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Allemagne-Italie 1970, vraiment le match du siècle ?

Par Nicolas Kssis-Martov
Allemagne-Italie 1970, vraiment le match du siècle ?

L'Allemagne va de nouveau goûter à son poison italien. Peu importe le niveau de la Nazionale, elle reste un cauchemar pour la Mannschaft. D'autant plus qu'elle s'est permis de remporter le « match du siècle » – décrété par un jury de 50 personnalités – lors du Mondial 1970 au Mexique. Depuis, toutes les confrontations rejouent cette guerre des mémoires et en rajoutent dans la saga.

À tous ceux qui se sont demandé comment la France avait pu laisser filer la victoire à Séville en 1982 contre une Allemagne qui prenait l’eau, une réponse s’impose : l’Italie avait déjà gagné ce match en 1970, contre ces mêmes et diaboliques adversaires, dans des circonstances assez similaires. « Les Allemands, c’étaient nous » , aurait lancé Angelo Domenghini à la sortie du terrain, avec un certain talent divinatoire finalement. Nous voici donc au cœur des merveilleuses contradictions du rapport entre le foot et la mémoire collective qui, comme l’expliquait le sociologue Maurice Halbwachs, « ne conserve pas le passé, mais elle le reconstruit à l’aide des traces matérielles, des rites, des traditions qu’il a laissés, et aussi à l’aide des données psychologiques et sociales récentes, c’est-à-dire avec le présent » .

Plaque commémorative à l’Estadio Azteca

Bref, peu importe la réalité de ce qu’il s’est effectivement passé lors de ces 120 minutes, la trace laissée dans les cœurs et les narrations familiales comme la « Partita del Secolo » , ou le « Jahrhundertspiel » de l’autre coté du Rhin, s’impose en matière de « légitimité » , et un million de vues sur YouTube n’y changeront plus rien. L’Estadio Azteca porte ainsi une plaque commémorative qui résume bien cet enjeu : « El Estadio Azteca rinde homenaje a las selecciones de Italia (4) y Alemania (3) protagonistas en el Mundial de 1970, del « Partido del Siglo » 17 de junio de 1970. » ( « Le stade Azteca rend hommage aux équipes nationales de l’Italie (4) et l’Allemagne (3), qui ont joué pour cette Coupe du monde de la FIFA 1970 le « match​​ du siècle ». 17 juin 1970. » ). Un hommage n’est pas un titre ni un trophée. C’est presque plus dur à remporter.

Tout d’abord, visiter ce match patrimonial de l’épopée des Coupes du monde constitue un excellent remède contre la fâcheuse tendance au gallicanisme footballistique, qui pousse toujours à ramener l’histoire du football à nos petits traumatismes nationaux. Hors de nos frontières et de l’Hexagone, il existe des rencontres qui ont infiniment plus illuminé leur temps que le drame de Séville ou le coup de boule de Zidane. Pour nos amis germains en particulier, si 1982 ne se révèle être qu’une demi-finale supplémentaire, gagnée certes un peu plus difficilement que prévu, l’injustice de 1966 (avec son célèbre soviet linesman qui aurait vengé Stalingrad), et surtout ce choc monstrueux contre l’Italie en 1970, ont bien davantage pris leur place dans le panthéon germanique du ballon rond. Preuve que, y compris outre-Rhin, le culte de la victoire sait composer avec un certain romantisme très XIXe.

La renaissance d’une nation

Toutefois, c’est bel et bien dans la Botte que cette journée n’en finit pas d’alimenter la machine mémorielle, au point que les guides touristiques y consacrent parfois un petit encadré pour expliquer le football aux touristes de passage qui risqueraient de penser que ce n’est que du foot. « C’est vraiment un match à part qui signale pour les Italiens une forme de renaissance, détaille l’historien Fabien Archambault. Pour une nation de paysans à l’industrialisation tardive, battre les Allemands indique une revanche et un renversement du rapport de force, sportif et symbolique. » Au point même d’occulter, partiellement, la cinglante défaite en finale contre le Brésil d’un Pelé crépusculaire. Rappelons néanmoins que le retour au pays a été moins anecdotique pour tout le monde. Walter Mandelli, le responsable fédéral de l’équipe, se souvient que des jeunes gens portant parfois des signes maoïstes ont brûlé des effigies « Vive Rivera, Mandelli en prison » , et que sa fille a reçu un coup de poing.

Tous les éléments y étaient rassemblés. Deux grandes équipes, avec déjà leurs petites étoiles sur le maillot, et d’immenses joueurs, un face-à-face dantesque. Une Italie qui règne sur l’Europe avec ses deux Milans, et des Allemands qui ont soif de revanche et de reconnaissance, surtout après avoir écarté en quarts une Angleterre arrogante, qui avait cru le match plié à 2 à 0 (score final 3-2 ap). Malgré, ou peut-être à cause d’une chaleur assommante (Gerd Müller aurait perdu 7 kilos), l’affiche tiendra ses promesses, et cela devant 102 00 spectateurs qui ne regrettent sûrement toujours pas aujourd’hui aucune de leur goutte de sueur.

La télé inventa « les matchs du siècles »

Après un temps réglementaire où les deux formations se sont neutralisées (1-1), la prolongation réinvente un autre match en forme de course contre la montre. Une poursuite infernale dans laquelle la Mannschaft repasse devant avant d’être rejointe sur un but, son seul en sélection, de Tarcisio Burgnich de l’Inter, puis dépassé sur un goal de Luigi Riva, de Cagliari, à la 104e minute, qui crucifie Sepp Meier, le portier – déjà – du Bayern. Gerd Müller doit se dire qu’il réalise le chef-d’œuvre de sa vie quand il égalise six minutes plus tard. Dans les studios, on rembobine tranquillement les bandes pour le ralenti, lorsque Giovanni Rivera profite d’un moment de flottement, et sûrement d’épuisement, pour achever définitivement les espoirs allemands, sous le regard impuissant d’un Franz Beckenbauer le bras en écharpe (une clavicule cassée à la suite d’un choc), resté sur le terrain un peu inutilement, puisque les deux remplacements autorisés ont déjà été effectués. Cette image du Deutsch Held sera souvent employée par la suite pour transformer cette défaite en héroïque résistance et modèle du fair-play qualität.

La dramaturgie est posée. Néanmoins, si ce match peut aujourd’hui se trimbaler une si flatteuse image, il le doit aussi à son époque et à une petite lucarne qui commence à reformater la place du foot dans le disque dur de nos sociétés. Il s’agit en effet d’une des premières rencontres à profiter d’une telle diffusion audiovisuelle, et pour la première fois en couleur, ce qui, sous le soleil mexicain, n’est pas un banal détail visuel. Même en France, éliminée en phase qualificative, 20 des 32 matchs de l’épreuve sont proposés au public, et ceci malgré un décalage horaire pas vraiment entré dans les moeurs. De l’autre côté des Alpes, 18 millions de paires d’yeux contemplent la demi-finale, et leurs oreilles saignent de bonheur en entendant exulter, à deux heures du matin, dans la nuit du 17 au 18 juin 1970, le présentateur Nando Martellini « Riverarretee ! Rivera ancora, quattro a tre ! » puis « Quel match merveilleux, téléspectateurs italiens ! »

Style de jeu en rupture des canons traditionnels

Cette nuit devient mexicaine et embrasse la péninsule. La Gazzetta dello Sport s’émerveille comme devant un succès en finale : « Tous semblaient ivres, mais ils étaient ivres de joie. » Même l’Unita, journal du PCI (Parti communiste italien qui frôle à ce moment les 28% aux élections) s’ébahit, n’hésite pas à attribuer une signification politique à cette communion : « À certains moments, j’ai cru revoir certains aspects de Paris en mai 68, à savoir le même bonheur de se parler en dehors de toute convention, d’être libre en dehors de toute contrainte. » (L’Unità, 23 juin 1970)

Il est vrai que la manière dont la Nazionale a pris le dessus brise bien des clichés et réconcilie une jeunesse italienne avec un football davantage à son image. « Le style de jeu très offensif s’avérait en rupture du catenaccio, explique l’historien Fabien Archambault. La presse proche des communistes assimilait alors ce dernier à la démocratie chrétienne vieillissante. Cette victoire semblait indiquer, même sur le terrain, un changement en cours. » Nando Dalla Chiesa, le fils du célèbre général abattu par la mafia à Palerme, raconte, du haut de ses souvenirs de jeunesse militante, sa joie devant cette « première, merveilleuse constatation que, dans la vie, si l’on est courageux, on peut même gagner » . Guy Debord l’aurait exprimé autrement : « À mesure que la nécessité se trouve socialement rêvée, le rêve devient nécessaire. » Les Italiens seront-ils situationnistes ce samedi soir ?

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