Au commencement…
La vie est amère quand on la boit sans sucre. Du coup, ils ne prennent pas de risques et préfèrent y aller à la bière nature, quand la pluie ne vient pas se mêler à l’ histoire. Depuis bientôt 39 ans, sur la petite île de Scilly autrefois partie du comté de Cornouailles et désormais sous la responsabilité administrative du Royaume-Uni, un match oppose chaque semaine les Garrison Gunners aux Woolpark Wanderers. Seuls sur cette île désertée par les dieux et les hommes, ces pélerins du ballon rond s’adonnent à cet exercice pour le championnat local qui comprend… deux équipes. Double enjeu, donc : suprématie régionale, derby oblige, et première place du championnat durant lequel les deux équipes s’affrontent à treize reprises, jouant toujours sur le même terrain et donc toujours à domicile. Une manière d’emmerder le football moderne et de pérpétuer une sorte de pureté originelle. Chaque dimanche, les joueurs arrivent ainsi ensemble au stade Garrison Fiels, par la même route. Le vétéran s’appelle Chase Wood, milieu de terrain de… 65 ans. Car les jeunes qui le peuvent filent illico sur le continent, se gardant bien de faire marche arrière.
Le recrutement de l’équipe se fait très simplement : il suffit de se présenter sur le terrain le jour J. Les deux escouades, qui disposent d’un contingent d’une quarantaine de joueurs, se forment au début de saison, avec un esprit old school bien particulier, et de manière carrément pas orthodoxe : les deux capitaines, Hutchens et Jim Jackson, se retrouvent dans les vestiaires et se répartissent les joueurs du « cru ». Et les voilà partis pour la saison. Mais football moderne oblige, le mois de janvier est dédié au mercato. Le prix d’un joueur est fixé à l’avance : deux pintes de bière et des viscères de porc. Evidemment, le grand chamboulement a lieu à la fin de la saison ; là il arrive fréquemment qu’un joueur ayant porté les couleurs des Gunners se retrouve chez les Wanderers, et vice versa. Le titre est pourtant loin d’être pris à la légère par ces extravagants mercenaires de l’esprit du jeu. A ce jour, les Gunners sont en tête avec 21 titres contre 17, mais cette année les dés sont loin d’être jetés : les deux formations sont séparées par six misérables points et qui sait, peut-être la dernière rencontre déterminera-t-elle le champion et offira de nouvelles perspectives aux joueurs : un avenir en jaune et bleu ou en amarante et bleu. Au commencement était la pureté footballistique…
Lucas Duvernet-Coppola, avec Simona Marchetti.