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Le carnet tactique de Belgique-France

Par Maxime Brigand, à Turin
9 minutes
Le carnet tactique de Belgique-France

Menée de deux buts au bout d’une première période où elle a d’abord confirmé des failles sans ballon, l’équipe de France a su sortir le bélier au retour des vestiaires pour confiner la Belgique dans son camp grâce à un pressing efficace et rarement vu sous Deschamps. Ainsi, les Bleus ont fini par remporter une guerre des nerfs bouillante en rendant une copie générale faite de taches et d’éclats.

Encore sonné par une nuit qui aura vu les Bleus dîner en tête à tête avec le supplice, puis s’offrir une virée avec le vertige, Paul Pogba s’avance face caméra et laisse apparaître un visage éreinté par l’intensité émotionnelle du moment tout juste vécu. Puis, le milieu de Manchester United se lance : « Vous allez sûrement le voir sur des vidéos. J’espère que ce sera après la victoire de dimanche. J’espère qu’on va gagner et que vous verrez ce qu’on a ressenti à la mi-temps dans le vestiaire. C’est une énergie que je ne peux pas expliquer. Je pense que s’il y a une vidéo, vous allez comprendre. » Quarante ans après l’envolée de Jacques Brel sur la sueur, la discipline et son rejet des « accidents de la nature », Turin a été le théâtre, jeudi soir, d’un miracle. Ou plutôt d’une grande explication de texte, qui s’est jouée au fond du vestiaire visiteur de l’Allianz Stadium et qui aura eu une conséquence simple : menée 2-0 à la mi-temps par une Belgique emballante et alors que personne n’aurait misé un kopeck sur un grand renversement de scénario, l’équipe de France s’est offert une chevauchée fantastique pour arracher son billet pour la deuxième finale de Ligue des nations de l’histoire. Mais comment expliquer rationnellement cette grande bascule, ce passage d’une fin de premier acte passé en apnée à une seconde période rythmée par des secousses de fête foraine ? Peut-être avant tout car, comme le chantait aussi Brel, il existe deux sortes de temps : celui qui « attend » et celui qui « espère ». L’histoire récente du jeu ne dit pas autre chose et a déjà assez prouvé que l’équipe de France est aussi dangereuse lorsqu’elle entrevoit le précipice que la Belgique vulnérable lorsqu’elle s’imagine arrivée, ce que Thibaut Courtois a aussi expliqué dans les couloirs de Turin : « On a d’abord bien joué, on a trouvé des espaces, on a eu la possession… Puis, on a été en difficulté, on a perdu notre calme avec le ballon et on leur a donné des buts cadeaux. On savait que 2-0 à la mi-temps, ce ne serait pas assez… » Car ces Bleus, qui se sont présentés en Italie avec un système dont ils sont encore loin d’avoir tous les secrets, sont capables de changer de costume d’une période à l’autre, ce qui fait d’eux des agitateurs aussi imprévisibles qu’impossibles à cerner. Reste un fait : lorsqu’elle jette au loin les calculs et la prudence, cette équipe peut cogner n’importe qui.

Carré intérieur, poisson et roseau

En ça, ce Belgique-France va amener une question simple : si la seconde période française a été une promesse construite sur l’intensité et une volonté de grignoter du temps à des Diables qui ont soudain été repoussés dans leur boîte, ces 45 minutes seront-elles le point fondateur d’une équipe de France qui s’autoriserait à miser sur le pressing plutôt que sur le bloc défensif imperméable qui a notamment porté les Bleus jusqu’au toit du monde en 2018, mais qui n’est plus aussi souverain depuis quelques mois ? Difficile à dire pour le moment, même si le sommet face à l’Espagne, dimanche, à Milan, pourrait amener de premières réponses. Seule certitude : la première période livrée par les hommes de Deschamps, jeudi soir, a confirmé les failles sans ballon vues ces derniers mois. Car si les Bleus avaient su se replier sur eux-mêmes sans quasiment rien concéder en 2018, ils semblent aujourd’hui incapables de tenir avec la même fermeté leur surface, d’où, aussi, la volonté récente du sélectionneur de densifier son secteur défensif.

Tout n’a pourtant pas été à jeter lors du premier acte français, même si certains mauvais réflexes – le surnombre de joueurs derrière le ballon à la relance en tête ; Rabiot et Pogba ayant quasiment systématiquement décroché face à la première ligne de pression belge lors des 45 premières minutes – ont vite été jetés sur le gazon. Les centraux excentrés, Jules Koundé et Lucas Hernández, ont notamment été intéressants sur quelques séquences avec ballon, et c’est notamment au bout d’une bonne projection du joueur du Bayern que Benjamin Pavard a cadré la première frappe française de la nuit. Problème : une fois achevé un premier quart d’heure, où De Bruyne aurait pu battre Lloris sur une erreur d’appréciation de Koundé, l’équipe de France a accepté de reculer et a laissé la Belgique s’offrir un long monologue. La faute à qui, à quoi ? À la passivité des offensifs français en phase défensive, d’abord, qui a laissé Martinez installer son carré intérieur fétiche (Witsel-Tielemans-De Bruyne-Hazard) au milieu d’un bloc tricolore une nouvelle fois trop étiré, à un Lukaku de nouveau intenable dans son jeu dos au but, à un Hazard poisson entre les lignes et colonel sous pression, mais aussi à l’impossibilité pour les Bleus de placer Griezmann en position de craquer une allumette pour créer des phases de transition offensive tranchantes. L’équipe de France a alors fait le roseau, mais a fini par céder logiquement, faute d’une organisation collective coordonnée, le 5-3-2 progressivement installé avec le replacement de Griezmann aux côtés de Rabiot et Pogba en phase défensive n’ayant pas suffi à contrôler tous les espaces.

Défensivement, la Belgique a d’abord été intraitable, Vertonghen et Alderweireld n’hésitant pas à mordre Mbappé et Benzema dans les demi-espaces dès qu’ils ont eu l’occasion de le faire. Premier exemple ici avec cette chasse réussie de Vertonghen sur Mbappé.

Autre séquence, avec cette fois une pression réussie d’Alderweireld sur Benzema.

Mais c’est surtout avec ballon que la Belgique s’est d’abord régalée, car si Griezmann a souvent assuré les replis sur l’un des deux milieux belges (Tielemans ou Witsel), il n’a pas été accompagné lors de la première période, Rabiot se méfiant notamment des déplacements de De Bruyne, ce qui a offert du temps aux Belges pour sortir. Sur cette sortie de balle, Castagne peut ainsi librement toucher Witsel.

Là, Carrasco peut facilement sortir avec Tielemans, à qui Pogba laisse un temps d’action bien trop important.

Ce qui laisse ensuite la Belgique poser son carré intérieur autour du trio Griezmann-Pogba-Rabiot. Comme Koundé ou Hernández se refusent à sortir trop haut, les Diables peuvent s’amuser.

Et De Bruyne peut être alerté dans ses zones préférentielles, que ce soit demi-espace gauche…

… ou demi-espace droit, Theo Hernández étant fixé par Castagne à sa gauche, ce qui l’empêche de sortir.

Laisser du temps à Tielemans (79 ballons touchés en première période) est souvent mortel, surtout lorsqu’il peut jouer verticalement avec Hazard…

… s’appuyer sur Lukaku…

… ou enchaîner les triangles.

Le deuxième but a alors été un symbole parfait des maux bleus du premier acte avec, au départ, un décrochage d’Hazard qui va faire sortir Lucas Hernández…

… à la suite d’un jeu de mouvements, Tielemans peut ainsi trouver De Bruyne, alors qu’Hazard a embarqué Lucas Hernández avec lui, libérant un espace d’accès direct à Lukaku dans le couloir intérieur droit…

… ce temps de retard sera ensuite mortel pour Lucas, et Lukaku ne va pas trembler.

Incapable de presser haut et de serrer les mailles, mais aussi bien cernée au large, l’équipe de France a d’abord bu la tasse, ce que Deschamps a assumé – « On a trop souffert, trop reculé. On n’arrivait pas à ressortir, on manquait d’agressivité… » – avant la grande remotivation.

« Quand ils ont moins de temps… »

Devant au score, la Belgique a alors voulu « finir ce match au plus vite » (Martinez), mais a aussi, et surtout, vu les Bleus lui sauter au cou au fil de la seconde période. « Ils ont énormément de bons joueurs, mais quand ils ont moins de temps, ça devient difficile pour eux, a constaté Jules Koundé au micro de La Chaîne L’Équipe après la rencontre. C’est ce changement d’agressivité, d’intensité, qui a tout changé. » Et quelques ajustements payants, qui ont aidé à couper à plusieurs reprises les fils de la relance belge. Plutôt qu’un pressing individuel tout terrain, Didier Deschamps a fait le choix d’envoyer l’un de ses milieux aux côtés de Griezmann et d’assumer une infériorité numérique qui a responsabilisé la paire Mbappé-Benzema. Un duo qui a tout de suite répondu présent, tout comme l’ensemble du bloc français.

Ajustement de la pause : on a rapidement vu un milieu français – ici Pogba – accompagner Griezmann pour presser le double pivot belge.

La France a soudain défendu en avançant et a fait bégayer Tielemans. Sur cette perte de balle du milieu de Leicester, les Bleus vont récupérer le penalty du 2-2.

L’équipe de France a alors cherché à emmener la Belgique sur un côté pour mieux l’enfermer, comme sur cette séquence…

… ou celle-ci, où Griezmann part à la guerre dès la passe de Vertonghen vers Denayer déclenchée…

… bien suivi par Pogba et Mbappé, alors que Rabiot reste en couverture…

… et va pouvoir accompagner le décrochage de De Bruyne.

Autres marqueurs : les centraux français – ici Koundé – n’ont plus hésité à grimper d’un cran sur les meneurs intérieurs belges.

Mbappé a été précieux dans le contre-pressing : cette récupération haute va d’ailleurs amener le but de Benzema.

Et l’attaquant du Real a aussi fait les efforts.

C’est alors un autre match qui est né : en seconde période, la Belgique, soudainement fragile à l’image d’un Tielemans rapidement sorti, n’a pu tirer que trois fois là où la France a enchaîné les tentatives (12 lors des 45 dernières minutes). Évidemment, tout n’a pas été parfait (le trio offensif doit encore se roder dans l’occupation des zones), même si la proximité des éléments français en phase offensive a favorisé les récupérations hautes et l’efficacité du pressing tricolore. Pour l’une des premières fois depuis le Mondial 2018, Kylian Mbappé, en feu jeudi soir pour sa 50e cape (9 dribbles réussis, 348 mètres gagnés en faveur des siens balle au pied…), a également retrouvé à plusieurs reprises son couloir droit, où il a fait souffrir Carrasco. C’est d’ailleurs dans cette zone que l’attaquant du PSG a été à l’initiative du troisième but.

Trouvé le long de la ligne de touche, Mbappé peut trouver Griezmann sous le nez de Denayer avant que Pavard ne vienne débouler dans le couloir.

Autre satisfaction récompensée par ce but : si les pistons français (Pavard et Theo Hernández jeudi soir) ont d’abord été timides en première période et ont souffert défensivement (surtout Pavard), ils se sont réveillés après l’entracte et n’ont pas hésité à venir créer le surnombre offensivement.

Ici, Theo Hernández, lancé en position de hors-jeu, s’est retrouvé en positon de centre pour Pavard, placé au second poteau.

Après la foire, Lloris a tenu à saluer « la réussite du système » là où Didier Deschamps, lui, a rappelé que la maîtrise d’un 3-4-1-2 demandait du temps et des « répétitions ». À commencer par des répétitions d’efforts, ce que la seconde période, où Tchouaméni a également effectué une entrée pleine d’audace, des Bleus a récompensé. Une histoire d’orgueil, d’énergie retrouvée, de pressing enfin osé. Il faudra s’en souvenir, dimanche, face à l’Espagne.

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