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Après la sortie de Longoria, comment définir l’entraîneur français ?

Par Thibaud Leplat
Après la sortie de Longoria, comment définir l’entraîneur français ?

Les réactions suscitées par les propos de Pablo Longoria sur la formation française, qui n'ont pas fait plaisir aux techniciens du pays, ont ressuscité une controverse que beaucoup pensaient enterrée. C’est que le problème est ancien et profond, puisqu'on ne conteste pas impunément les dogmes de la Sainte Inquisition.

Sans vouloir jouer les tragiques, il est rare que les optimistes aient raison bien longtemps. Depuis lundi dernier et la publication d’un entretien avec Diego Torres dans El País, le président de l’OM Pablo Longaria est la cible d’attaques virulentes de la part d’une poignée de vexés. Par ordre d’apparition — comme dans les films de gangsters —, on compte Antoine Kombouaré qui dégaine le premier en conférence de presse : « C’est qui, Pablo Longoria ? Depuis quand il est président ? » Juste derrière lui, son acolyte Rudi Garcia, coach lyonnais un peu plus documenté, abonde face aux médias : « On devrait être meilleur dans le lobbying. » Bruno Genesio, entraîneur de Rennes, confirme dans un style plus « corpo » devant les médias quelques minutes plus tard : « Les coachs français ne sont pas assez mis en avant, ils n’ont pas la carte. » Clou du spectacle avec Frédéric Antonetti, préparateur messin moitié Pagnol/moitié Brise de mer, toujours en conférence : « Je crois que l’un des dirigeants de Valence l’a traité de lâche et de menteur ? Si on disait ça de moi, je ne serais pas très fier. » Spectacle hypnotique. Cela dit, ils sont aussi très nombreux dans le même temps à comprendre le questionnement de Longoria tout en s’excusant de ne pouvoir s’exprimer publiquement par peur des représailles bureaucratiques. C’est que le mal est profond, et la peur de déplaire à la sacro-sainte Direction technique nationale plus grande encore.

Vichy, De Gaulle et Gabriel Hanot

Le problème est ancien. Il remonte à 1942, en pleine Occupation. Les années noires ont donné naissance au premier stage d’entraîneurs de football (dont Gabriel Hanot, futur fondateur du journal L’Équipe, est le directeur) et inventeront par la même occasion la profession d’entraîneur. Pour les autorités réactionnaires de Vichy (allergiques aux mœurs du professionnalisme), il ne s’agissait en effet pas seulement de structurer une corporation à partir de compétences techniques (le métier d’entraîneur de football existait depuis longtemps, en Angleterre notamment), mais de le débarrasser des dérives mercantiles. Être « entraîneur français » n’est donc pas, dès l’origine, une simple histoire de passeport : c’est un gage de moralité. Le football — le pouvoir gaullien l’a parfaitement compris dans les années qui ont suivi, en poursuivant la structuration des fédérations sportives — est l’occasion rêvée d’organiser les corps, tout en régulant les pensées de la jeunesse française.

Ainsi, la figure centrale de l’édifice du football français tel que va le construire Georges Boulogne (cumulant pendant vingt ans les fonctions de DTN et de secrétaire général de l’Amicale des entraîneurs, aujourd’hui UNECATEF) est l’éducateur sportif. Là où, dans les autres pays, la transmission des compétences se faisaient depuis un demi-siècle de manière informelle autour de personnalités aux compétences techniques reconnues, la France a de son côté inventé une nouvelle matrice bureaucratique et a ajouté à une mission purement technique une pesante responsabilité morale. L’entraîneur français n’est pas seulement un technicien, c’est d’abord un éducateur.

Le péché originel de Longoria

Dès lors, délivrant à la fois diplôme, emploi et respectabilité, la Direction technique nationale (créée en 1971) est progressivement devenue l’instance unique de régulation de la profession en confondant bien souvent prérogatives administratives (délivrer des diplômes), professionnelles (recommander les profils de tel ou tel, auprès des dirigeants de clubs) et idéologiques (transmettre une certaine vision du monde). Depuis toujours, donc, attaquer la DTN n’est pas s’en prendre à quelques fonctionnaires pointilleux, c’est attaquer l’édifice du football français lui-même. Au point que la moindre contradiction est perçue comme une intolérable apostasie. Depuis Boulogne, le Grand Inquisiteur, la maxime est connue de tous. La désobéissance peut coûter une disgrâce (et une carrière). On le constate bien, ces derniers jours, au travers des ripostes publiques et privées des affidés à la fédération. Si Longoria — dont le péché originel est d’avoir embauché un entraîneur étranger, rappelons-le — interroge le modèle de formation des jeunes footballeurs français, il rouvre tout à coup une blessure profonde dans notre football.

Hubert Fournier, actuel DTN, n’a pas manqué de le lui rappeler sur le site Foot Mercato : « Cela a été le travail de plusieurs décennies de la fédération et des clubs pour arriver à faire de la France un pays référence en matière de formation des jeunes vers le haut niveau. » En effet, l’histoire pèse lourd au Saint-Siège. Pourtant, cette controverse repose sur un malentendu. Ce qui pose problème, ce n’est pas la structure administrative. Le système de détection, de préformation, de formation tel qu’il est mis en œuvre en France est performant et imité par beaucoup de fédérations étrangères. À commencer par notre grande voisine, la fédération espagnole. Les réformes y sont nécessaires, certes, mais uniquement à la marge. Ce qui pose en revanche question et demeure impensé est l’idée que la structure administrative puisse être neutre et bienveillante, hermétique à toute idéologie. Tout en prônant, de fait, exactement le contraire. L’administration de notre football ne se contente pas d’organiser des compétences et des compétitions, elle défend autant une vision du monde qu’une définition de l’entraîneur français. Elle a voulu faire la loi, elle a fait aussi la morale.

Du doute au dogme

L’entraîneur français jusqu’à l’avènement de la DTN était donc encore l’héritier de Descartes, homme du doute méthodique et de la rationalité. Questionnant ses propres croyances autant qu’il avançait sur le chemin de la connaissance, son héritage reste immense au-delà de nos frontières. Les références aux penseurs français sont multiples (Morin, Foucault et Merleau-Ponty entre autres), les principes de l’école rémoise (années 1950) ou de l’école nantaise (des années 1960 aux années 2000) demeurent (par exemple) étudiés sur les rives de la Mersey au point d’inspirer le staff de Manchester City. Ces principes tiennent en une seule intuition : le football est un jeu collectif, c’est-à-dire une activité humaine entretenant des rapports de sens. Le reste n’est qu’une longue conversation faite d’ajustements, d’exercices, de retour en arrière, de progrès discontinus à partir de ce commun postulat de départ. Le glorieux triptyque est connu des nostalgiques : Batteux, Arribas, Hidalgo. On en trouve encore la trace, aujourd’hui, dans certains centres de formation avant-gardistes français.

Mais depuis l’avènement des bureaucrates, beaucoup de choses ont changé. L’entraîneur français tel que prôné par la Sainte Inquisition n’est plus l’homme du doute, il est l’homme du dogme. Accroché à ses maximes et à ses recettes, son enseignement n’est plus celui de la réflexivité ou de l’autonomie de jugement. Mais plutôt du réflexe, et de la pensée magique. Il a beau s’ouvrir de temps à autre au voyageur de passage — davantage par coquetterie que par conviction —, son enseignement demeure hiérarchique et prescriptif. C’est le sens véritable des deux étoiles plantées dans le jardin du château de Clairefontaine, comme un avertissement adressé au futur stagiaire. On ne conteste pas les enseignements d’une fédération double championne du monde, si l’on tient à son diplôme en tout cas. D’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement ? Ils ont raison. La preuve, il sont au pouvoir.

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