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Titi, sans Wiki…

Par Chérif Ghemmour
9 minutes
Titi, sans Wiki…

Souvenirs de Thierry Henry sans filet, ni parachute, ni Internet. Top chrono… C'est parti !

Un père écrasant qui ne lui passera jamais rien… Le daron qui a aussi tâté du ballon préparait près de la main courante le dézinguage impitoyable qu’il allait administrer en guise de débrief d’après-match à son fils. Thierry a beau avoir planté six buts et réussi tous ses centres, le paternel insistera à mort sur les deux contrôles ratés en début de match… Avec papa, « c’est jamais bien » . Bienvenue dans le foot ! Jusqu’à la fin de sa carrière, Thierry aura « le masque » sur le terrain, ne souriant presque jamais même après avoir marqué. L’insatisfaction paternelle qui pèse, toujours : « Comment être joyeux après un but, alors que j’en ai manqué un deux minutes avant et que j’ai oublié de faire la bonne passe à un coéquipier un quart d’heure plus tôt ? » Une autocritique permanente inspirée du père et qui révèle que, sur un terrain, Titi ne s’appartenait jamais entièrement… L’enfance, c’est un divorce parental, les Ulis bétonnées au milieu de nulle part et le regard dur. Sinon, tu te fais bouffer. Titi est un taciturne. Ce qui lui vaudra pas mal de malentendus : le Caribéen est plutôt jovial, non ? Regardez Wiltord, comme il est volubile ! Ben, non. Titi affiche toujours une gravité tout en retenue, c’est l’autre facette méconnue de la mentalité antillaise. On l’a cru aussi surdoué du ballon rond. Aux débuts de sa gloire naissante, on ressortira les images caméscope en noir et blanc de minimes franciliens où le grand filiforme déboule sur le côté gauche et plante face au gardien. La « spéciale Henry » , déjà ? La caméra embuée s’attardera sur le grand gosse célébrant au milieu de ses potes une victoire en coupe départementale.

Un respect quasi réac

Tout était donc écrit ? Pas vraiment. Le petit lucide à qui Papa ne passe jamais rien s’évalue sommairement : « À part la vitesse, j’avais pas grand-chose » , confessera-t-il. « Un besogneux » , c’est comme ça qu’il se définira à la fin de sa carrière. Il bossera donc dur tout au long de sa vie. Au départ, pour juste exister dans le foot. Ensuite pour laisser une trace dans l’histoire d’un sport dont il a une connaissance encyclopédique. La chance immense de Titi, c’est aussi celle des p’tits gars de sa génération : le système de formation à la française qui sait tailler le diamant brut. Zidane, Barthez, Pirès, Trezeguet… C’est à l’AS Monaco qu’il apprendra le boulot, la concurrence impitoyable, le respect quasi réac dû aux anciens – Titi est resté très réac là-dessus – et l’exigence pro matraquée par les tacles du « grand frère » Thuram ou de Claude Puel. D’un côté, le Rocher et ses tentations, et de l’autre, la Turbie et le turbin. Titi choisira le turbin : à 18-19 ans, il joue attaquant sur le côté pour Sonny Anderson ou Ikpeba. Tigana est comme Papa : il ne lui passe jamais rien. Mais c’est pour son bien. Naviguant en Bleu entre les Espoirs et l’équipe A, c’est son mentor monégasque qui convaincra Aimé Jacquet de les prendre in extremis, son pote Trezeguet et lui, dans les 23 au Mondial 98… Les deux gamins sauveront la patrie en quarts de finale face à l’Italie. À 20 ans, on est fou, alors pour les tirs au but, les deux coquelets se portent volontaires. Bingo ! Ils plantent tous les deux, sauvant la mise à Lizarazu, effondré après son échec face à Pagliuca. Et Titi de se cacher derrière David pour ne pas voir la suite de cette série finalement victorieuse. Les deux potes de l’ASM ne joueront pas la finale, mais seront quand même champions du monde contre le Brésil. Au troisième but de Manu Petit, David éclate en sanglot. Il est réconforté par Titi… C’est lors de la décennie suivante que les deux amis deviendront pourtant adversaires.

Sauf le Ballon d’or…

Titi touchera le ciel à l’Euro 2000. C’est peut-être lors de ce mois de juin 2000 qu’il aura été « meilleur joueur du monde » . Les années suivantes, avec Arsenal, il planera par moment aussi très haut, méritant sans doute le Ballon d’or pour prix de ses buts en flux tendus. Mais c’est en Belgique et aux Pays-Bas, dans un onze en or, qu’il dépassera le numéro 1 de l’époque, Ronaldo, occupé alors à rafistoler ses rotules. Puissance, vitesse, dribble : Titi est une ligne d’attaque à lui tout seul. Et seul Papa pourrait trouver à y redire… Oubliée la mésaventure à la Juve ! À Arsenal, Titi revit en n°9. Un poste que Wenger lui a astucieusement alloué. Pour réussir, celui qui est en passe de devenir bientôt « King Henry » peut compter sur le classieux Dennis Berkgamp, qui s’effacera pour le laisser briller. Nul de la tête, il régalera des deux pieds au vieux Highbury, s’inscrivant comme le dernier héros de l’Arsenal « d’avant » (d’avant l’Emirates). Mais il fâchera aussi par la célébration de ses buts (salut au drapeau, salut à lui-même), tout comme il incarnera l’insupportable hype frenchy d’Arsenal relayée conjointement par TF1 et Canal +. Le boboland parisien émigrera le temps d’un week-end à Londres pour voir jouer Arsenal et Thierry Henry. Titi devient un phénomène médiatique des deux côtés de la Manche, bien aidé par son légendaire débit mitraillette en anglais parfaitement maîtrisé. La hype parisiano-londonienne l’expose sous tous les angles. Jusqu’à évoquer parfois avec lourdeur lors d’interviews l’un de ses surnoms, l’Anaconda…

L’année 2006 est l’autre pic de sa carrière. Arsenal dispute enfin une finale de Ligue des champions, face au Barça, « à Paris » (au SdF). Ce sera le plus grand regret de sa carrière, confessera-t-il : outre qu’Arsenal a été battu 2-1 par les Blaugrana, Titi ne s’est jamais remis d’avoir manqué deux occases nettes. Aujourd’hui encore, il se sent en dette vis-à-vis des Gunners. Voilà pourquoi il se dit prêt à travailler de près ou de loin pour Arsenal afin que « son » club gagne enfin, avec lui, cette foutue C1… 2006, c’est aussi le Mondial en Allemagne. Avec les Bleus, il a déjà vaincu son vieux rival Trezeguet. L’équipe de France a opté depuis quelques années pour l’attaquant de rupture, le dévoreur d’espace qu’est Thierry Henry. Le profil fox in the box de David Trézeget a été sacrifié au profit plus moderne du buteur « partant de loin » , King Henry. Mais en Allemagne, le roi Henry doit en rabattre face au taulier revenu aux affaires, Zidane. Depuis l’Euro 2004 et des propos acerbes qu’on a prêtés au Gunner ( « Zizou ralentit le jeu des Bleus » ) les deux coqs s’apprécient juste le temps de cohabiter à chaque rencontre. En quarts, Zidane offrira son unique passe décisive en bleu sur un coup franc à la volée victorieuse de Thierry face au Brésil (1-0). Après la finale perdue face à l’Italie, Titi consolera à nouveau David sur le balcon de la place de la Concorde…

La Coupe du monde de trop…

Et puis Titi ira au Barça. Pendant trois ans, il se mettra au service du collectif en sniffant la ligne sur le côté gauche. Le boss, devant, c’est Messi. Son ego au frigo, Titi se plie pendant trois saisons avec intelligence tactique au schéma très strict de Guardiola. Ce dernier louera avec admiration l’apport d’un Thierry Henry qu’on a grandement sous-estimé en France (lisez le témoignage étonnant de Pep dans le Spécial Henry de L’Équipe-Mag, vous comprendrez, ndlr). Même Johan Cruijff – à qui Titi a emprunté le n°14 – saluera le passage du Français en Catalogne. En 2009, Titi décroche le seul trophée qui lui manquait : la Ligue des champions, remportée face à Manchester United (2-0). Il a désormais tout gagné, même s’il est trop tard pour le Ballon d’or. La C1, c’est son sommet. Ensuite, tout ira de travers. À cause de cette fameuse trace qu’il veut laisser dans l’histoire du foot. Il a déjà battu le record de buts de Platini avec les Bleus (51 pions), et le Mondial sud-africain approche. Domenech ne compte plus sur le Thierry déclinant qui a perdu sa pointe de vitesse légendaire. Mais une visite à Barcelone le convainc de prendre celui qui jure qu’il jouera le jeu, acceptant d’être remplaçant et aussi le guide des jeunes Bleus. Raymond cède, sans doute en pensant aussi au « sacrifice » de Titi, auteur d’une main contre l’Irlande qui a permis le but de la qualif de Gallas… En Afrique du Sud, Thierry-la-fronde ratera une occasion en or. Pas sur le terrain. Dans un car : lui l’ancien, censé donner l’exemple et raisonner le groupe, il ne se lèvera pas pour descendre du bus en entraînant les autres. Son image en sera durablement flétrie. Elle l’était déjà un peu à cause de ses relations froides avec le public et avec les medias. Très critique vis-à-vis de lui-même, il n’appréciait paradoxalement pas qu’on l’égratigne. C’est d’ailleurs pourquoi, entre autres, il n’a jamais accordé d’entretien à So Foot… Celui qui snobait souvent les medias les recevait avec chaleur quand il avait besoin d’eux au moment de changer de sponsor personnel (Nike, puis Reebok, puis Puma).

En route pour la Sky

À son retour d’Afrique du Sud, Sarkozy l’alpaguera de force à l’Élysée pour un entretien demeuré mystérieux. Il était temps pour lui de quitter la France et d’aller finir sa carrière en vivant pleinement son rêve américain. Il jouera pour les New York Red Bulls, luxueusement installé dans un loft à Manhattan. Quelques buts splendides. Mais aucun titre en MLS… Il reviendra pour une pige hivernale à Arsenal en marquant un but légendaire en Coupe de la Ligue dans cet Emirates Stadium qu’il n’avait pas connu. Il reviendra encore une fois à l’Emirates, mais à l’extérieur du stade, inaugurer sa statue de bronze. L’une des rares fois où l’émotion lui arrachera quelques larmes publiques… En juin-juillet 2014, il fait merveille à la TV anglaise en consultant foot du dernier Mondial brésilien. Il y déploie une excellence rare, à travers des analyses technico-tactiques qui révèlent une profonde connaissance du ballon. C’est cette expertise qui le dirigera aisément vers la profession de consultant (c’est le cas actuellement). Et vers une carrière de coach, comme beaucoup l’espèrent ? Quelle trace laissera-t-il dans le football mondial ? Les témoignages des grands parlent pour lui, son palmarès et sa fortune aussi. En France, Thierry Henry symbolisera tout simplement la réussite au très haut niveau international de l’attaquant français parti à l’étranger. Seul Kopa avec le Real des années 50 avait réussi à ce point. Papin, Cantona, Ginola, Ribéry ou Trezeguet ne sont pas allés si haut. Zidane était milieu et Platini n’a pas été champion du monde… Thierry était un très grand.

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OM : nouveau système pour une nouvelle vie
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