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Des larmes jaunes et noires
C'est dur de voir son club sombrer. C'est encore plus dur quand on ne s'y attend pas, et qu'on espère que cela cesse tous les jours. Être coincé dans le Saṃsāra. Mais après la tempête, un ciel doré attend.
Cela faisait un mois que l’on attendait le début de la Rückrunde. Après une trêve bien méritée, le BVB allait récupérer tous ses blessés, et tout rentrerait dans l’ordre. C’est vrai quoi, on dirait Arsenal. Si on prend la présumée équipe type (Weidenfeller/Piszczek-Hummels-Subotić-Schmelzer/Bender-Gündoğan/ Mkhitaryan-Kagawa-Reus/Immobile), tout le monde a déjà été sur le flanc au moins une fois, et souvent beaucoup plus. Même les autres (Großkreutz, Durm, Şahin, Kehl, Kirch, Błaszczykowski, Ramos) n’ont pas été épargnés. Mais tout ça, c’était fini. L’opération sauvetage pouvait commencer, d’autant plus que le board avait mis le paquet pour faire venir Kevin Kampl, un nouvel homme à mèche qui court partout. Contre Leverkusen, en ouverture, le jeu n’était pas encore au rendez-vous, mais prendre un point contre un prétendant au podium quand on est dernier, ce n’est déjà pas si mal, surtout sans encaisser de but. Et puis KK plaisait déjà beaucoup, avec notamment ce sprint sur l’aile gauche pour venir récupérer le ballon enchaîné avec une roulette pour ressortir proprement. Alors contre Augsburg, c’était sûr, les trois points étaient dans la poche. Pour le coup, l’équipe était belle : Weidenfeller dans les bois, Großkreutz à droite, qu’on espérait aussi fort à ce poste qu’en début de saison dernière, ce qui lui avait permis d’aller au Brésil, une charnière Sokratis-Hummels, la meilleure, Schmelzer et son pied à gauche, une paire de récupérateurs de jumeaux Şahin-Gündoğan, forcément créative, PEA de retour de CAN et sa vitesse sur l’aile droite, le prometteur KK de l’autre côté, Reus prêt à faire des ravages dans l’axe, et Immobile en pointe, lui qui s’était montré en nets progrès contre Kusen. Sur le banc, on retrouvait notamment Subotić, Ginter, Kagawa, Mkhitaryan, Ramos, des presque titulaires. Ça allait le faire, surtout à la maison. C’était le début de l’inexorable marche en avant.
Tout fout le camp
Mais comme souvent cette saison, rien n’est allé comme prévu. Le BVB a été incapable de produire du jeu et a pris peur. À tel point qu’à la cinquantième minute, Raúl Bobadilla, avec son nom de méchant de dessin animé, a ouvert le score. Augsburg a certes fait des efforts pour ne repartir qu’avec le point du nul, Janker se faisant expulser pour une faute sur Aubameyang. Mais même un joueur de plus n’a pas suffi. Signe qui ne trompe pas, en fin de match, le Westfallenstadion lui-même s’est mis à siffler. Oui, l’impensable s’est produit : ce public si fidèle en a eu marre. À tel point qu’après la rencontre, Roman Weidenfeller, capitaine, et Mats Hummels, vice, sont allés parler à la Südtribune pour essayer de calmer la situation, pendant que les autres joueurs restaient sur le terrain, le regard hagard, perdus, incapables de réaliser, comme sous le choc de quelque chose d’irréaliste, fou. Sans se regarder, seuls dans la multitude, Şahin, Gündoğan, Kagawa, Sokratis, même Klopp.
Comme d’habitude, Jürgen Klopp ne s’est pas caché face aux journalistes après-match. Il est allé leur parler, pour leur dire la vérité : « On peut être accusé de tout ce soir et tout sera justifié. Se battre veut aussi dire avoir le courage de prendre la bonne décision. Cela nous a manqué. Ça fait mal, il n’y a pas de doute. On fait tout mal en ce moment. On ne fait rien de nos chances. » Que reste-il alors, si ce n’est une vaste impression de désespoir ? Quand même votre entraîneur, votre phare dans la tempête, celui dont l’énergie volcanique vous a fait passer du ventre mou à la tête de l’Allemagne, presque de l’Europe (salaud de Robben), commence à douter ? Perdre n’est certes pas inhabituel cette saison, mais perdre quand on y croyait de nouveau, c’est pire que tout. Le BVB est dernier, encore une fois, encore quelques jours au moins, peut-être le restera même. Tout le monde panique. Les joueurs balancent des grands ballons devant, ne savent plus défendre, fébriles comme des poussins, incapables de prendre leurs responsabilités en attaque. Jürgen n’a peut-être plus la foi. Certains parlent de le virer, mais pour quoi faire ? D’autres saluent le fait qu’il soit maintenu, chose qui n’arriverait pas ailleurs, mais à quoi bon ? Le BVB est dernier. « Un homme qui a fait un bond dans le paradis, comment pourrait-il s’accommoder de la vie de tout le monde ? » disait Alain-Fournier. Même la possibilité de braquer la Ligue des champions et de descendre quand même ne provoque plus rien. Même l’idée de faire une Kaiserslautern pour se rassurer. Mats Hummels est finalement devenu ce grand héros tragique qu’il a toujours été. « La beauté, on sait que ça meurt, et comme ça, on sait que ça existe » écrivait Céline. Le BVB a été beau. Il peut le redevenir.
When you walk through a storm
Il faut encore y croire, quitte à être déçu, encore et toujours. Parce qu’on ne devient pas nul du jour au lendemain. Parce que cette année, c’est aussi un peu l’année de la rédemption, regardez Torres. Parce qu’un phoenix, c’est un peu jaune quelque part. Parce qu’on se souvient où on était quand Lars Ricken a lobé Angelo Peruzzi. Parce qu’on a adoré Matthias Sammer, Karl-Heinz Riedle, Christian Wörns, Tomáš Rosický, Christoph Metzelder, Sebastian Kehl, Torsten Frings, Guillaume Warmuz, Roman Weidenfeller, Nuri Şahin, Alexander Frei, Mats Hummels, Shinji Kagawa, Kevin Großkreutz, Sven Bender, Mario Götze, Robert Lewandowski, Marco Reus, Henrikh Mkhitaryan. Même Damien Le Tallec, même Felipe Santana, surtout contre Málaga. Qu’on a maudit le poteau d’Iker Casillas, et Arjen Robben. Que Mario Götze et Robert Lewandowski nous ont souvent fait pleurer, de bonheur, et de tristesse, deux fois, en partant et en marquant. Parce que même avec un maillot jaune super moche, les Schwarzgelben ont la classe. Parce que Dortmund a déjà failli mourir une fois, au début du siècle, victime de la folie des grandeurs des dirigeants, et que ses supporters l’ont sauvé. Weil « at the end of the storm, there’s a golden sky, and the sweet silver song of a lark » .
Par Charles Alf Lafon