« Si on me promet la victoire demain, je me coupe un doigt »
En ce dimanche pluvieux, Gamboa n'arrivait pas à trouver le sommeil. C'était l'heure de la sieste au Liceo de Funes, lieu austère qu'avait choisi Bielsa comme espace de concentration pour ses joueurs, et le jeune Fernando jouait seul à Pacman dans la salle commune. Bielsa sort alors de sa chambre et s'adresse à son défenseur.
« Je peux te poser une question ?
- Oui, Profe, dites-moi.
- Mais tu ne m'écoutes pas ! Laisse ce jeu et regarde-moi. Qu'est-ce que tu donnerais pour gagner le Clásico demain ?
- Tout, Profe. Vous me connaissez.
- Mais c'est quoi, tout ?
- Par exemple, si je dois tacler avec la tête, je le ferai. Pour moi, demain, c'est à la vie, à la mort.
- Mais non ! Non ! Tu dois en vouloir beaucoup plus que ça.
- Comment ça, plus ? Je vous dis que je taclerais avec la tête. Je jouerai chaque ballon comme si c'était le dernier.
- Tu ne comprends pas, je te parle d'autre chose. Pour que tu te fasses une idée, nous avons cinq doigts sur chaque main. Si on me promet la victoire demain, je me coupe un doigt.
- Quoi ? Comment pouvez-vous dire ça, Profe ?
- Je sais, je viens de le dire à ma femme et elle m'a répondu la même chose. Mais peu importe, c'est comme ça. Tu ne comprends pas de quoi il s'agit. S'il le fallait, je me couperais un doigt pour battre Central. Voilà. »
« Je n'ai pas osé regardé sa main droite »
Même jour, quelques heures plus tard. Rafael, le grand frère de Marcelo, se pointe au Liceo de Funes pour prendre la température. « Je suis arrivé et j'ai demandé dans quelle chambre était Marcelo. J'entre, il était allongé dans son lit. Sans même me regarder, il me dit : "Tu te rappelles du Negro Cali ? Celui qui est parti vivre au Nouveau Mexique, aux États-Unis, et qui se coupait un doigt tous les deux ou trois ans pour continuer à toucher l'assurance travail ? Bon, j'ai envie de faire une promesse : si on en met cinq à Central demain, je me coupe ce doigt." Et il me montra l'index de sa main droite. J'ai vu tant de férocité dans ses yeux, tant de solitude, tant de détermination. Après la victoire 4-3, je ne l'ai vu que le samedi suivant. Je n'ai pas osé regardé sa main droite. On ne leur en avait pas mis cinq, alors j'ai respiré un grand coup et j'ai baissé le regard : sa main était complète. » Ce lundi 8 octobre, Rosario Central est leader du championnat. Newell's l'a écrasé, puis n'a plus perdu un seul match de ce Tournoi d'ouverture 1990, que les Lépreux remporteront à la dernière journée. L'entraîneur Marcelo Bielsa était né. Le mythe, le personnage, souvent incompréhensible pour les « gens habituels » , aussi.
Par Léo Ruiz, en Argentine
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