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Quand Roumains et Français voyageaient ensemble

Par Côme Tessier
4 minutes
Quand Roumains et Français voyageaient ensemble

Entre France et Roumanie, l'histoire commune du football ne commence pas par un match, mais une traversée en mer. En 1930, Roumains et Français partagent leur embarcation pour Montevideo par la volonté d'un seul homme : le roi Carol II. Direction la Coupe du monde.

En 1930, la Coupe du monde s’apprête à connaître sa première. La même année, en Roumanie, le roi Carol II revient chez lui pour reprendre son dû : le trône du royaume. Ces deux événements bien distincts vont se croiser en à peine plus de trente jours, avant de se poursuivre par un voyage en bateau au bout du monde jusqu’aux premiers matchs de l’histoire de la compétition. C’est ainsi que pendant une dizaine de jours, au milieu de l’Atlantique, joueurs roumains, français et belges vont partager leur embarcation pour rejoindre l’Uruguay. Tout cela à cause de la lubie d’un roi mal-aimé dans son pays et qui voulait redorer son blason au moment de prendre le pouvoir grâce à son sport préféré : le football.

Amnistie et congés payés

À peine intronisé, le premier acte de souverain signé Carol II n’est pas un choix directement politique. Il veut faire en sorte que son équipe nationale participe à la Coupe du monde en Uruguay. Après tout, les grands pays comme l’Italie, l’Allemagne ou l’Angleterre sont mis à mal par la crise financière et refusent de se lancer dans l’aventure. En fait, à quelques semaines du coup d’envoi, les équipes européennes sont pratiquement absentes. La coupe de Jules Rimet doit donc encore trouver des postulants. Pour améliorer sa popularité dans son nouveau pays, Carol II fait du forcing auprès de la FIFA et lance la dynamique, en parvenant même à convaincre la Yougoslavie de faire également le voyage pour l’événement. Il lui manque toutefois une chose : la matière première, les joueurs de foot.

Le roi trouve alors des moyens simples d’y remédier : offrir une amnistie aux footballeurs qui avaient été suspendus et forcer les entreprises où jouent les joueurs roumains à les lâcher pendant trois mois. La deuxième partie est plus difficile à obtenir, car les compagnies pétrolières anglaises ne sont pas de l’avis de les lâcher si facilement. Les bras longs du royaume font la différence et offrent trois mois de congés payés aux joueurs de la Tricolorii. Trois jours avant la date limite, la participation roumaine est validée. Il ne reste qu’à réserver un moyen de transport pour le bout du monde. C’est ainsi que la France croise leur route.

Fromage, fanfare et ballon à l’eau

Pour partir, le groupe doit s’attendre à un voyage en longueur. Réunis à Timisoara, les joueurs partent dans une certaine indifférence, salués seulement par quelques fromages et du pain de la part d’un promoteur local, comme le raconte l’historien Bogdán Popa. Suivent deux longues nuits difficiles, en train, pour rejoindre Gênes. L’attaquant de la Tricolorii Rudolf Wetzer se plaint des conditions. « Les sièges étaient horribles, les bancs ont cassé nos os, mais cela valait le coup. » À Gênes, après une réception en grande pompe avec fanfare, que Wetzer ne manque pas de souligner dans son journal comme un « pandémonium » , c’est enfin l’étape du bateau qui commence. Le 19 juin, les Roumains sont les premiers à prendre place à bord du Conte Verde, un bateau de luxe conçu pour rallier l’Amérique du Sud ou l’Asie. Ils sont 21 pour cette croisière : 19 joueurs de football, un coach et un roi – qui choisira lui-même l’équipe selon la rumeur.

À Villefranche-sur-mer, les Français, quelques arbitres et la Coupe surveillée par Jules Rimet embarquent à leur tour. Les Belges ne prennent place qu’à partir de Barcelone – et les Brésiliens complètent finalement l’équipée à partir de Rio. Le voyage se déroule au calme entre les équipes, qui s’organisent pour alterner les séances de fitness et les passages dans la salle de muscu. Le seul événement notable pour Wetzer, dans son journal de bord, est la perte d’un ballon qui plonge à l’eau.

Tout le monde arrive finalement à Montevideo le 3 juillet. Les équipes européennes accuseront le coup du voyage. La compétition voulue par Jules Rimet est un succès mitigé. Pour Carol II, c’est une réussite. La Roumanie parvient à gagner son premier match face au Pérou. Les opposants au déplacement ravalent leur fiel après la victoire. Même si la sévère défaite contre l’Uruguay (4-0) met un terme au parcours roumain, le football vient de gagner sa place au pays. En un voyage en bateau, Carol II a réussi son coup et offert une nouvelle passion à la Roumanie.

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