Declan Rice : les coups (francs) d’un soir

Les têtes pensantes de l’UEFA auront beau se creuser la tête toute l’année pour trouver une nouvelle formule de la Ligue des champions : on ne fera jamais mieux que la magie de ces matchs européens à élimination directe. Et ce, même quand le Real est hors du coup. Énième illustration ce mardi à l’Emirates Stadium, quand une rencontre somme toute agréable mais dénuée de but a viré à l’insensé grâce à deux géniaux coups de pompe, signés de la même godasse : celle de Declan Rice.

C’est dans la boîte

À douze minutes d’intervalle, aux 58^e et 70^e tours de trotteuse plus exactement, le généreux milieu d’Arsenal a profité des fautes respectives de David Alaba puis d’Eduardo Camavinga, l’une à 26 mètres axe droit, l’autre à 25 mètres axe gauche, pour composer à 26 ans son récital. Deux coups francs directs, comme ça, à l’instinct, sortis de son chapeau pour coiffer au poteau Thibaut Courtois et sa bande. Le numéro 41 a eu bien raison de laisser la joie envahir ce visage anguleux qui ne peut masquer bien longtemps ses origines anglo-irlandaises : seuls Cristiano Ronaldo (contre Zurich en septembre 2009), Neymar (contre Belgrade en octobre 2018) et Hakim Ziyech (contre Manchester United en novembre 2023) ont déjà marqué un doublé semblable en C1 au XXI^e siècle. Cependant, personne d’autre ne l’avait fait en phase finale.

Alors, revenons aux bijoux en question. Parce que oui, en plus ils sont magnifiques. Le premier, soigneusement brossé, a simplement contourné le mur de quatre Madrilènes pour mourir dans le soupirail gauche de Courtois, prouvant à Roberto Carlos, installé en tribune, qu’on pouvait reproduire son geste signature du pied droit.

Le second profite de l’écran des coéquipiers londoniens pour s’ouvrir sans chichi le chemin de la lucarne gauche du portier belge. De « jolis buts », selon ce dernier. « Le premier, je peux assumer une part de responsabilité en mettant le mur plus à gauche. Dans toute ma carrière, j’ai toujours mis l’homme de base au-delà du poteau. C’est très difficile de mettre un but comme ça, mais Rice a très bien tiré. Le deuxième, c’est une frappe fantastique. Même si je suis plus à gauche, je ne peux rien faire de plus », déclare le double mètre du Limbourg, beau joueur, au micro de Canal+.

Le premier pétard a été mesuré à 97 km/h, le suivant à 103. Sur une route départementale française, Declan Rice aurait été bon pour un retrait de 1 et 2 points sur son permis de conduire, ainsi que 68 et 135 euros d’amende. Dans sa réalité, ces deux flashs – bonifiés par le 3^e pion de Mikel Merino dans une euphorie communicative – permettent surtout à Arsenal de s’engager sur l’autoroute des demi-finales de la Ligue des champions. Un niveau plus visité par les Gunners depuis la saison 2008-2009.

L’homme qui valait vraiment 100 millions

Le pire, c’est que les Canonniers, aussi redoutables soient-ils sur coups de pied arrêtés, ne savaient même pas qu’ils possédaient cette arme. « J’étais très étonné, depuis que je suis à Arsenal, je n’ai vu aucun coup franc », souriait William Saliba, toujours sur les écrans de Canal+. L’adjoint français Nicolas Jovert est une pointure pour toutes les combinaisons sur phases arrêtées. Mais si on l’a également vu gesticuler avant chaque tentative, il n’y serait cette fois pas pour grand-chose, si on en croit les paroles du défenseur tricolore : « On ne les travaille pas spécialement. Declan a pris ses responsabilités, il en a flanqué deux. » À se demander si c’était bien à lui de les prendre, quand on sait que Saka et Ødegaard, deux bons artilleurs s’étaient aussi postés derrière le ballon.

S’il est un des hommes de base de Mikel Arteta depuis 2023, Declan Rice n’est en rien un spécialiste de l’exercice. Si Arsenal a lâché 100 millions de livres sterling pour s’offrir ses services, c’est avant tout pour son travail de sape entre les lignes, voire ces coups de tête comme celui qu’a repoussé Courtois juste avant la pause. Mais ces fulgurances sont un beau retour sur investissement.

L’ex-aboyeur de West Ham a inscrit là ses deux premiers coups francs directs, alors qu’il n’en avait tenté que 13 avant cette soirée. Autant dire que le gus qui tient le compte X « Has Rice scored a free kick ? » a eu plus de taf que celui qui s’occupe de celui de Kylian Mbappé. Mais Rice savait pourtant qu’il « avait ça en magasin ». « Sur le premier, je pensais que j’allais centrer, mais j’ai vu le mur s’écarter, alors j’ai tenté ma chance. C’est juste une question de feeling, a-t-il sommairement expliqué après la rencontre. Sur le second, j’ai eu la confiance de tenter et de la mettre là. J’ai eu raison de le faire. » Et voilà comment on devient le successeur d’Ernst Happel, jusqu’ici le seul joueur de l’histoire à avoir inscrit un doublé sur coup franc direct au Real Madrid en Ligue des champions. C’était avec le Rapid Vienne le 14 novembre 1956, sûrement une autre soirée magique.