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Le jour où Metz a éliminé le Barça chez lui

Par Arnaud Clément
8 minutes
Le jour où Metz a éliminé le Barça chez lui

En octobre 1984, le FC Metz éliminait le FC Barcelone, en match aller-retour. Sans doute l'un des plus grands exploits du foot français. N'en déplaise au PSG...

Cette double confrontation FC Metz – FC Barcelone, en seizièmes de finale de la Coupe des coupes millésime 1984-1985, c’est avant tout une histoire de bouffe. Si à mi-parcours, les Catalans étaient sûr de rafler le meilleur concours de cuisine de l’époque avec un jambon à la mosellane breveté par Schuster et Archibald, la recette du dindon à la farce signée par la bande du sorcier Marcel Husson reste un cas d’école qui figure encore dans tout bon manuel de tambouille footballistique qui se respecte. L’élimination du Barça par les Messins chez lui après avoir gagné 4-2 à Saint-Symphorien à l’aller et mené un à zéro jusqu’à la trente-huitième minute au retour reste encore aujourd’hui comme le plus beau cours de cuisine express de l’histoire du football. Ou une énigme improbable, c’est au choix. Un monde d’écart, un moustachu de l’action, des bonnes vannes et des insultes, de quoi signer un vrai film sur le football. Mieux vaut remonter à la rencontre aller pour comprendre l’intrigue.

Récent vainqueur de la Coupe de France, non sans une certaine flamboyance, face à l’AS Monaco la saison précédente, le FC Metz de Jules Bocande, Jean-Paul Bernad ou Luc Sonor part en victime désignée au moment de recevoir ce Barça premier de son championnat, emmené par Terry Venables et son Olivier Aton de l’époque, Bernd Schuster. « C’était un chef d’orchestre. Il avait une telle emprise sur son équipe, c’était impressionnant » , repense aujourd’hui Philippe Hinschberger, entraîneur du Stade lavallois présent il y a 29 ans. Impressionnant, et impressionnés surtout, ces petits Lorrains goûtant aux joies du rythme de trois matchs par semaine pour la première fois de leur histoire. Et ce, contre une telle institution remplie d’internationaux. Comme si on devait faire ses preuves de commis face à Paul Bocuse. Ce qui causera leur perte au match aller (2-4). « On avait tous fait le match avant au moins mille fois dans nos têtes, on était perdus. Il suffit de voir le but à la Fernandel que j’encaisse sur une mésentente avec Sonor ou le coup franc avec un rebond incroyable de Schuster » , se remémore le portier Michel Ettorre. Seul Jean-Philippe Rohr, devenu double champion de France de backgammon et joueur de poker émérite de la team PMU.fr, est à contre-courant de cette version : « J’ai rarement ressenti cette impression de supériorité d’un adversaire comme ce fut le cas à l’aller. Dieu sait qu’on avait une belle équipe, mais il y avait deux classes d’écart, surtout au niveau de la puissance et de la vitesse. »

Ramblas et Guillermo Villas

Avec un joli +2 à l’extérieur, les Catalans sont tout sourire. L’affaire est pliée et ils se sentent obligés d’être redevables de leurs hôtes. Ainsi, entre deux articles louant la fébrilité messine, la presse se fait un malin plaisir de relater la promesse de la doublette Archibald-Schuster : offrir quelques jambons aux Messins au retour pour les remercier. « Ils nous prenaient vraiment pour des touristes et ça nous a piqués au vif » , appuie le milieu de terrain de l’époque, Vincent Bracigliano. L’ancien portier Michel Ettorre a même fait la collection des articles démontant littéralement les Grenats, comme pour attiser sa vengeance et celle de ses partenaires : « Même si on n’avait pensé à aucun moment à un tel renversement, nous sommes allés là-bas avec l’envie folle de se racheter et de montrer qu’on valait bien mieux. En fait, je crois qu’on a bâti cet exploit sur le sentiment de vexation. » Sûrs de leur force et de leur entente, les Messins ont en plus vu où appuyer pour faire mal au Barça. « Ils commençaient à exploiter le système de défense à la ligne pensé par Venables, mais n’avaient pas des défenseurs hyper rapides. Et comme nous avions Kurbos qui allait très très vite… » synthétise Jean-Philippe Rohr pour justifier le choix du contre opéré par Marcel Husson. Mais de là à l’emporter par trois buts d’écarts.

Pour preuve, le coach ne donne pas dans l’esprit commando au moment de se rendre de l’autre côté des Pyrénées. La veille du match, ce sont d’ailleurs des gosses qui pénètrent dans le Camp Nou pour la prise de contact avec la soucoupe volante de 100 000 places et un entraînement. « D’habitude, ces séances durent 45 minutes et restent tranquilles. Mais là, nous étions de vrais gamins. On s’est mis dans le sens de la largeur et on a fait 2h30 de sept contre sept. Juste pour le plaisir et parce qu’on s’éclatait dans ce cadre. Et le soir, nous étions allés boire quelques verres avec Jules(Bocande), avant de rentrer à 2h du mat’ » , se souvient Jean-Philippe Rohr, qui était justement à Barcelone le week-end dernier pour un tournoi de Texas Holdem. Philippe Hinschberger se souvient, lui, du beau spectacle auquel il pouvait assister depuis le balcon de l’hôtel : « Il y avait les courts de la ville juste sous nos yeux, avec le tournoi réunissant les Björn Borg, les Guillermo Vilas, etc. » Les Messins sont d’autant plus à la fraîche et décontractés du gland qu’aucune télé française n’a fait le déplacement en voyant la cote donnée par les bookmakers, atteignant les 100 contre 1.

Kurbos le turbo

La première demi-heure de jeu ne leur donne d’ailleurs pas tout à fait tort, Michel Ettorre devant donner de sa personne à plusieurs reprises pour éviter, au mieux une réplique du match aller, au pire une manita. « Autant je n’ai pas été en réussite chez nous, autant sur cette partie-là, j’ai peut-être touché le plus de ballons en quatre-vingt dix minutes durant ma carrière. En même temps, lorsqu’on réalise un exploit, il y a des postes-clé… » appuie à juste titre celui qui était encore entraîneur des gardiens du RC Lens la saison dernière. Les Lorrains ne sortent pas la tête de l’eau et n’arrivent pas encore à trouver leur triplette Hinschberger-Bocande-Kurbos dans le dos de la défense. Malgré tout, le flot d’occasions ratées leur met la puce à l’oreille, même si Carrasco trouve la faille à la trente-troisième, comme l’explique Vincent Bracigliano : « D’une, ils étaient hautains sur le terrain. Et de deux, ils nous prenaient par-dessus la jambe. Quand tu es le Barça, tu peux rater une ou deux actions chaudes, mais pas trois, quatre, cinq… Et bizarrement, quand le vent a commencé à tourner, Schuster souriait beaucoup moins et a passé son temps à nous insulter. » Ce fameux vent tourne en à peine deux minutes, aux alentours de la quarantième minute. Enfin, le onze de Marcel Husson parvient à mettre en application son mode opératoire et envoie Toni Kurbos débouler face au portier remplaçant du club culé pour le fusiller de près. Le brevet est déposé, ne reste plus qu’à enchaîner. Chose qui se produit dans la foulée avec un nouveau débordement du vivace allemand d’origine slovène et un centre affreusement emmené dans ses buts par Sánchez. Comme s’en délectait Pierre Salviac pendant le tournoi des Cinq Nations, « les mouches ont changé d’âne » .

Forcément, à l’heure des citrons, les regards des visiteurs en disent longs. « On n’avait pas eu énormément de situations. La preuve, on gagne avec trois occasions et demie. Mais nous étions pas mal dans le jeu et avions à présent la confiance. On voulait donc marquer le troisième rapidement pour les faire encore plus douter » , retient Hinschberger. La consigne est mise en application et c’est encore Kurbos la sulfateuse qui dégaine avant l’heure de jeu. C’est à partir de là que l’exploit à venir est d’ores et déjà scellé pour Jean-Philippe Rohr : « Tu le vois dans les yeux et ce sont des sensations que tu ne retrouves pas tous les dimanches. À ce moment-là, il se passe quelque chose, c’est vraiment particulier et tu sais que tu vas y arriver. » Une bonne définition d’un tournant du match, en somme. Ce Barça-là n’est plus l’épouvantail redouté quand les hommes du président Molinari marchent sur l’eau, avec un naturel et une application caractéristiques de cette bande de potes, qui reste comme l’une des plus belles générations du club lorrain.

« Une 2CV qui venait de renverser une Ferrari »

Ce n’est pourtant qu’à la quatre-vingt-cinquième que le quatrième but arrive, amené sur la gauche de la surface par le regretté Bocande qui fait le boulot et laisse encore une fois Toni-la-moustache finir le taf’ du point de penalty, malgré un hors-jeu de position messin non signalé. Il reste alors dix petites minutes et la crispation retourne dans le camp français, tellement près de signer une si belle page. « Quand tu fais tout le chemin qu’on a fait et que tu es à deux doigts de te qualifier, je peux te dire que tu as les boules de tout foutre en l’air » , assure Michel Ettorre. Mais rien ne se passe dans le camp d’en face, trop occupé à déjà regretter d’avoir joué les Fangio, sûrs de leur succès. Résultat: 1-4. Naturellement, l’euphorie post-coup de sifflet final fait basculer Marcel Husson et sa bande dans l’irréel. Impression renforcée une fois le temps des chants et de la douche passée, comme s’en souvient Jean-Philippe Rohr : « Avant de finir tard dans la nuit et d’accompagner Philippe Hinschberger à la guitare, nous étions dans le local du Camp Nou pour boire un verre. Et là, on voit du beau monde. J’aperçois Mats Wilander, un mec hyper sympa. Il m’a signé un autographe et on a discuté une bonne heure ensemble. Ce genre de choses, ça rajoute au côté surnaturel de l’évènement. »

Mais la synthèse de cette folle soirée se passe ailleurs, dans une drôle de mélodie en sous-sol d’après-match avec pour symphonie des centaines de bourrins énervés sous les capots des joueurs locaux. Vincent Bracigliano se souvient en effet particulièrement d’une scène au moment de mettre les sacs en soute dans le parking situé sous le Camp Nou : « À ce moment-là, on est près du bus et on voit tous les joueurs du Barça s’en aller avec leurs grosses Porsche, Ferrari, etc. À l’époque, nous roulions de notre côté en 2CV ou Renault 8, nous étions un peu des amateurs par rapport à ces pros qui baignaient déjà dans l’excellence. On sentait à ce moment-là qu’il y avait un monde entre eux et nous. Et finalement, c’est ce qui m’a le plus marqué comme image. Nous étions peu de choses face à eux, mais la 2CV venait de faire mieux que la Ferrari. »

⇒ À lire : l’interview de Pierre Theobald, auteur de Barcelone/Metz 1984 : Le match de leur vie

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