’intéressé. Mais j’ai rêvé des dizaines, centaines et milliers de fois que je marquais un but au Madrigal, au Bernabéu ou au Camp Nou. Ça m’arrivait quand j’étais petit, et cela m’arrive encore aujourd’hui. » S’il est devenu fan de Villarreal parmi d’autres, Bautista-Agut garde aussi en mémoire la fabuleuse sensation de soulever la Coupe Davis au Madrigal l’an passé. Une forme d’accomplissement par substitution pour le natif de la région. « On se voyait de temps en temps pour aller faire un tour dans le centre-ville de Valence, conclut De La Cruz. Roberto était un garçon avec un esprit très tranquille en dehors des terrains de foot. C’était déjà un énorme bosseur, un type humble. Il aimait monter à cheval et faire un tour dans les montagnes quand il avait du temps libre. Aujourd’hui, il possède encore des chevaux dans la maison de son village pour se balader et passer du temps avec ses amis proches. » Le parfait passe-temps pour une existence menée au galop.

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Par Antoine Donnarieix

Propos de De La Cruz recueillis par AD.

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