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Le Brésil cajole Neymar

Par Alexandre Berthaud, à Rio de Janeiro
5 minutes
Le Brésil cajole Neymar

Dans une interview donnée à DAZN, Neymar a déclaré que la Coupe du monde 2022 serait « probablement » sa dernière, expliquant se sentir trop faible mentalement. Une déclaration qui inquiète le Brésil, où chaque prise de parole du Ney est scrutée, disséquée et amplifiée. Dans les rues de Rio de Janeiro, Neymar ne récolte que de la bienveillance.

Kaua a 13 ans. Il porte un maillot vintage du Paris Saint-Germain et mange une glace que son père vient de lui acheter dans un fast-food à emporter. Après avoir creusé une tranchée, il va chercher minutieusement le fond de la glace avec sa petite cuillère en plastique et dégaine un « évidemment ! » quand on lui demande s’il a vu les déclarations de Neymar dans le documentaire de DAZN. Sa réponse ressemble à celle de n’importe quel adolescent qu’on dérangerait en train de manger de la crème glacée. De n’importe quel adolescent qui n’aime pas qu’on touche à sa star aussi. « Pour moi, s’il arrête, c’est parce que trop de gens le critiquent, c’est pour ça qu’il joue moins bien aussi. » La santé mentale ? Kaua n’a pas grand-chose à dire là-dessus, il est simplement triste, triste que Neymar arrête. « C’est un joueur que j’adore. » Le père, Marcello, également glace en main, intervient. « C’est vraiment de la spéculation, estime-t-il, calme et apaisé comme le Largo do Machado, quartier du sud de Rio de Janeiro, théâtre de la balade en famille. Les faits, c’est que Neymar est dans une situation de privilégié, mais il ne supporte pas trop qu’on parle d’autre chose que ses performances sur le terrain. Et je pense qu’il n’a pas tort. »

Le soutien de Thiago Silva

En France, les déclarations de Neymar ont non seulement remis en avant les questions de la santé mentale dans le foot, mais elles ont aussi provoqué une vague de réactions. Imaginez alors au Brésil, où la moindre photo du Ney peut déclencher une polémique nationale. D’autant que le soir-même de la publication de l’interview accordée à DAZN, le Brésil et Neymar se déplaçaient en Colombie pour les qualifications du Mondial 2022. Un bon match vaut toutes les interviews du monde. Mais plutôt que calmer l’incendie, la virée à Barranquilla, ville de carnaval (le 3e du monde après Rio et Venise), a plutôt jeté des litres de gasoil trop cher sur les flammes.

On ne peut pas dire que Neymar ait un problème profond lié au domaine mental. Il est normal, plutôt sain même, de planifier sa vie professionnelle.

En un mot, Neymar a été mauvais. Lent, peu inspiré (ça arrive), mais également imprécis techniquement (ça arrive moins). La coïncidence de timing était fortuite – l’interview datant de plusieurs semaines -, mais les conclusions faciles à prévoir. « Neymar inquiète sur et en dehors du terrain » , titre à la suite du match le journal Globo. Sur TNT Sports, un bandeau défile en bas de l’écran : « La déclaration de Neymar : une alerte sur la pression qu’il subit ? » On se fait du souci pour le prodige de Mogi das Cruzes, et rapidement Thiago Silva en personne vient valider les inquiétudes. Sur Instagram, il écrit : « Si tu as besoin de quelqu’un qui soit fort pour toi, sache que je serai toujours là. » Dans le même temps, le capitaine de la Seleção demande en conférence de presse de la « tranquillité et de la cohérence ». Pour en trouver, il faut se tourner vers un professionnel, le Dr Paulo Ribeiro, psychologue du football, spécialiste des neurosciences, employé du club de Botafogo : « On ne peut pas dire que Neymar ait un problème profond lié au domaine mental. Il est normal, plutôt sain même, de planifier sa vie professionnelle. En faisant cela, il essaie surtout de s’éviter une usure psychologique supplémentaire. »

La psychologie rentre dans les têtes

Mais les médias brésiliens faisant peu appel à l’expertise psychologique, les internautes s’improvisent Freudinho. Le sujet devient viral, mais pour un peu de critique, Neymar reçoit surtout un mélange de bienveillance et d’inquiétude. « Je me demande s’il est encore heureux sur le terrain », « il ne faut pas oublier qu’il a plus de pression que 99% des joueurs », « il a perdu sa volonté, il est littéralement dépressif. » Dans la rue aussi, les avis divergent, mais tout le monde en a un. Isabel, 46 ans, survêtement du Flamengo sur le dos : « C’est confus cette histoire, on ne sait pas à quel point c’est sérieux. Est-ce qu’il a des problèmes de dépression ? » Plus loin, Luis, attablé avec son demi de onze heures et demie : « Neymar est vieux de toute façon, ce n’est plus un bon joueur. Mais bon, je pense que ce n’est pas du cinéma, les problèmes mentaux, ça existe. » Dans l’ensemble, les Brésiliens semblent donc sensibles à la question. Un effet Simone Biles/Naomi Osaka, deux lanceuses d’alerte sur le sujet ? « Plutôt un effet Covid, répond très sérieusement Marcello, notre père de famille qui a bientôt terminé sa glace. Tout le monde ou presque a vécu enfermé, sans le droit de sortir, on a tous eu plus ou moins le moral ; la santé mentale, c’est une question mondiale maintenant. » Pour le Dr Paulo Ribeiro, « les problèmes de santé mentale commencent à attirer l’attention précisément parce que les sportifs de haut niveau au Brésil en parlent, alors qu’avant, un athlète qui s’épanchait était faible et vulnérable ».

Nilmar sur le divan

Parmi ces athlètes récemment sur le divan, l’ex-Lyonnais Nilmar s’est confié à TNT Sports le mois dernier : « J’ai mis du temps à accepter la dépression, me rendre compte qu’il n’y avait pas de raison, qu’elle était chimique. Dans le monde où je vivais, on se moquait de toi si tu en parlais. J’avais honte. » Une honte d’autant plus grande qu’on vient d’un milieu pauvre. Le « tu as réussi, tu ne peux pas te plaindre » existe encore dans un pays où, selon une étude qui vient de paraître, 20 millions de Brésiliens ne mangent pas tous les jours. Mais ce n’est pas parce qu’un peuple élit un président rétrograde qu’il est à son image. Les mentalités évoluent, et si Nilmar a parlé, c’est aussi dans le cadre de « Septembre jaune » , mois consacré à la prévention du suicide, donc de la dépression. D’ailleurs, selon le Dr Ribeiro, les clubs brésiliens emploient chaque année davantage de psychologues du sport. Un signe, là aussi, que la question est prise au sérieux. Les réactions des Brésiliens sont formelles : peu importe où se trouve Neymar actuellement, il n’est pas seul.

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