Affaire Kébé : cris et emballement

Rappel des faits : Libourne, 18ème, reçoit vendredi14 septembre le Sporting de Bastia, 16ème, dans un match qui sent déjà, après six journées, le spectre de la descente en National. Soit : nakache les droits TV et un statut pro suspendu à une remontée dans les deux saisons à venir, autant dire le bagne, une saison dans la jungle poisseuse de Koh Lanta sans Jade pour se détendre un peu les arpions le soir au coin du feu.

A la 85ème minute, l’attaquant des Pingouins, Boubakar Kébé, est exclu par l’arbitre principal, Nicolas Rainville, pour avoir « proféré un geste obscène » , en fait ce qu’il est convenu d’appeler un doigt d’honneur, à l’adresse des quelques dizaines de supporters bastiais qui avaient effectué le chaud déplacement au stade Jean-Antoine Moueix, en réponse à de soi-disantes insultes racistes.

Pour son premier match dans la « meilleure Ligue 2 d’Europe » , le petit Nicolas, 25 ans, applique le règlement à la lettre. Peu importent les raisons du pétage de plomb. Selon le joueur, l’arbitre se serait même permis un avis sur l’attitude des supporters corses : « De toute façon, ils ont payé leur place, ils font ce qu’ils veulent, vous n’avez pas à vous comporter de la sorte » . Manque de bol pour Kébé, dans les cinq dernières minutes de la rencontre, le Sporting plante deux buts et remporte le match 4-2. Cela fait au moins une bonne raison pour rendre le joueur responsable de la cinquième défaite des Pingouins.

Dans les vestiaires, le président de Libourne et son entraîneur, Didier Tholot, sont furax. Ils envisagent d’ailleurs de mettre Kébé à l’amende pour sa conduite inappropriée. Le lendemain, une brêve de l’AFP rapporte l’incident et l’affaire Kébé commence à prendre des proportions nationales voire internationales, la BBC, par exemple, signale l’incident sur son site. Dimanche matin, l’hyper-réactif Frédéric Thiriez, président de la LFP, contacte son homologue de Libourne Saint-Seurin pour lui rappeler combien la lutte contre le racisme demeure sa priorité. Par un retournement de veste aussi subtil que rapide, le club girondin se déclare alors, dans la foulée, solidaire de son joueur, porte plainte et demande à ce dernier de faire de même. Pendant la nuit, les dirigeants ont dû rapidement se dire qu’il y avait peut-être trois points à récupérer sur tapis vert.

Dans la foulée, la LICRA se fend d’un obligé communiqué dans lequel elle espère « une position claire de la LFP » que l’on pourrait traduire par une sanction exemplaire. Plus douteux, la LICRA rappelle au passage le casier déjà lourd des supporters bastiais, en évoquant notamment les affaires Chimbonda et Matingu, dans ce qui ressemble à un amalgame. Comme d’habitude dans ce genre d’affaire, chacun joue son rôle à la perfection.

Autre victime collatérale de l’affaire, l’arbitre : Nicolas Rainville. Impossible de vérifier les propos tenus sur le terrain par ce jeune espoir de l’arbitrage français (on suppose que le jeune homme a été exfiltré dans un blockhaus sécurisé par la FFF en attendant la fin de l’orage médiatique). Marc Batta, le DTN de l’arbitrage, refile la patate chaude à Philippe Leduc, son collègue, manager des arbitres de Ligue 2, très en verve : « Le petit, il a bien arbitré. Vous n’êtes que des fouille-merde, vous n’êtes même pas un vrai média de foot, je ne vous dirai rien » .

Du côté du Sporting Bastia, c’est un peu la même ambiance de paranoïte aiguë. Joint par So Foot, l’attaché de presse du club corse, Jérôme Negroni, prévient : « Il y avait tout au plus 10 personnes. Ces supporters ne font partie d’aucun groupe officiel. C’étaient des supporters venus du continent. Cette affaire n’engage pas la responsabilité du club » .

Renseignements pris auprès des spectateurs présents au stade, quelques supporters du groupe “Bastia 1905”, l’un des groupes officiels, étaient bien présents dans la tribune. Les réactions sur les forums consacrés aux exploits du Sporting n’ont pas tardé : pour résumer le sentiment général : « Cette affaire est une manœuvre pour traîner dans la boue les supporters bastiais et toute la Corse » .

D’après les témoignages relayés sur ces sites, les supporters présents admettent avoir largement insulté Boubacar Kébé mais nient tout caractère raciste. Le pire, c’est qu’ils n’ont peut-être pas totalement tort. Un Supra de Libourne présent au match : « Même si j’étais dans la tribune opposée aux supporters bastiais, je n’ai rien entendu. J’ai discuté avec certains d’entre-eux après le match, ils savent que nous sommes anti-racistes, je trouve tout ça assez bizarre » .

La LFP a décidé de mettre l’affaire en instruction. On peut déjà faire un pronostic sur la décision de la commission de discipline, dirigée par l’impayable Jacques Riolacci. Une petite amende aux Bastiais, on retire le carton rouge de Kébé, on se tape sur l’épaule et on oublie tout…

Ange Falconetti