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On était au Tournoi des étoilés

Par Ronan Boscher
7 minutes
On était au Tournoi des étoilés

Depuis 1994, les grands chefs cuistots de France se donnent rendez-vous autour d'un tournoi de foot. C'est la journée du personnel. Et cette année, la sauterie se passait en pleine Loire. Entre cheerleaders, cochons grillés, huîtres et roulades sur synthétiques.

Entourés d’un relief vert et de belles baraques, quelques supporters font la sortie des voitures du QG de l’ASSE, peu avant l’heure du déjeuner. Fait pas chaud en ce dernier jour de septembre. Un peu plus loin, sur le stade attenant au centre des Verts, on entend du bruit, on sent de la fumée et on voit des bus, garés au cordeau. Au cul de l’un deux, une banderole laisse un faible indice : « On dit merci à qui ? À Jacquie et Michel » . Quelques toques, tee-shirts, maillots de foot, chaussettes, gobelets ou déguisements jonchent les marches de la petite tribune du synthétique appartenant au club de l’Étrat. Comme un effeuillage précipité. Un attroupement d’une centaine de personnes encercle une surface de réparation. Parmi cette foule, la dégaine sèche et amusée d’Aimé Jacquet, les cheveux et les dents serrées de Rocheteau, la faconde d’un Romeyer ou la blague aiguisée d’un Larqué écartent définitivement toute hypothèse de tournage osé pour adultes. Du moins, on l’espère. « J’ai déjà fait une séance de tirs au but sous les phares des voitures, je vous préviens » pose Jean-Mimi. L’audience assiste au concours de pénaltys du 21e tournoi des étoilés. Dans le but, un Jérémie Janot bonnard, en tenue de gardien, fait le malin. Jean-Mimi lâche le ballon pour le micro et partage son amour légendaire de la règle : « 9 mètres 15, messieurs ! » Face à Janot, en ce mardi 30 septembre, les tireurs ont la tronche ou, pour les plus anciens, l’embonpoint du footballeur du dimanche. Ce sont surtout 52 étoiles qui s’affrontent à l’Étrat. Pas celles du drapeau américain, mais celles du Michelin. Comme sur les plages de Rio où les anciennes stars de la Seleção forment leurs équipes de plage pour un tournoi en marge du carnaval, chaque étoilé est venu avec sa team. « C’est un moyen plutôt sympa de se retrouver, dans un autre contexte que nos cuisines, » explique Régis Marcon, organisateur de l’édition et chef 3 étoiles de la « maison » Marcon. Oui, dans le milieu stellaire, le langage d’usage préfère le mot « maison » à « restaurant » . Un autre niveau, un peu plus haut.

Concours d’aligot

Comme tout bon tournoi du dimanche – même un mardi – qui se respecte, le match ne se joue évidemment pas que sur le terrain, mais à coté. Le mot « buvette » a bien le droit de cité, mais le catering façon étoilée met à l’amende n’importe quel autre concurrent. Le speaker du tournoi, issu de la télé du 42, prévient : « La Haute-Loire est à la Loire ce que la haute-couture est à la couture » . Rangez vos merguez et frites pas cuites. Si l’indémodable bière étanche la soif du sportif, les jus de fruits frais, le jambon à la découpe, un stand d’huile d’argan, du fromage de qualité et la meilleure « maison » de chocolats du coin font plus que le boulot. Derrière les beaux stands, deux longs cochons grillent sur des broches. La brigade barbecue est tellement fière qu’elle pose avec Dominique Rocheteau et les cochons cuits, pour la postérité. De toute façon, le spectacle ne se passe guère sur le terrain. Il n’y a qu’à se diriger vers le gymnase voisin, qui fait office de réfectoire de fortune après une pluie matinale. Quelques costumes-cravates font leur apparition. Il doit être l’heure de manger. Après la salade de museau ou les huîtres, tous les chefs sont appelés pour tourner l’aligot. Debout sur une table, chaque patron saisit une longue et grande spatule pour tourner aussi haut que possible l’aligot élastique. Sous les encouragements de plus de 500 convives, principalement le personnel de ces 52 étoiles. Le cochon grillé est servi, la crème de cèpes également. Mais où sont les merguez ??? Dehors, on se rassure en retrouvant le classique du tournoi de foot : le clope/café d’après repas, en short et maillot de foot, chaussettes baissées et protège-tibias apparents. Mais ces deux jeunes ne refont pas le match et préfèrent discuter techniques de sauces.

Recordman du monde d’ouverture d’huîtres

La matinée a fait de l’écrémage dans le tableau principal du tournoi. L’après-midi est réservée aux phases finales. Les maisons Loubet, Aribert, Blanc, Girardon, Vieira, Ducasse, Bras et Marcon jouent les quarts. Sur le bord du terrain, on discute mercato. Mais pas de football. « La plupart d’entre nous, on finit notre contrat vers novembre. C’est un peu la période de fin des CDD. Donc là, on peut être amené à prendre des renseignements auprès d’autres membres d’autres maisons pour la saison suivante » , détaille Nicolas, serveur chez Loubet. Avant la finale, l’organisation présente son exhibition phare : le match des chefs. Il n’est pas question ici d’une épreuve « coup de feu » , où il faut lever les bras quand le temps imparti est écoulé. Malgré un Vieira, un Blanc, un Bras, une Renault ou un Troisgros sur le terrain, le niveau a toujours du mal à s’élever. Ailier dans sa jeunesse, le chef Georges Blanc, souvent en déséquilibre, multiplie les roulades. Mais la caste des étoilés a réussi un coup de force : l’arbitre de ce match de gala n’est autre que Marcel Lesoille, quintuple champion du monde, mais aussi recordman du monde d’ouverture d’huîtres creuses. Et ouais. Plus de 2000 huîtres à l’heure. « 28 en une minute, les yeux bandés » , assure celui qui entraîne poignets et épaules pour ses concours, lors de montées de cols, en danseuse sur son vélo. Rémi, un ancien de la maison Sébastien et Michel Bras, à Laguiole, prend tout de même quelques infos : « Les mecs qui ne se donnent pas à fond sur un terrain de foot, je trouve que ça te donne pas mal d’indices sur la personnalité en cuisine de tes gars. Et le soir, après quelques verres, des langues se délient et on connaît mieux les gens. Je trouve ça plutôt drôle. »

« Tu passeras le bonjour à Monsieur Paul ! »

Il est 17 heures. La finale est remportée par la maison Loubet, bien encouragés par des cheerleaders bruyantes, sous fumigènes et une cloche de vache, pour la deuxième année consécutive. L’établissement Loubet, avec deux couronnes désormais, se rapproche, à petits pas, des vedettes au palmarès : la maison Jean-Michel Lorain (6 victoires), Paul Bocuse et Jean-Paul Jeunet (3 victoires chacune). Pour la cérémonie de clotûre, le buffet ringardise le tournoi de sixte : du pain et du foie gras d’un côté, des patisseries fines de l’autre, arrosés d’un peu de champagne ou de vin blanc. « Et encore, on a arrêté le faste. Les années précédentes, c’était devenu toujours plus, trop. On a tous décidé de revenir à plus de simplicité, sans perdre en convivialité » pondère Régis Marcon. En haut de l’estrade du gymnase, Aimé Jacquet, resté tout au long de la journée, n’admire rien de plus que le terroir et les bosseurs à talent : « Je suis content d’être là parce que vous représentez cette France qui travaille, dur, fort et à un niveau d’excellence. Ça m’impressionne toujours. » Sur le bout de pelouse adjacente au gymnase, Régis Marcon souffle, éreinté, et se désaltère au jus de pomme frais. Un petit mec à peine majeur s’approche, avec déférence, politesse et tremblements, avec un gros et beau livre sur les champignons en mains. « – Merci chef. Cette journée était parfaite. Vous pourriez me dédicacer votre livre s’il vous plaît ? Vous êtes un modèle pour moi. – Pas de souci ? Tu viens de quelle maison ?- Paul Bocuse, chef.
– Tu transmettras mon bonjour à Monsieur Paul alors.- D’accord, chef.
– Non, mais vraiment hein ! Tu lui diras, texto :
« M. Marcon m’a dit de vous transmettre le bonjour, Monsieur Paul » .- Je le ferai, chef. Merci beaucoup, chef. » Régis Marcon se retourne, l’œil un peu ailleurs : « Oui, il ne tient pas la grande forme en ce moment, Monsieur Paul. »

Lyon, au carrefour de ses ambitions

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