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Pour Arsène Wenger, comment se remettre d’une rupture ?
Plus d'une semaine après l'annonce de son départ d'Arsenal en fin de saison, Arsène Wenger se déplace dimanche à Old Trafford. Avec une question : comment l'entraîneur français peut-il surmonter la fin de son histoire avec les Gunners ?
« Ma relation au temps est angoissante à tous les titres. Remonter le temps, se pencher en arrière est tout aussi vertigineux. Tout d’abord, ça fait peur, parce qu’il n’y en a pas autant à venir que de vécu… La seule manière de lutter contre le temps, c’est de ne pas trop regarder derrière soi. Si l’on s’y complaît, c’est angoissant et culpabilisant. Le seul moment de bonheur possible, c’est le présent. Le passé donne des regrets. Et le futur des incertitudes. » On y est : voilà maintenant neuf jours qu’Arsène Wenger a brisé la porte de l’avenir et qu’il s’apprête à plonger en avant. Où ? Dans quoi ? Personne ne le sait vraiment. En sait-il plus ? Probablement, mais l’Alsacien aime trop son opacité pour donner des biscuits aux suiveurs. Il a toujours été comme ça, d’ailleurs : il a ramené ça du Japon, où il tuait parfois le temps en regardant des matchs de sumo, ce qui lui a appris à canaliser ses émotions.
« C’est difficile, vous savez… »
Signe de l’importance de son départ d’Arsenal après vingt-deux ans passés à mettre des coups de marteau dans le club – surtout lors de la première décennie, c’est vrai –, Wenger s’est pourtant légèrement démasqué dimanche dernier, quelques minutes après une victoire pour la forme des Gunners face à West Ham (4-1) dans un Emirates qui ne lui a pas totalement rendu l’hommage qu’il mérite. Peut-être faudra-t-il attendre pour ça la réception de Burnley, la dernière de l’année. Peut-être n’est-ce qu’un fantasme, qui sait. Reste que le Français a prouvé le week-end dernier qu’il savait encore dépasser les réflexes d’autodéfense : « C’est difficile vous savez… On ne renonce pas à 22 ans de vie comme ça. J’ai passé ici mes plus belles années. Je suis arrivé à 46 ans, et depuis, j’ai travaillé sept jours sur sept pendant 22 ans. Je ne peux pas partir comme si rien ne s’était passé. » D’ailleurs, que va-t-il se passer ?
Le départ forcé
Une certitude : Wenger sera toujours un peu chez lui à Arsenal, bâtisse qu’il a retapée de ses propres mains, et ne sera jamais traité comme Jean-Luc Ettori, plus de trente ans d’AS Monaco dans les veines et viré du jour au lendemain au point de ne plus pouvoir mettre les pieds à la Turbie ne serait-ce que pour regarder le fiston cavaler sur un synthétique. Là, c’est autre chose que le Français doit gérer : la redécouverte d’un quotidien, la perte de repères, une forme de solitude. C’est l’impact d’un divorce brutal. Philippe, marié pendant 24 ans à Christelle et père de deux enfants, a récemment, lui aussi, été foutu à la porte. Alors, comment ça se passe ? « Avec douleur, forcément, ouvre-t-il. Aujourd’hui, je me rends responsable de tout ça, et je suis toujours fou amoureux de ma femme… de mon ex-femme. Je lui ai dit tout ça, à genoux même et je continue encore aujourd’hui à la harceler de messages. Bah ouais, on fait les durs, mais c’est pas simple, hein. » Pour Wenger, la situation est similaire : ce n’est pas lui qui a décidé de quitter le foyer, on l’a forcé, et ses récentes sorties publiques l’ont bien prouvé.
Le couple qui se néglige
Place à la recherche des conséquences, moment où Robert Neuburger, scientifique suisse multi-casquette devenu notamment référent dans la thérapie de couple et auteur d’Exister : le plus intime et fragile des sentiments, s’invite au débat : « Après 22 ans de vie commune, la perte est naturellement considérable. Et pour votre entraîneur, cela va se passer à deux niveaux : la perte relationnelle, car il a forcément tissé des liens forts avec certaines personnes du club ; et la perte d’un socle social. Tout simplement car il appartenait à une équipe de part sa fonction, ce qui lui donnait un sentiment d’exister et lui donnait, surtout, un sentiment d’appartenance. On parle souvent de déprime dans ces cas-là, mais c’est avant tout de la rage qu’on ressent. » Autre question : Wenger pourra-t-il un jour retomber amoureux ? « Oui, tranche Neuburger. Car un couple ne s’use pas, il se néglige. Au fil du temps, s’il n’est pas entretenu, il se vide de sa substance. » C’est sans aucun doute ce qu’a vécu Wenger chez les Gunners depuis plusieurs années. Et le temps l’a rattrapé. Au point de l’avaler. Ce n’est qu’une rupture : Old Trafford est un bel endroit pour commencer à se vider la tête, non ?
Par Maxime Brigand
Propos d'Arsène Wenger tirés de Sport & Style et de conférence de presse.