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David Gaskell, le « Busby Babe » oublié

Par Romain Duchâteau
8 minutes
David Gaskell, le «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Busby Babe<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>» oublié

Son existence est à peine mentionnée, sa place dans les annales largement occultée. Pourtant, encore à ce jour, David Gaskell reste le plus jeune joueur à avoir porté le maillot de Manchester United. C’était il y a soixante ans jour pour jour. Le gardien anglais avait alors à peine seize ans. Le reste appartient à l’histoire.

Au cœur d’une nuit glacée où les flammes se mêlent aux flocons, le tableau qui s’ouvre à l’horizon apparaît aussi crépusculaire qu’apocalyptique. Ce 6 février 1958, la mort vient de frapper Manchester United. Sans prévenir. Alors que le club britannique vient de valider sa qualification pour la demi-finale de Coupe d’Europe des clubs champions après un match nul spectaculaire, à Belgrade, contre l’Étoile rouge (3-3), l’avion BEA Elizabethan qui ramène l’équipe et ses accompagnateurs manque sa troisième tentative de décollage sur la piste de l’aéroport de Munich. La faute à une aile qui a embrasé un réservoir de pétrole et provoqué l’une des tragédies les plus lugubres frappant une équipe de football. « Un désastre frappe la plus connue des équipes de football, titrera le lendemain le Belfast Telegraph.L’avion qui transportait Manchester United s’écrase et prend feu. Les survivants toujours entre la vie et la mort. » Miraculé, Sir Matt Busby s’en sortira. Le corps éprouvé, les cicatrices manifestes et la souffrance indélébile, vécue chaque jour comme une torture. Vingt-trois autres personnes présentes à bord n’auront pas cette même chance.

Parmi les victimes, huit « Busby Babes » , les « enfants disparus » de l’iconique manager mancunien qui s’évertuera jusqu’au crépuscule de sa vie à honorer leurs mémoires : Roger Byrne, David Plegg, Tommy Taylor, Eddie Colman, Billy Whelan, Mark Jones, Geoff Bent et l’étoile montante Duncan Edwards. Vingt-trois ans de moyenne d’âge. Les autres survivants, à l’instar de Bobby Charlton, seront, eux, habités pendant longtemps par ce même refrain lancinant. « Je me suis dit :« Pourquoi moi ? Pourquoi suis-je encore ici sain et sauf avec une petite éraflure à la tête ? C’est injuste ! » Il m’a fallu énormément de temps pour me remettre de tout cela » , confiera plus tard le champion du monde 1966. Le gardien David Gaskell a sans doute dû être également tourmenté par de telles pensées. Il n’était pas là en cette sombre soirée d’hiver. Il aurait pourtant pu faire partie de cette catastrophe, son passeport ayant été tamponné par le visa nécessaire. Mais le staff lui préférera finalement Harry Gregg. Celui-là même qui bravera les décombres et les flammes pour extirper du brasier les joueurs Charlton et Dennis Viollet ainsi que deux passagères.

« Mais qu’est-ce que tu fous là ? »

Dans ce crash de Munich, c’est aussi une partie de l’histoire de David Gaskell qui est partie en lambeaux. Seize mois plus tôt, il disputait son premier match avec les Red Devils avec sept joueurs disparus. « Je me souviens du jour où les cercueils sont arrivés au club, s’épanchait encore ému l’Anglais, en août 2011. Nous avons dû les transporter et les mettre dans la salle de gym. Croyez-le ou non, mais je devais porter des cercueils sanglants. J’avais dix-sept ans. Je me souviens avoir transporté celui de Mark Jones, il ne restait plus rien de lui. J’aurais pu soulever le cercueil avec une seule main. Le lendemain, je devais rendre les effets personnels de Billy Whelan à ses parents quand ils sont venus dans sa chambre. Cela m’a affecté moralement plus tard dans la vie. J’étais allé aux funérailles. C’était trop dur à encaisser pour un adolescent. Ce n’est que plus tard que j’ai pris conscience de tout ça et cela m’a pris du temps. » Derrière le drame, les deuils et le poids d’un mythe à supporter, le destin a pourtant souvent souri au portier. Son parcours a pris sa source un certain 24 octobre 1956. Ce soir-là, Manchester United doit affronter City dans un derby incandescent, à Maine Road, pour le Charity Shield. David Gaskell n’est alors, à l’époque, que le quatrième gardien et n’est lié aux Diables rouges que par un contrat d’apprenti.


Il vient de passer une journée harassante, à Old Trafford, à nettoyer les gradins du stade et à préparer les chaussures des joueurs pour la rencontre. Mais il décide tout de même de se rendre dans l’enceinte des Citizens pour assister au derby. Sans savoir que sa trajectoire va basculer. « Je suis resté dans les tribunes et quelques minutes plus tard, Ray Wood (le gardien titulaire, ndlr) se blesse. La minute suivante, Bert Whalley, l’un des assistants, est venu me trouver et m’a traîné dans le vestiaire. Il a juste dit : « Tu vas jouer. » » Avec des crampons et un maillot empruntés à des partenaires, Gaskell débarque sur la pelouse et débute pour Manchester United à seulement seize ans et dix-neuf jours. Ce qui fait encore de lui, à ce jour, le plus jeune joueur à avoir arboré la tunique du club britannique en professionnel. Quelque peu décontenancé en voyant son compagnon de chambre dans les bois, Duncan Edwards lui lâche : « Mais qu’est-ce que tu fous là ? » « Je crois que je joue, Monsieur Edwards » , lui répondra le gamin, presque gêné. Et le jeune gardien britannique livre même une prestation de haute volée, ponctuée de plusieurs arrêts, qui permet aux siens de s’imposer (0-1). Sauf que personne ne retient son nom à la fin du match. À cause d’une méprise du commentateur de la BBC, Kenneth Wolstenholme, qui l’a confondu pendant toute la rencontre avec le portier titulaire, Ray Wood. « Kenneth Wolstenholme n’arrêtait pas de dire que Ray Wood avait retrouvé son meilleur niveau, plaisantait-il en septembre dernier. Il n’avait pas remarqué que les cages étaient gardées par un gamin de seize ans ! »

Promotion et fin amère

Sur le chemin du retour, l’histoire prend même une tournure rocambolesque. « J’étais assis avec ma médaille de vainqueur dans la main et je ne savais pas quoi en faire, relatait Gaskell il y a quelques années. Je n’étais qu’un enfant alors je l’ai donné à Ray Wood et il l’a prise tout de suite ! J’étais ensuite dans la file d’attente du bus pour rentrer à Streford et j’entendais tous les spectateurs qui disaient combien Ray Wood avait bien joué. Je n’ai pas osé leur dire que c’était moi… » Matt Busby et son adjoint Jimmy Murphy, eux, l’ont bien vu à l’œuvre. Le lendemain matin, alors qu’il est en train de laver les crampons des joueurs, il est prié de se rendre dans les bureaux des boss où il se voit promouvoir deuxième gardien de l’effectif professionnel. Une ascension fulgurante et soudaine. Pour fêter sa première apparition en championnat, il doit toutefois attendre le 30 novembre 1957. Un baptême du feu avorté puisque Tottenham s’adjuge à Old Trafford un succès spectaculaire contre Manchester United (3). C’est, aussi l’une des dernières représentations de certains « Busby Babes » avant la tragédie de Munich. « Ils étaient tous massifs et j’étais juste un enfant, se remémore-t-il. J’étais lancé dans le grand bain sans être vraiment prêt. Je les admirais, c’est d’ailleurs toujours le cas et je garde de très bons souvenirs d’eux. » Après Munich, où il a fallu « bâtir, créer, surmonter les échecs, espérer » parce que « c’est certainement le sens de la vie » d’après Busby, l’aventure mancunienne de Gaskell s’avèrera moins reluisante que ses débuts prometteurs. Avec la venue d’Harry Gregg en 1957 pour assurer la succession de Ray Wood, puis celle de Pat Dunne sept ans plus tard, il est cantonné à un simple rôle de troisième gardien.

S’il parvient parfois à se mettre en évidence en raison des blessures de ses homologues, c’est lors de la finale de Cup remportée face à Leicester (1-3), en 1963, que le gardien connaît le plus beau moment de sa carrière. Car c’est avant tout le premier titre majeur des Red Devils depuis la First Division gagnée à l’issue de la saison 1956-1957 et le traumatisme munichois. « Cette finale nous a sans aucun doute permis d’aller à nouveau vers l’avant, car il a fallu beaucoup de temps pour se remettre de Munich » , expliquera-t-il plus tard. La fin des 60’s sonne également le départ du Britannique. Après un dernier match face à Tottenham en septembre 1966, il apprend la signature d’un nouveau gardien alors que Gregg et Dunne viennent de quitter le club : « Après le match, nous revenions de la gare d’Euston et j’ai vu dans le journal que United avait engagé Alex Stipney. Le manager m’a dit qu’il l’avait signé pour être une doublure, mais il l’a fait jouer à ma place, donc j’ai demandé un transfert. » Mais Busby refuse d’accéder à sa demande. Par conséquent, le portier choisit de ne plus porter le maillot de Manchester, même en réserve, et préfère aller jouer au rugby dans un club voisin jusqu’à la fin de son contrat. En 1969, après 118 matchs disputés, il quitte les Red Devils. La suite de son parcours ne sera qu’anecdotique avec des passages à Wigan et Wrexham ainsi que des expériences improbables en tant que coach en Afrique du Sud et au Koweït. Soixante ans jour pour jour sont désormais passés depuis que David Gaskell est entré dans l’histoire. Le record tient toujours. Pour le plus grand plaisir de son détenteur, encore aujourd’hui largement méconnu : « C’était incroyable. L’histoire de ce gamin, c’est la mienne. » À jamais, même.

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Propos de David Gaskell extraits du Daily Mail, manutd.com et retrounited.com

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