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Jonathan Gradit, la « perceuse » du RC Lens

Par Maxime Brigand
8 minutes
Jonathan Gradit, la «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>perceuse<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>» du RC Lens

Indiscutable du Racing de Franck Haise, Jonathan Gradit est devenu à 28 ans l'une des références de son poste. Formé aux Girondins de Bordeaux, passé par le football amateur, comparé à Philipp Lahm par l'un de ses anciens entraîneurs, voilà qui est vraiment le numéro 24 lensois.

Ainsi va la vie d’un vestiaire de foot : aucun joueur n’y marche seul, et chacun circule entre les chaussettes sales avec un label évolutif enroulé aux chevilles. L’un est un « cadre » , l’autre est un « jeune espoir » . Lui est « à la relance » , alors que son voisin est plutôt « relanceur » . Là-bas, juste à côté du « vieil expérimenté » , il y a le « relayeur » . Dans ce drôle de monde, Jonathan Gradit, 28 ans, est celui que ses potes appelle simplement « la perceuse » . En d’autres termes : le défenseur du RC Lens est un joueur qui éventre les lignes adverses, ce qui est essentiel dans le 3-4-1-2 dessiné par son entraîneur, Franck Haise. Ce qu’il en dit : « J’ai toujours aimé me projeter balle au pied, encore plus depuis que je suis ici, car notre défense à trois libère des espaces. Mon rôle est d’amener le surnombre. J’adore ça. » Conséquence directe, le joueur de 28 ans a bouclé le dernier exercice en étant le joueur de Ligue 1 qui a le plus fait avancer son équipe sur le terrain balle au pied. En Europe, seule une petite douzaine de joueurs ont fait mieux que lui dans ce domaine. Une surprise ? L’histoire raconte plutôt que Gradit a toujours eu cet amour du voyage avec ballon et ceux qui l’ont croisé appuient tous sur cette facette.

Un jour, on était dans un bureau ensemble, à Tours, et il m’a dit qu’il était sûr que je coacherais un jour en Ligue 1. J’étais moins sûr de ça que du fait qu’il jouerait lui un jour en Ligue 1.

Lui ne raconte pas le contraire, mais insiste quand même sur le fait que Haise l’a aidé à développer un goût encore plus prononcé pour le jeu. « Chaque semaine, on bosse énormément sur les détails via la vidéo, décrypte le numéro 24 du Racing. On est au millimètre sur le placement, les zones à attaquer pour les sorties de balle… Récemment, tout le monde a loué notre gros match défensif à Monaco, mais derrière, le staff m’a sorti des séquences sur lesquelles j’aurais pu être encore plus efficace. C’est comme ça que tu progresses, que tu ne restes pas sur tes acquis, que tu t’affines. » Et c’est aussi comme ça que Jonathan Gradit s’est taillé sa petite réputation en Ligue 1 après plusieurs virages et quelques cols, arrivant finalement là où beaucoup espéraient le voir amarrer un jour. Fabien Mercadal, son ancien coach à Tours et Caen, a son anecdote sur le sujet : « Un jour, on était dans un bureau ensemble, à Tours, et il m’a dit qu’il était sûr que je coacherais un jour en Ligue 1. J’étais moins sûr de ça que du fait qu’il jouerait lui un jour en Ligue 1. » Reste un fait : alors qu’il semblait destiné à un décollage sans encombre, Gradit a dû attendre ses 25 ans pour voir son nom écrit sur une feuille de match de première division. Ce qui, un jour de septembre 2020, quelques minutes avant un Lens-Bordeaux, a poussé Jean-Louis Gasset, alors entraîneur des Girondins, à poser cette question au bonhomme : « Mais qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

J’allais à Chaban, je me rappelle des matchs de Ligue des champions, le Bayern, la Juve… La saison après le titre, je suis en plus dans le groupe pour la C1. J’étais sur une phase ascendante, Laurent Blanc et Gasset me faisaient confiance, mais…

L’important n’est pas la chute

Bonne question. « Il s’attendait à ce que tout soit simple pour moi, il n’avait pas trop compris mon chemin », sourit aujourd’hui Jonathan Gradit tout en invitant implicitement à s’aventurer au point A du récit. À savoir : les premières courses en short sous les yeux de son père, Didier, fan de foot et coach des poussins du Club Pyrénées Aquitaine, l’apprentissage du poste de défenseur dans une équipe qui comptait aussi son pote Maxime Poundjé, l’arrivée chez les Girondins de Bordeaux à l’âge de dix ans… Une route tracée dans ce que Gradit considère encore comme son « club de cœur ». Puis, la bascule : « Je rêvais de ce club parce qu’il m’a fait rêver et m’a tout donné. J’allais à Chaban, je me rappelle des matchs de Ligue des champions, le Bayern, la Juve… La saison après le titre, je suis en plus dans le groupe pour la C1. J’étais sur une phase ascendante, Laurent Blanc et Gasset me faisaient confiance, mais, en 2012, je me retrouve hospitalisé pendant douze jours : une ampoule s’était infectée, j’ai contracté un staphylocoque doré, et derrière, j’ai eu énormément de mal à retrouver mon niveau. Logiquement, les Girondins ne m’ont pas conservé, et j’ai pris un énorme coup sur la tête. » Derrière, que faire ? La vie d’un joueur de foot tenant aussi à sa capacité d’apprendre à tomber, après avoir perdu un paquet de kilos, Jonathan Gradit se relève, prend son sac, part à Bayonne en CFA, s’inscrit dans une salle de muscu pour s’infliger des séances complémentaires aux trois entraînements hebdomadaires et commence à se construire un chemin parallèle. Pas très loin de lui dans le vestiaire, il retrouve Alexandre Martin-Cantero, non conservé par les Girondins lors de l’été 2011 et également à la relance après une année passée à Guingamp. Pas très loin de lui en dehors, il y a aussi – et peut-être surtout – Marie, rencontrée au collège lorsqu’il avait treize ans et avec qui il a aujourd’hui trois enfants. Le voilà sur un tremplin.

Cœur atrophié et Philipp Lahm

Au Pays basque, Gradit, conscient qu’il ne peut pas lâcher au risque de tout abandonner, va alors s’offrir une saison pleine et recevoir le coup de pouce d’un coéquipier, Olivier Serra, proche de l’entraîneur de la réserve du Tours FC, Cyrille Carrière. « La suite est très simple, rembobine ce dernier. On a fait venir Jonathan trois jours à l’essai. Il était un peu blessé, mais on l’a pris quand même. Il a commencé avec la réserve : capitaine, quinze matchs, quinze fois titulaire, quinze fois le meilleur joueur sur le terrain. Il avait tout : il coupait parfaitement les ballons, il courait plus que les autres, il pouvait s’adapter à toutes les situations, et il y a été obligé pour décoller, puisqu’un jour, Olivier Pantaloni voulait un latéral droit. Il pensait à Jo’. Lui, il a passé sa vie à jouer dans l’axe, donc il va le voir et lui dit : « Coach, je ne me sens pas trop de jouer là… » Je lui ai tout de suite dit d’y retourner parce qu’il en était capable. »

Seul hic chez Gradit ? « Son cœur atrophié », répond en se marrant son vieux pote Alexandre Martin-Cantero, avec qui le natif de Talence est souvent parti en vacances. Il complète : « Franchement, il a la VMA(valeur maximale d’aérobie, NDLR)d’un chat crevé. Quand on l’a vu jouer latéral droit à Tours, puis à Caen ensuite, qu’on connaît l’exigence moderne du poste, on a rigolé. Mais il a su compenser ça par l’intelligence. On a toujours su avec les potes qu’il avait le bagage pour la Ligue 1. Seul problème, certains lui ont aussi un peu fermé les portes à cause de sa taille. Mais Jonathan, ce n’est pas un central classique, et quand on sait le faire jouer… »

J’avais un fantasme : le faire jouer un jour en pointe basse dans un milieu à trois. Pour moi, toutes proportions gardées, c’est un profil à la Philipp Lahm, qu’un entraîneur peut utiliser dans différents rôles selon les forces et faiblesses de l’adversaire.

Fabien Mercadal, qui a fait venir le joueur en Ligue 1 à Caen après la relégation du Tours FC en National au printemps 2018 (un transfert que Jonathan Gradit a payé de sa poche, alors que le club tourangeau refusait de le libérer), estime aujourd’hui qu’il serait possible de faire une équipe « avec onze Gradit ». Explications : « Je pense qu’il pourrait seulement avoir des difficultés dos au jeu, mais il a tout du joueur moderne. Avec onze Gradit, tu seras solide défensivement, créatif offensivement… Avec lui, j’avais un fantasme : le faire jouer un jour en pointe basse dans un milieu à trois. Pour moi, toutes proportions gardées, c’est un profil à la Philipp Lahm, qu’un entraîneur peut utiliser dans différents rôles selon les forces et faiblesses de l’adversaire. » Pas forcément plébiscité en interne au départ du côté de Malherbe et arrivé à l’origine dans la peau d’une doublure de Frédéric Guilbert, Gradit aura fini, comme partout, par glisser tout le monde dans sa poche et par progressivement se faire une place dans l’axe. « C’est un mec qui en impose naturellement, confirme son ancien coéquipier Emmanuel Imorou. Il a calmé tout le monde avec ses performances, et en fin de saison, on a aussi découvert son côté chambreur. »

Puis, il y a eu ce départ au Racing, club avec lequel il a immédiatement connecté à tous les niveaux et dont son père lui parlait souvent lorsqu’il était enfant. Club où il a surtout trouvé, en débarquant, ce qu’il a toujours cherché : un club populaire, blindé d’histoire, et un vestiaire habité de parcours chaotiques. « C’est notre force, déplie Jonathan Gradit. La majorité des mecs ont plus ou moins galéré au cours de leur carrière. Que ce soit Jo Clauss, Seko Fofana, Gaël Kakuta, Jean-Louis Leca… On a tous eu nos vies avant de se retrouver à Lens, et ça explique pourquoi on a croqué la Ligue 1 à pleines dents. C’est aussi ce que veulent les gens, ici. Les supporters ne demandent pas un Messi qui met cinquante buts par saison. Ils demandent des chiens, qui s’arrachent pour eux. La preuve : quand en Ligue 2, en pleine semaine, tu as 30 000 personnes pour un match contre Chambly… Tu comprends. » À 28 ans, Jonathan Gradit, que ses proches décrivent tous comme le prototype du mec « tranquille » et qui a déjà placé des billes pour l’avenir dans des biens immobiliers, a construit sa route, est devenu « La Perceuse » et une référence de son secteur. Lui est clair : « J’apprécie plus cette route que si j’avais eu un chemin classique… »

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