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Les concours d’éloquence s’invitent dans les centres de formation

Par Adrien Hémard
11 minutes
Les concours d’éloquence s’invitent dans les centres de formation

Concours d’éloquence et centre de formation, ce sont a priori deux mots qui n’ont pas grand-chose à faire ensemble. Et pourtant, depuis deux ans maintenant, plusieurs clubs français font défiler leurs U16 au pupitre pour pratiquer l’art de la plaidoirie, façon Camélia Jordana dans Le Brio. Dans quel but ? Les réponses sont multiples, et parfois surprenantes.

C’est bien connu, les footballeurs ne savent pas parler, à de rares exceptions près. C’est en tout cas ce que pense une partie de la société, réfugiée derrière des clichés qui ont la peau dure. Car dans les faits, quand on leur donne la possibilité de s’exprimer, les joueurs ont des choses à dire, et savent le faire avec la manière. La preuve dans les centres de formation où, depuis deux ans, des concours d’éloquence sont organisés en partenariat avec la LFP. De quoi faire des joueurs de meilleurs communicants, mais pas que : « Bien plus qu’un concours pour apprendre à mieux s’exprimer, c’est un évènement qui fait des joueurs des meilleurs citoyens et même de meilleurs footballeurs », affirme Mohamed Slim, président de l’association Prométhée Education qui pilote le dispositif. Exagère-t-il ? Pas vraiment.

Quatre précurseurs freinés par la Covid

Pour commencer, de quel esprit sort cette idée pas si folle ? D’une coopération entre la Fondaction du Football, un fonds de dotation créé en 2008 par la FFF qui déploie des programmes d’action dans les centres de formation, et de Prométhée Education, association qui promeut l’égalité des chances, notamment à l’école. « Depuis deux ans, Prométhée Education a rejoint notre réseau de partenaires pour organiser des débats d’actualités sur les sujets de société au sein des centres de formation. De ce rapprochement est née cette idée de concours d’éloquence qui donne toute son envergure à notre programme », détaille Guillaume Naslin, délégué général du Fondaction. Dès la saison 2019-2020, une phase expérimentale est lancée dans quatre clubs moteurs : le PSG, Lyon, Marseille et Saint-Étienne. La mayonnaise prend, même si la Covid stoppe tout, comme partout. « Ça nous a quand même permis de mesurer l’attrait des centres pour ces concours d’éloquence », apprécie Naslin. Et aussi de transposer le concours à quatre clubs de D1 Arkema dès la reprise.

On a fait en sorte de pouvoir organiser des finales régionales en cas de nouvelle annulation de la finale nationale à cause de la Covid : on aurait eu des derbys de Normandie, de Champagne, du Nord, Lyon-Saint-Étienne et le Classico.

En septembre 2020, l’initiative est donc reconduite auprès de dix clubs volontaires : les quatre précurseurs, rejoints par le LOSC, Valenciennes, Reims, Troyes, Le Havre et Caen. « On visait une dizaine de clubs, c’est le bon nombre. Et on a fait en sorte de pouvoir organiser des finales régionales en cas de nouvelle annulation de la finale nationale à cause de la Covid : on aurait eu des derbys de Normandie, de Champagne, du Nord, Lyon-Saint-Étienne et le Classico », détaille Naslin.

Si les clubs participants sont volontaires, au sein des centres, le choix n’est pas laissé aux U16 : chaque joueur a une plaidoirie à faire. « On ne leur a pas donné le choix, on leur a dit qu’ils allaient participer, et ensuite on a mis du sens à ce qu’on leur demandait, on a essayé d’être convaincants », sourit Yannick Menu, directeur du centre de formation du Stade de Reims. « On n’était pas vraiment motivés à la base, j’avoue », confie Anas Oulahcene, 16 ans, lauréat du concours rémois. À Lille, Gédéon Elonga confirme : « On se disait « C’est quoi ce truc encore ? » » Mais les deux jeunes hommes, comme la plupart de leurs potes, ont vite changé d’avis : « Après la finale, on avait envie de recommencer. Certains le referaient plus sérieusement d’ailleurs, je pense », avoue Anas.

C’est là que les équipes de Prométhée Education entrent en action. Habitués à intervenir dans des collèges et lycées sur les mêmes thèmes, les intervenants (tous étudiants) préparent des ateliers sur mesure pour les centres de formation. « On a eu un peu peur d’avoir des réfractaires, mais finalement très peu l’ont été. La technique, c’est de mettre en place des jeux, notamment de rôles. Par exemple, on simulait des entretiens entre un joueur et un président sur une signature de contrat, tout en y glissant les outils d’éloquence », glisse Hippolyte, l’un des intervenants, pas spécialement fan de foot à la base d’ailleurs. « Je n’avais pas d’a priori parce que je ne connaissais pas du tout cet univers. C’était un défi pédagogique hyper intéressant. »

On a affaire à des sportifs. Ils sortent de leur zone de confort, mais ils veulent quand même se surpasser pour être le meilleur. C’est une énergie que je n’ai jamais vue ailleurs.

L’idée, c’est de créer un cadre familier pour démystifier la prise de parole. « Les intervenants nous ont mis à l’aise. Ils nous laissaient discuter comme on voulait avec eux. Le fait de faire des jeux avec les camarades, ça nous a mis en confiance », témoigne Anas. « On devait crier des mots pour articuler, retranscrire un dialogue en direct avec des gestes, appuyer sur différentes syllabes, des choses concrètes. » Plusieurs fois, les référents au sein des club se sont même étonnés de la forme des ateliers : « L’éloquence n’est pas un exercice purement scolaire et codifié, mais très libre. Chacun fait de l’éloquence à sa façon », justifie Mohamed Slim.

France-Brésil, théâtre et Ballon d’or

Autre élément qui explique ce succès auprès des jeunes, c’est l’aspect concours. À Lille, le vainqueur, Gédéon, ne s’en cache pas : « Dès que ça parle de compétition, je veux tout de suite gagner. Et puis, les récompenses à la clé nous ont motivés : le premier avait une carte cadeau de 200 euros, une paire de crampons, un livre et un maillot en plus du trophée. » Un état d’esprit qui a étonné Hippolyte : « Dès qu’on parle d’une finale, ça active quelque chose chez eux que n’ont pas les autres ados quand on va au lycée ou au collège. On sent qu’on a affaire à des sportifs. Ils sortent de leur zone de confort, mais ils veulent quand même se surpasser pour être le meilleur. C’est une énergie que je n’ai jamais vue ailleurs. » Autre spécificité des jeunes du centre, leur relationnel beaucoup moins scolaire : « Ils vivent ensemble, se connaissent mieux que des lycéens. Ils sont plus proches entre eux, et de nous aussi, mais ça reste des ados normaux qui ont juste un centre d’intérêt commun : le foot », ajoute Cyrena, elle aussi intervenante.

Ces jeunes ont l’habitude d’être jugés au quotidien par leur staff, coéquipiers ou adversaires, mais pas dans ce contexte. Ces finales, ce sont des moments géniaux pour la vie de club.

En six ateliers, les joueurs sont prêts : les outils rhétoriques ont été intégrés, les thèmes de plaidoirie choisis par chacun, et l’argumentation ficelée. Ne reste plus qu’à passer devant le jury lors de la finale interne, dont le lauréat participera à la finale nationale début juin. À Lille, le club investit même le théâtre emblématique de la ville pour l’occasion : « On ne leur a pas dit tout de suite, mais on voulait marquer le coup », justifie Sofiane Talbi, référent du LOSC sur le projet. Effet réussi : « On était très fiers d’être là, sur cette scène », avoue Gédéon. Surtout que face à lui, comme dans les autres clubs, le jury a fière allure. À Reims par exemple, on y retrouve, entre autres, le président Jean Pierre-Caillot, son adjoint Didier Perrin, mais aussi Yunis Abdelhamid ou Tess David, joueuse de D1 féminine. « On ne s’attendait pas à ça, le jury nous impressionnait dans l’amphithéâtre plein à craquer », confie Anas.

De quoi susciter la jalousie des plus grands du centre, qui auraient bien participé eux aussi à cette fête. « Ces jeunes ont l’habitude d’être jugés au quotidien par leur staff, coéquipiers ou adversaires, mais pas dans ce contexte. Ces finales, ce sont des moments géniaux pour la vie de club », estime Guillaume Naslin. Au pupitre, les joueurs défilent et les thèmes aussi. À Marseille, le lauréat Keylian Hamidou s’est par exemple exprimé sur « Quel est le meilleur match de l’équipe de France ? » : « Sa démonstration sur France-Brésil 1998 était vraiment construite et argumentée. Ce n’est pas un exercice facile à cet âge-là de s’exprimer seul, face à un jury pour défendre ses idées », note Lucie Venet, directrice exécutive d’OM Fondation. À Reims, Anas a, lui, défendu la Coupe du monde face au Ballon d’or, tandis que Kessya a remporté le concours féminin en argumentant sur la nécessité des autres pour réussir personnellement. Enfin à Lille, Gédéon s’est interrogé sur l’utilité d’être sous pression pour performer.

Des bénéfices jusque sur le terrain

Mais tout ça, concrètement, ça sert à quoi ? « On est là pour éveiller la conscience des jeunes joueurs, qui sont des citoyens qui peuvent et doivent s’exprimer sur des sujets qui les touchent », affirme Mohamed Slim. Dans les faits, ces concours d’éloquence entrent dans la volonté des centres de formation de former des hommes, au-delà des joueurs : « L’OM est également très attaché au développement de ses joueurs en tant que citoyens de demain, et ce projet est porteur de valeurs fortes : le respect d’autrui, l’écoute, l’audace ou encore l’engagement », énumère ainsi Lucie Venet à la Commanderie. À Reims, Yannick Menu complète : « Les sortir de leur zone de confort et leur faire prendre conscience qu’ils ont d’autres compétences, ça nous permet aussi de mieux les connaître, et à eux aussi, de mieux se connaître eux-mêmes, et entre eux. Au centre, les joueurs se construisent humainement, on se doit de participer à cette construction. » Plus qu’une expérience, c’est aussi un accélérateur de lien. « L’année dernière, le PSG nous a dit que ça avait fait gagner quasiment 6 mois sur la communication, la connaissance des individus, et la cohésion de groupe », note Guillaume Naslin.

Les sortir de leur zone de confort et leur faire prendre conscience qu’ils ont d’autres compétences, ça nous permet aussi de mieux les connaître. Au centre, les joueurs se construisent humainement, on se doit de participer à cette construction.

Autrement dit, le concours booste la confiance, et contribue au développement personnel de ces ados. Mais il y aussi des intérêts pour le football, évidemment. « Pour ceux qui auront la chance de faire une carrière professionnelle, l’éloquence peut être également un plus pour se prêter avec aisance au jeu des interviews », concède-t-on du côté de l’OM. Or, la communication, ce n’est pas que devant les médias. « Je ne savais pas que je pouvais parler comme ça devant le gens, je parlerai peut-être plus dans le vestiaire maintenant », avoue ainsi le Rémois Anas, introverti au quotidien, mais libéré par l’exercice. Lauréate du concours féminin à Reims (qui a lieu au sein des équipes premières de D1 féminine), Kessya Bussy ajoute : « Depuis le concours, je me sens plus à l’aise, je m’exprime plus dans les causeries d’avant-match, je vais plus voir les autres pour parler avec elles sur et dehors du terrain. »

Le terrain justement, venons-y. Car au-delà de l’esprit de compétition travaillé par le concours, Yannick Menu note des bénéfices concrets du concours d’éloquence sur le niveau de jeu de ses U16 : « Pour des jeunes footballeurs, qui vivent des situations critiques sur le terrain, l’éloquence peut leur apprendre à avoir du recul, à être plus réfléchi, pour ne pas avoir que des réponses spontanées face à certaines situations sur le terrain. Et à garder son calme aussi, quand un adversaire les perturbe, déstabilise, là aussi ça peut être utile. »

Ça peut leur apprendre à avoir du recul, à être plus réfléchi, pour ne pas avoir que des réponses spontanées face à certaines situations sur le terrain.

Mohamed Slim, qui a recueilli les retours de tous les référents, ajoute : « Ça renforce le leadership de chaque joueur, mais aussi sa capacité à reconnaître le fait de ne pas comprendre, ce que certains redoutaient, voire même d’oser exprimer un désaccord face au coach. » De quoi aller chercher des titres ? En tout cas, tous espèrent ramener la couronne nationale après la finale à Paris le 2 juin prochain. « J’y vais pour ramener la coupe au LOSC », prévient Gédéon. De là à préférer gagner le concours national d’éloquence plutôt que la Coupe Gambardella ? À Reims, Yannick Menu conclut : « Disons que c’est peut-être nécessaire de participer au concours d’éloquence pour avoir plus de chances de gagner la Gambardella.(Rires.) »

Dans cet article :
Mitchel Bakker, back dans les bacs
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Par Adrien Hémard

Tous propos recueillis par AH.

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