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Les Français racontent leur arrêt Bosman
Il y a 30 ans tout pile, la Cour de justice des Communautés européennes donnait raison à Jean-Marc Bosman et ouvrait les vannes d’un football plus mondialisé que jamais. Dès l’été 1996, de nombreux Français en ont profité pour faire leurs valises et découvrir l’Europe. Ceux dans l’ombre de Zinédine Zidane, Laurent Blanc et Lilian Thuram témoignent.
Casting :
Jérôme Bonnissel : de Montpellier à La Corogne, où il est resté trois saisons. Daniel Bravo : du PSG à Parme, où il est resté une saison.
José Cobos : du PSG à l’Espanyol Barcelone, où il est resté deux saisons.
Le 15 décembre 1995, vous imaginiez que le football mondial allait autant changer ?
Bonnissel : Pas du tout, on était très naïfs. Comme il n’y avait pas autant de communication qu’aujourd’hui, on ne savait pas ce qui allait se passer. On avait eu vent de l’affaire dans les journaux, mais rien de plus. Le premier effet de l’arrêt Bosman, on l’a eu un an avant, à Montpellier. On a tous été convoqués dans le bureau de Monsieur Nicollin – par doublettes, j’étais avec Francky Rizzetto – et il nous a dit que tous les jeunes joueurs de l’effectif allaient être libres à cause de ça, donc il nous a demandé de prolonger d’un an. C’était une crainte de la part des dirigeants.
Cobos : On n’en parlait pas dans le vestiaire, c’était surtout des discussions que certains joueurs avaient avec leur agent. Malheureusement, les clubs en ont pâti parce qu’ils n’étaient pas préparés au fait de perdre autant de joueurs.
Bravo : On est nombreux à avoir quitté le PSG pour l’étranger (Youri Djorkaeff, Oumar Dieng et Richard Dutruel, en plus de Bravo et Cobos). Moi, je pensais surtout à mon cas personnel, j’étais en discussion pour prolonger à Paris et je n’étais pas content de ce qu’ils proposaient. J’ai 33 ans à ce moment-là, je priais juste pour qu’un club me fasse confiance.
Bonnissel : Ça a eu un gros impact pour la France, parce que les 40 ou 50 meilleurs joueurs du championnat sont partis à l’étranger (plus de 60 joueurs ont quitté la D1 à l’été 1996).
Bravo : Si on compare Zidane et moi, je n’aurais jamais atterri à Parme sans l’arrêt Bosman, alors que lui serait forcément parti en étant dans les trois titulaires étrangers autorisés. Ça a favorisé les joueurs un cran en dessous. Pareil, Youri serait parti du PSG quoi qu’il arrive.
C’était un rêve de partir à l’étranger ?
Cobos : Pas vraiment, pas comme aujourd’hui où les jeunes veulent partir plus rapidement. En 1993, quand je quitte Strasbourg, il y avait le Real Madrid qui était intéressé. Mais comme l’arrêt Bosman n’existait pas encore, je ne pouvais pas y aller vu qu’il y avait déjà trois étrangers et des plus reconnus à l’international que moi (Vítor, Iván Zamorano et Peter Dubovský). Le Real voulait me naturaliser espagnol comme j’ai la double nationalité, mais j’ai refusé, je suis né en France, j’ai fait le service militaire ici, je ne voulais pas refuser la sélection française. Finalement, deux ans plus tard, ça a été homologué, et je suis rapidement parti parce que ça me tenait à cœur de découvrir ce pays.
Bonnissel : Je sortais des JO, j’étais capitaine, c’est vrai que je voulais voir autre chose, mais en France. Tous les clubs français m’avaient appelé directement, j’avais eu une discussion avec Bernard Lacombe pour aller à l’Olympique lyonnais, et, pour des raisons que je ne peux toujours pas expliquer, je me suis retrouvé au Deportivo La Corogne. Je n’avais eu aucun contact avec eux, ils sont passés directement par Montpellier. C’était très bizarre, mais je ne me suis pas plaint parce que c’était une belle porte de sortie, une équipe du top 3 espagnol, quand même.
Bravo : Quand on est gosse, on regarde les clubs étrangers en Coupe d’Europe. J’aimais Barcelone, Liverpool, le Bayern… Mais il a vraiment fallu l’arrêt Bosman pour que je me dise : « J’espère qu’un club étranger va venir me chercher. » Je n’avais jamais été sollicité jusque-là, même pas à Nice quand je flambais. Pro à 17 ans, international à 19 ans, un peu prodige de la Côte, aujourd’hui, il y aurait plein de clubs qui seraient venus me chercher.
À Parme, on s’entraînait parfois en pleine ville, au milieu d’un jardin public. Gigi Buffon conduisait la camionnette pour nous emmener.
Comment s’est passée l’acclimatation ?
Bonnissel : C’était très compliqué pendant un an. Je n’avais pas eu de vacances après les JO, j’avais perdu du poids parce qu’il faisait très chaud et je me blesse après un mois. Il y a eu un peu d’incompréhension, j’avais du mal à trouver mes repères. Vu de France, l’Espagne, c’est la Costa Brava, mais en Galice, les gens sont plus distants, ils mettent du temps à te donner leur confiance, il pleut. Il y a un processus assez long à mettre en route. Je pense que j’aurais dû passer un palier dans un gros club français avant de partir en Espagne.
Cobos : Trois jours après mon arrivée, l’entraîneur m’a dit : « T’es le premier étranger à parler aussi vite espagnol. » Il ne savait pas que j’étais d’origine espagnole et que je parlais cette langue depuis petit. (Rires.)
Bravo : J’ai adoré l’Italie, le mode de vie. J’y suis allé avec ma famille, les quatre enfants, qui étaient petits. Il n’y avait pas d’école internationale, ils ont pris des cours en italien, au début ils étaient perdus complet, mais ils se sont vite acclimatés. On y retourne presque tous les ans, on a encore des amis, on aime tout là-bas, l’ambiance, les restos…
Bonnissel : Il n’y avait pas de structure pour s’occuper d’autant de joueurs arrivés de l’étranger, pas de « service après-vente » pour nous aider à s’intégrer. On est partis avec ma copine, on n’était pas encore mariés, et on a mis beaucoup de temps à trouver un logement. En janvier, j’ai enfin trouvé, et ça allait mieux.
Bravo : C’était la famille Tanzi à Parmi, avec la Parmalat, donc c’était un gros club, avec des moyens, mais pas beaucoup d’installations. On s’entraînait dans une prison où ils formaient les gardiens pénitentiaires, c’était un terrain au milieu de la cour. Parfois, on s’entraînait en pleine ville, au milieu d’un jardin public. Gigi Buffon conduisait la camionnette pour nous emmener. (Rires.) On était au milieu des papis et mamies.

Dans quel vestiaire êtes-vous arrivé ?
Bonnissel : Il y avait un noyau avec pas mal de francophones : Corentin Martins, Mickaël Madar, Jacques Songo’o (respectivement transférés d’Auxerre, Monaco et Metz le même été) et Noureddine Naybet. Il y avait de la complicité entre nous, mais j’étais un des plus jeunes de l’équipe, il n’y avait que des internationaux, Rivaldo, Mauro Silva, Fran… C’était le grand saut par rapport à Montpellier. À chaque trêve, tout le monde partait et on se retrouvait à quatre ou cinq à l’entraînement. Quand Mauro Silva devait choisir entre Fran et Bonnissel, il ne me faisait pas la passe à moi au début. Il a fallu se faire respecter avec le temps.
Bravo : À Parme, il y avait beaucoup d’Italiens quand même. Sinon, il y avait Hernán Crespo, Mario Stanić, Zé Maria, Tomas Brolin, Roberto Sensini, et Lilian Thuram, bien sûr. On s’est bien soutenus, tous les deux. Même s’il avait la vingtaine, c’était un patron. Il y avait une super ambiance dans le vestiaire. Carlo Ancelotti y est pour beaucoup, c’est magnifique d’être son joueur, il est très rigoureux, mais très sympa, très pédagogue. Au début, je ne parlais pas italien, je baragouinais. J’étais en chambre avec Dino Baggio, qui est très introverti, et je lui ai mis la tête comme un melon parce que je demandais toujours : « Eh Dino, como se dice questo ? »
Cobos : Il y avait aussi Nicolas Ouédec et Pascal Olmeta, mais il n’y avait pas de clan. On était très bien intégrés dans le vestiaire, on s’entendait tous très bien. Il y avait beaucoup de Yougoslaves aussi, ils ont été très touchés par ça. À l’époque, sans être grossier, tous les noms qui se terminaient pas « ić » étaient en Espagne. Au Real, il y avait Predrag Mijatović, et à l’Espanyol, on avait Branko Brnović, Goran Bogdánović et Miodrag Anđelković.
J’avais été très surpris par la présaison, on avait joué Vasco da Gama, l’Ajax, la Lazio et le Real Madrid, c’était du costaud. J’avais perdu du jus dès le début de saison.
On dit souvent que les joueurs français souffrent dans le travail en partant à l’étranger, c’est vrai ?
Bravo : Quand on voit les Italiens, on croit que ce sont des flambeurs un peu paresseux, mais ils sont très sérieux. En France, quand on nous dit de faire cinq tours de terrain, on s’arrange pour en faire quatre. Là-bas, personne ne dit rien, personne ne râle. À Paris, ça travaillait très bien, mais là, j’ai appris la rigueur, je me suis dit : « Oh, c’est des malades les mecs. » C’est des robots, même un peu trop parfois, c’est trop tactique, au détriment de la créativité. Ancelotti s’inspirait trop de Sacchi par manque d’expérience. Il a changé après ça.
Cobos : En Espagne, ça joue au foot, de la première à la dernière seconde. Il y a une grosse, grosse intensité. C’est dans l’ADN des joueurs de ne pas penser au résultat. Moi, je n’ai pas souffert physiquement, je prenais du plaisir à l’entraînement, j’ai adoré ça. D’ailleurs, je suis parti quand on a changé d’entraîneur et qu’il avait changé de projet de jeu.
Bonnissel : J’étais un joueur qui aimait les espaces pour faire des courses et, en Espagne, il y avait beaucoup plus de possession, on me mettait le ballon dans les pieds. J’ai dû me réadapter, je n’étais pas habitué à ce jeu. J’avais été très surpris par la présaison, on avait joué Vasco da Gama, l’Ajax, la Lazio et le Real Madrid, c’était du costaud. En France, on monte petit à petit : un club amateur, Rodez, Toulouse… J’avais perdu du jus dès le début de saison.

On n’a pas le temps de les voir grandir, d’avoir des résultats dans nos clubs, surtout au niveau européen. Pour moi, le football français s’est affaibli à cause de ça.
Trente ans après, quel regard portez-vous sur l’arrêt Bosman ?
Cobos : Déjà, je regrette que Jean-Marc Bosman n’ait pas tiré bénéfice de son travail, il aurait mérité une plus grande reconnaissance financière, vu comme il a chamboulé le football et avec tout l’argent qu’il y a maintenant. J’ai vraiment mal au cœur pour lui.
Bravo : Je suis d’accord, il n’a pas été récompensé. Il a fait gagner beaucoup d’argent à des joueurs comme moi, mais il n’a rien récupéré. C’est dommage.
Cobos : C’est bien plus négatif que positif. Ça fait énormément de tort aux clubs français. Aujourd’hui, les joueurs partent à l’étranger à 19 ou 20 ans. On n’a pas le temps de les voir grandir, d’avoir des résultats dans nos clubs, surtout au niveau européen. Pour moi, le football français s’est affaibli à cause de ça.
Bravo : En 1998, on peut dire merci à l’Italie. Desailly, Deschamps, Thuram ont appris la rigueur et la tactique défensive là-bas. C’est quelque chose qui a manqué à la génération Platini. En Espagne (en 1982), tu perds contre l’Allemagne parce que tu ne sais pas défendre.
Bonnissel : Ça nous a permis de connaître d’autres choses et de gagner plus d’argent. Avant nous, il y a eu des joueurs beaucoup plus talentueux et qui n’ont pas eu la chance de partir dans des grands clubs. Mais ça a amené son lot de désillusions. Tout le monde n’est pas Zinédine Zidane ou Lilian Thuram, on n’a pas tous réussi, il y en a qui se sont cassé les dents, qui ont brisé leur carrière. Il y a du bon et il y a des choses terribles. Pour tous les joueurs français depuis 1996, entre ceux qui ont brillé et ceux qui ont tout raté, je pense que la balance penche plutôt vers le bas.
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Tous propos recueillis par EL.


























