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« Une sensation inoubliable » : vingt ans après, le miracle d’Istanbul raconté par Rafael Benítez

Propos recueillis par Thomas Broggini 
9 minutes

Aujourd’hui sans club, Rafael Benítez revient sur « le plus grand souvenir » de sa carrière : la légendaire finale de Ligue des champions remportée par Liverpool aux dépens du grand AC Milan (3-3, 3-2 aux tirs au but), il y a 20 ans, le 25 mai 2005.

« Une sensation inoubliable » : vingt ans après, le miracle d’Istanbul raconté par Rafael Benítez

Combien de fois avez-vous raconté cette finale d’anthologie ?

(Rires.) J’ai arrêté de compter. Ce qui est sûr, c’est que c’est le match dont on me parle le plus souvent depuis vingt ans. J’ai participé à beaucoup d’événements, de collectes de dons, de conférences, d’interviews pour évoquer cette finale. Liverpool va d’ailleurs encore organiser plusieurs célébrations pour ce nouvel anniversaire. Ce qu’il reste, vingt ans après, c’est beaucoup d’émotions et de bonheur. Une sensation inoubliable. Plus le temps passe, plus je me rends compte de la valeur de ce titre. J’ai vu beaucoup de grands matchs depuis, et aucun n’a atteint celui-ci en matière d’émotions. Ce sera d’ailleurs difficile de faire mieux, parce que les circonstances étaient très spéciales : le scénario, la grandeur de l’adversaire, l’ambiance, les émotions… Que tous tes supporters continuent de chanter avec autant de ferveur quand tu perds 3-0 et que tu souffres autant, c’est unique, exceptionnel. Je ne sais pas si ça aurait pu arriver ailleurs.

Vous étiez loin d’être favoris avant le match. Dans quel état d’esprit l’avez-vous abordé ?

La Ligue des champions a toujours été spéciale pour Liverpool. Personne ne misait sur nous en début de saison. Je rappelle qu’on était passés par le tour préliminaire (contre les Autrichiens du Grazer AK ; 2-0 à l’aller, 0-1 au retour, NDLR). On sort de la phase de groupes en battant l’Olympiakos à domicile (3-1) de manière mémorable, avant de sortir le Bayer Leverkusen en huitièmes de finale (3-1 à l’aller, 3-1 au retour), puis deux gros candidats coup sur coup : la Juventus en quarts (2-1, 0-0) et Chelsea en demies (0-0, 1-0). Je crois que les matchs à domicile contre ces deux équipes font partie des plus bruyants de l’histoire d’Anfield. Nos fans ont joué un rôle fondamental tout au long du parcours. Imaginez-vous, ils attendaient ce titre depuis 21 ans… Je crois que l’équipe a commencé à y croire après avoir écarté la Juve, une équipe de très haut niveau. Et quand tu bats Chelsea, qui dominait la Premier League, alors tu as forcément beaucoup d’espoir avant la finale. Après, certes, quand tu vois l’équipe alignée par l’AC Milan, tu te dis : « Wouaw, ça va être difficile ! » Ils n’avaient que des joueurs expérimentés, talentueux, habitués à ce genre de match (Maldini, Nesta, Cafu, Pirlo, Seedorf, Gattuso, Kaká, Shevchenko, Crespo…). Mais on savait aussi que, dans un bon jour, on pouvait rivaliser avec n’importe qui.

 

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Quel était le plan initial ?

L’idée, comme lors des tours précédents, était d’évoluer en 4-2-3-1, avec Xabi Alonso et (Steven) Gerrard devant la défense, et Harry Kewell positionné juste devant eux dans un rôle plus offensif. Beaucoup de monde pensait que c’était une erreur. À mon sens, on avait beaucoup de qualité entre le milieu et l’attaque, suffisamment pour surprendre le Milan. Malheureusement, on concède très vite l’ouverture du score (but de Paolo Maldini dès la 1re minute), puis Kewell se blesse (23e) et ils marquent deux fois avant la mi-temps (doublé d’Hernán Crespo, 39e et 44e). On s’est trop découverts après le premier but. C’était le pire scénario.

Dans le vestiaire, tout le monde avait la tête baissée, personne ne parlait. Il fallait jouer sur les émotions.

À quoi pensiez-vous en retournant aux vestiaires ?

Au discours que j’allais tenir. Avec un détail qui me rendait nerveux : je devais parler en anglais, une langue que je ne maîtrisais pas parfaitement. Dans cette situation, quand tu perds 3-0 en finale, le plus important n’est pas l’aspect tactique, mais mental. Donc je me suis bien concentré pour ne pas commettre de faute de prononciation ou me tromper dans mes mots. Je ne voulais surtout pas prendre le risque de diminuer la force du message. Tout le monde avait la tête baissée, personne ne parlait. Il fallait jouer sur les émotions. J’ai rapidement donné les nouvelles consignes tactiques. J’ai décidé de passer à une défense à trois en faisant entrer (Dietmar) Hamann au milieu pour limiter les mouvements de Kaká, qui avait eu trop de liberté entre les lignes pour lancer Crespo et (Andriy) Shevchenko en première mi-temps. Puis j’ai rappelé aux gars qu’on travaillait très dur depuis longtemps pour être là, qu’on avait encore 45 minutes pour renverser la situation et que si on marquait, tout devenait alors possible. J’ai beaucoup insisté là-dessus. Je leur ai dit de lutter, d’y croire jusqu’au bout et qu’il n’y avait tout simplement plus rien à perdre. Plus personne ne croyait en nous à ce moment-là de toute façon.

Et vous, y croyiez-vous réellement ou ces mots étaient-ils juste une manière de faire bonne figure devant vos joueurs ?

Je suis réaliste, j’avais parfaitement conscience de la difficulté de revenir dans le match, mais je n’ai jamais pensé que c’était impossible. Je n’étais guidé que par une seule idée : redonner un peu de confiance aux joueurs pour qu’ils ne baissent pas les bras. Il fallait rester positif malgré tout et se raccrocher à un premier objectif : marquer un but. Garder son calme était essentiel. Comme entraîneur, chacun a son style et sa personnalité. Si tu es calme et analyses froidement les choses pendant 50 matchs, mais que là, d’un coup, tu changes ta façon d’être parce que le scénario t’est défavorable, tu peux donner l’impression à ton vestiaire que tu as perdu le contrôle. Donc garder cette attitude était fondamental pour que les joueurs y croient. Il fallait leur transmettre ce calme. Et je le répète : je savais très bien que si on marquait une seule fois, tout pouvait basculer.

En revenant à 3-2, tu changes complètement la dynamique du match. Il n’y a plus à réfléchir. Tu es euphorique et, avec l’adrénaline et le public qui pousse derrière, tu te sens inarrêtable.

Et en seconde mi-temps, la magie opère : vous inscrivez trois buts en six minutes…

(Il coupe.) C’était incroyable. Comme espéré, le changement tactique nous a redonné un peu plus de maîtrise et a remis de l’ordre au milieu de terrain. Gerrard met ce but de la tête qui nous remet dans le match (54e). Puis tout s’enchaîne trop vite pour qu’ils aient le temps de réagir ou de se réorganiser. En revenant à 3-2 (grâce à Vladimir Šmicer, 56e, NDLR), tu changes complètement la dynamique du match. Il n’y a plus à réfléchir. Tu es euphorique et, avec l’adrénaline et le public qui pousse derrière, tu te sens inarrêtable en quelque sorte. En plus, Xabi Alonso inscrit le penalty de l’égalisation (provoqué par Gerrard) en deux temps (60e), après avoir raté sa tentative. Ce qui rend le scénario encore plus épique. Après ça, Milan ne sait plus quoi faire, le stade chante de plus en plus fort…

 

L’AC Milan s’est-il relâché à 3-0 ?

Je crois surtout que l’ajustement tactique les a vraiment surpris. Quand ils ont compris que le match leur échappait, ils se sont retrouvés face à une équipe de Liverpool sûre de sa force, conquérante et à nouveau équilibrée. On a maintenu un rythme élevé jusqu’à la fin et continué à être dangereux même après l’égalisation. Mais je n’oublie évidemment pas qu’en prolongation, (Jerzy) Dudek réalise aussi un double arrêt absolument miraculeux devant Shevchenko (117e). Le match aurait pu basculer une nouvelle fois à ce moment-là. Et finalement, on arrive à la séance de tirs au but…

Comment l’avez-vous gérée après un match si fou ?

Vraiment bien. Honnêtement, on était confiants, car on possédait une base de données relative aux habitudes des tireurs milanais. On les avait bien analysés. C’est quelque chose de très commun aujourd’hui, mais ce n’était pas encore si développé à l’époque. Dudek avait toutes ces informations à disposition, il connaissait les zones préférentielles de chacun. Ça nous donnait un avantage important. Et ça nous a souri.

Le type de la sécurité ne m’a pas laissé entrer, car il ne me reconnaissait pas. Mon ami lui a alors dit : “Mais vous savez qui est cet homme ? C’est Dieu.”

Qu’avez-vous ressenti ?

Un bonheur indescriptible. Les célébrations ont été incroyables. Je me souviens que l’un de mes amis ne pouvait pas rejoindre l’endroit où se trouvait la délégation de Liverpool. J’ai donc dû sortir pour aller le chercher. Le problème, c’est que le type de la sécurité ne m’a pas laissé entrer, car il ne me reconnaissait pas. Mon ami lui a alors dit : « Mais vous savez qui est cet homme ? C’est Dieu. » (Rires.) Quand il a compris la situation, on a pu passer sans problème et poursuivre la soirée. Les fans de Liverpool n’ont jamais cessé de me témoigner leur amour depuis ce jour-là. J’ai gagné d’autres titres importants, avant et après, mais cette finale, pour le contexte et le scénario, est sans aucun doute le plus grand souvenir de ma carrière. Considérant le scénario, le surnom de « miracle d’Istanbul » est approprié. Mais derrière cet exploit, il y a surtout beaucoup d’efforts, de dévouement, de soutien populaire… Ce n’était pas un simple match. C’était LE match. Celui qui ne sera jamais oublié.

L’un des héros de cette finale, Xabi Alonso, aujourd’hui annoncé sur le banc du Real Madrid, semble parti pour réaliser une belle carrière d’entraîneur… 

(Sourire.) Ça a toujours été un joueur très intelligent. Il a eu la chance d’avoir de bons coachs au cours de sa carrière, comme Ancelotti, Mourinho, Guardiola… Il a pris des choses à chacun. On verra comment il continue de grandir. Ce qui est sûr, c’est qu’il a un grand potentiel et un beau futur devant lui. Le Real Madrid est un club avec ses particularités, mais je le crois capable de triompher.

Que vous inspire la saison de votre compatriote Luis Enrique à la tête du PSG ?

Il fait un grand travail. Cette année, Paris a moins de stars et plus de joueurs dévoués au groupe. C’est une très bonne équipe, jeune, bien construite, travailleuse. J’aime sa dynamique, son style agressif offensivement et défensivement, sa capacité à mettre en difficulté l’adversaire à la perte du ballon. J’assisterai à la finale de la Ligue des champions (le 31 mai, à Munich). Paris va affronter une équipe complète qui possède une structure tactique très définie et a fait ses preuves. L’Inter est capable d’attaquer et de presser, mais aussi de défendre bas et de contre-attaquer. J’imagine que le PSG va presser haut pour essayer d’imposer son rythme. En tout cas, ça va être une finale divertissante et intéressante d’un point de vue tactique.

Un supporter de Liverpool est mort avant le match à Milan

Propos recueillis par Thomas Broggini 

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