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Gary Stempel : « Au Panama, quand la sélection joue, c’est la folie ! »

Propos recueillis par Arthur Jeanne, au Panama
8 minutes
Gary Stempel : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Au Panama, quand la sélection joue, c’est la folie !<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Ancien sélectionneur du Panama (2008-2009), Gary Stempel s'occupe aujourd'hui des U17 du Panama. Autant dire qu'il est bien placé pour parler du petit poucet de cette Coupe du monde.

Comment un coach anglais atterrit-il au Panama ?En réalité, je suis panaméo-britannique. Je suis né au Panama. Mon père est panaméen, il s’appelle Cookie Stempel, il est connu ici, c’était un joueur de baseball professionnel, un des premiers à évoluer dans les grandes ligues. Il a notamment joué à Philadelphie. Ma mère, elle, est anglaise. Je suis rentré en Angleterre quand j’avais 5 ans. Je suis d’East Finchley dans le Nord de Londres. J’ai habité là-bas une grande partie de ma vie.

Tu as commencé ta carrière dans le foot anglais ? J’ai débuté à Millwall dans les années 1980, je faisais partie d’un programme qui s’appelait Football in the community. En 1985, Millwall, c’était le club de hooligans par excellence. Et le club a créé ce programme pour combattre cela notamment, et j’ai commencé à y travailler. C’était un travail d’éducateur sportif. Nous avons par exemple transformé l’aire VIP du Den, le stade de Millwall, en salle de classe, pour y donner des cours aux jeunes du quartier. Ensuite, j’ai passé tous mes diplômes d’entraîneur de la FA. J’ai entraîné les moins de 13, les moins de 15 et les moins de 18 ans de Millwall.

Et donc à un moment tu reviens au Panama ? Oui, en 1996. Mon père m’a convaincu, il me disait qu’il y avait plein de choses à faire. Et donc je suis revenu pour une nouvelle aventure. Une vraie aventure ! À l’époque, ça a été très compliqué. La Fédération était divisée. Il n’y avait pas de vision, d’organisation, pas de moyens non plus. Tu allais entraîner et il n’y avait pas de chasubles, il y avait trois ballons. On s’entraînait les maillots contre les torses nus. Certains joueurs avaient juste une chaussure sur leur pied fort. Il n’y avait pas de frigo. Les joueurs étaient étudiants, footballeurs et travaillaient. Ils n’avaient pas d’argent pour manger. Des mecs de 16 ans pouvaient avoir deux gamins.

La réalité du football panaméen est plutôt compliquée, non ? En réalité, le Panama n’est pas différent des autres pays. Tu pourrais faire un reportage sur la plupart des joueurs latino-américains, et l’histoire est à chaque fois la même. J’ai vu un reportage de la BBC sur Gabriel Jesus, la favela d’où il venait… La réalité de ces quartiers compliqués, ce sont les gangs, la violence, la délinquance, les trafics. L’histoire pour moi, c’est comment sortir de cet environnement. La BBC est venue, et on est allé à l’endroit où Joseph Calderón, le second gardien de la sélection, a grandi. C’est une barraca, une baraque de tôle et de bois, dans le quartier de San Miguel. Ils vivaient à cinq dans une pièce et il s’en est sorti. La vraie histoire, c’est comment un gamin de la rue qui vient de conditions inhumaines arrive à devenir ce qu’il est.

Ton passé d’éducateur t’a préparé à travailler avec ce genre d’histoires. Tu te sens investi d’une vraie mission ? On a aidé pas mal de gamins. Un de mes joueurs, Coco Henriquez, était tous les matins aux feux rouges en train de vendre des journaux. Tous les jours, je le voyais en allant déposer ma fille à l’école. Alors qu’il jouait au Tauro en première division. Il se levait à 5 heures du matin pour aller bosser. On lui filait un peu d’argent pour qu’il puisse s’entraîner et c’est devenu un des piliers de la sélection. Il est parti jouer au Lech Poznań en Pologne. Le football l’a aidé. Il faut aller dans ce sens. On a eu récemment une réunion avec l’UNICEF pour développer le programme Football in the community avec la Fédération. Nous allons créer notre propre école. Je ne veux pas créer une école formelle. Mais il faut leur apprendre l’anglais, les maths de manière interactive. Le football est un appât, il n’y a rien de plus puissant. Je te donne un exemple. Un terrain de foot, ça n’est que de la géométrie. En utilisant la géométrie du terrain de foot, tu peux apprendre les maths aux gamins. On va également organiser des modules avec la presse, des caméras pour apprendre aux types à parler correctement.

Avec certains jeunes, tu as l’impression d’avoir échoué ? Tu peux sortir le gamin du quartier, mais le quartier lui ne sortira jamais de sa manière d’être. On a eu ce genre d’expériences. Parfois on a investi, énormément, de temps, d’énergie, d’expérience, d’argent, et on n’a pas réussi. José Garcés est l’exemple classique. Il a été meilleur buteur de Nacional en Uruguay. Il y a une photo célèbre de Luis Suárez, qui porte Garcés sur ses épaules. Le mec est parti en Arabie saoudite, il gagnait 35 000 dollars par mois, mais il s’ennuyait ferme et il voulait rentrer. Je lui ai dit : « Putain, Chuchito, tu bouffes toute la terre du désert pour ce salaire pendant un an. » Après deux mois, il s’est barré sans prévenir personne et est revenu au quartier. Il a fini en prison très vite. Il s’est mis dans un business étrange avec son frère qui est un délinquant notoire. Il a failli mourir dans une fusillade. Il y a aussi Miguel Tello, un joueur qui a disputé le premier Mondial U20 de l’histoire du Panama sous mes ordres. Il a participé à un vol à main armée qui a mal tourné et ils ont buté le garde de sécurité. Aujourd’hui, il est en prison à la Joyita.

Tu as également connu d’autres pays où c’était encore plus chaud.J’ai travaillé au Guatemala et j’ai entraîné l’équipe d’Aguila au Salvador. Ça n’a pas marché. J’ai eu du mal à m’adapter. Le soir, je recevais des coups de fil surprenants… Des menaces. Le football est compliqué là-bas. Rien à voir avec le Panama. La MS 13 est investie dans le football, les maras ont des intérêts. Il y a des choses vraiment tendues. Au Guatemala idem. Les principaux clubs, Municipal et Comunicaciones, ont des fans très conflictuels.

Le football panaméen a beaucoup progressé, mais au niveau du championnat local, c’est toujours compliqué…La popularité du football a augmenté. Mais Panama a fait les choses à l’envers. Ici, personne n’aime les clubs. En Europe, tu aimes d’abord un club avant d’aimer la sélection. Ici non. Le premier amour est la sélection. Tu ne nais pas avec la passion d’un club. Quand la sélection joue, c’est la folie. Alors que la fin de semaine passée, il y avait 5 matchs entre les 10 équipes de première division. Sur les 5 matchs, il n’y avait peut-être pas plus de 1200 personnes. 200 par match. Parfois, tu peux voir une centaine de personnes dans un stade de 30 000. Fatalement, il y a peu de sponsors, peu d’argent et donc les joueurs sont parfois livrés à eux-mêmes.

Comment as-tu vécu la qualification pour la Coupe du monde ?Hyper intensément, rien que d’en parler me donne des frissons. Enormément de gens ont travaillé pour arriver à cela. Des anciens entraîneurs, des joueurs, des journalistes. J’en ai rêvé, mais je n’y croyais quasiment plus. La manière dont on s’est qualifiés, c’est encore plus fou. Le pays a fêté ça intensément, les bières étaient en rupture de stock, tout le monde s’est rué sur les supermarchés ouverts 24/24 pour se ravitailler. Mais en une demi-heure tout était écoulé ! À 1h du matin, le président a dû se rendre au palais présidentiel pour signer un décret et déclarer le lendemain jour férié ! Un moment unique.

Comment tu définirais le style panaméen ? La sélection du Panama est en train de créer son style. Il nous manque de l’histoire en matière de football, nous serons la nation la plus jeune footballistiquement en Russie. Nous sommes en train d’inventer notre football. Il y a des sélections qui ont un style de jeu défini depuis des années, un style historique. Le Brésil par exemple. Le style panaméen, lui, est basé sur le biotype du joueur. Le joueur est grand, fort, rapide. Nous avons toujours eu de bons attaquants, cette année c’est moins le cas, cela manque à la sélection. Le Panaméen a aussi eu une mentalité très spéciale, issue de la rue. Il ne nourrit aucun complexe. Tu peux avoir Özil ou Ronaldo dans le couloir, le Panaméen va le regarder dans les yeux et lui dire : « Et toi t’es qui ? »

Qu’espères-tu pour ce Panama-Angleterre ? Je veux un match nul pour ce match. Il y a quelque chose que je n’aime pas du tout dans le football actuel, ce sont les écharpes où tu as le nom des deux équipes. Les couleurs des deux équipes. Venant du nord de Londres, je suis un grand fan d’Arsenal, et si Arsenal joue, je ne veux pas le nom de l’autre équipe sur mon écharpe. Mais pour ce match, je ferai une entorse à cette règle. J’aurai une écharpe et un maillot moitié Angleterre, moitié Panama.


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Propos recueillis par Arthur Jeanne, au Panama

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