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Thierry Gomez : « Faire avancer le foot dans sa globalité profitera aussi au Mans »

Propos recueillis par Clément Gavard
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En juillet 2016, Thierry Gomez reprenait Le Mans FC en cinquième division. Trois ans plus tard, le club sarthois a enchaîné trois montées successives pour retrouver la Ligue 2 et le monde professionnel cette saison. En parallèle de son rôle de président, l'homme d'affaires souhaite faire entendre ses idées de réformes pour le football français à l'approche des nouveaux droits TV. Entretien avec un passionné en pleine réflexion.

Cet été, Le Mans a fait son retour en Ligue 2 six ans après sa rétrogradation en DH. Comment se passent les retrouvailles avec le monde professionnel ? D’un point de vue élan populaire, dimension économique, ça se passe plutôt bien. En raison de son passé, Le Mans FC fait partie intégrante du patrimoine du foot français, et c’était important pour le club de retrouver sa place dans le monde professionnel. Vous savez, cette rétrogradation en Division d’honneur a été une grosse cicatrice en Sarthe. Il y avait cette attente, et le retour a été extrêmement positif. D’un point de vue sportif, c’est plus compliqué. Mais on a bon espoir et on va continuer de s’accrocher pour s’installer progressivement dans ce championnat, avec l’enjeu prochainement de faire agréer notre centre de formation.

On suppose qu’il y a eu deux mois très chargés après la montée. À quoi ressemble le passage du statut amateur à celui de professionnel ?Dans un club, il y a tout ce qui est visible, c’est-à-dire le recrutement des joueurs.

Il y a eu un enchaînement de sollicitations, je n’avais jamais vécu ça, même à Troyes. En fait, Le Mans est redevenu d’un coup un club très attractif.

Mais un club de foot, c’est une véritable entreprise avec de nombreux enjeux économiques, sociétaux, d’image et de communication, surtout en province où un club professionnel rythme le quotidien des locaux. Les circonstances de ce barrage contre le Gazélec ont ajouté de la dramaturgie, on va chercher notre accession à la dernière seconde. Forcément, il y a deux ou trois jours de fête. Puis, il y a eu un enchaînement de sollicitations, je n’avais jamais vécu ça, même à Troyes. (Il a été président de l’ESTAC entre 2004 et 2009, N.D.L.R.) Il y a vraiment eu un élan de l’ensemble du football : en interne, mais aussi au niveau des médias, des agents, des joueurs. En fait, Le Mans est redevenu d’un coup un club très attractif.


Après dix-sept journées, vous pointez à la dix-neuvième place au classement avec déjà onze défaites. Comment vivez-vous ce début de saison compliqué ? Des moments compliqués, on en a connu depuis trois ans. Sauf qu’en CFA2, c’est moins médiatique et il y a moins d’enjeux. En National aussi, on avait connu des hauts et des bas avant une remontée exceptionnelle. Si vous pensez que vous allez vivre un long fleuve tranquille dans le foot, il ne faut pas y aller, ça fait partie du jeu. On veut rester conformes à notre stratégie de départ, qui est de faire progresser le club dans son ensemble autour d’un projet. Par exemple, hier (mercredi), on a fait le Noël des salariés et une réunion avec tous les éducateurs pour parler du jeu.

Quel est le potentiel du public manceau ? Est-ce une ville de foot ? On peut se poser la question. J’ai entamé ma quatrième saison ici; et dans chaque division, on a fait les meilleures moyennes de spectateurs. En National, on avait une moyenne de 7000 par match. Aujourd’hui, on tourne autour des 8000, alors que notre début de saison n’est franchement pas extraordinaire. C’est aussi à nous, via des opérations, de donner envie au public de venir dans ce stade.

Dès votre arrivée à la présidence du club en juillet 2016, vous avez d’ailleurs insisté pour que Le Mans puisse rejouer ses matchs à domicile à la MMArena trois ans après son dernier match en tant que club résident. C’était ma première idée : il y a une très belle histoire écrite entre le MUC72 et le stade Léon-Bollée, mais il faut maintenant écrire l’histoire du Mans FC dans la MMArena.

On est partis jouer à la MMArena dès la CFA2, les gens m’ont pris pour un fou. Ce stade était maudit, le nouveau nom du club aussi pour certains supporters. Mais il fallait montrer des signes forts d’ambition. Il fallait absolument s’approprier ce stade.

On est partis jouer là-bas dès la CFA2, les gens m’ont pris pour un fou. Ce stade était maudit, le nouveau nom du club aussi pour certains supporters. Mais il fallait montrer des signes forts d’ambition. Il fallait absolument s’approprier ce stade, qui n’avait connu que des déboires. Et ça n’a pas été simple, ma femme se rappelle encore des vacances, car ça a été un gros match pour obtenir gain de cause. On a pu y jouer toute la saison, et on peut maintenant dire qu’on y a vécu des beaux souvenirs. C’est le théâtre de la Sarthe et il méritait qu’on lui donne de la lumière. Aujourd’hui, tout le monde sait que la MMArena, c’est le stade du Mans FC.

Le 18 décembre prochain, vous allez accueillir dans votre écrin le Paris Saint-Germain en huitièmes de finale de Coupe de la Ligue. Est-ce un événement majeur pour le club ou un rendez-vous anecdotique dans votre évolution ? Pour l’environnement, c’est quelque chose d’extraordinaire. On a eu plus de 70 000 demandes, je pense qu’on aurait pu remplir plus de trois fois le stade. Par rapport à notre parcours et ce que représente le PSG, revivre ça au sein de la MMArena, c’est forcément extraordinaire et ça va mettre en lumière le club. Après, on sait aussi que c’est un danger, car le quotidien est perturbé et il faut rester concentrés sur l’essentiel, c’est-à-dire le championnat et le match de Coupe de France contre Les Herbiers, dimanche. D’ailleurs, c’est un beau clin d’œil de jouer en l’espace de quelques jours les deux finalistes de 2018.


Vous faites par ailleurs partie de ceux qui déplorent la disparition prochaine de la Coupe de la Ligue. Pourquoi ? On oublie de dire que les présidents sont aussi des passionnés de foot, et la Coupe de la Ligue, c’est l’occasion d’emmener ses supporters et ses partenaires vivre une finale. Et ça, c’est un moment extraordinaire. Je rêve un jour de vivre une finale de coupe et de la gagner. Je pense que faire vivre ça à tout un département, tout un club, c’est une chance, et je ne comprends pas qu’on puisse s’en priver.

Mais peut-on vraiment la sauver à partir du moment où elle n’intéresse plus les groupes de télévision ? On nous parle des chaînes de télévision, mais je pense que c’est avant tout un problème de formule. Ça fait quinze ans qu’on critique cette compétition que personne ne comprend.

Ça fait quinze ans qu’on critique cette Coupe de la Ligue que personne ne comprend. Il faut d’abord repenser la formule.

Ma proposition se base sur trois idées : créer une Ligue 3 professionnelle, revaloriser les droits TV de la Ligue 2 et briser ce sujet tabou du retour à une Ligue 1 à dix-huit clubs. Derrière, on pourrait faire une vraie Coupe de la Ligue avec 58 clubs et un premier tour sans les six premiers de L1. Et pourquoi ne pas reprendre cette idée de Philippe Doucet d’un premier tour régional : Le Mans-Angers, Dunkerque-Lens, Toulon-OM, je suis sûr que ça pourrait attirer le public et les médias. Ensuite, on passerait directement aux seizièmes de finale et ça n’alourdirait pas le calendrier. Il y a de la place avec les perdants des droits TV de la C1, ça doit être une opportunité, mais il faut d’abord repenser la formule actuelle.

La Coupe de la Ligue n’est finalement qu’une partie de votre réflexion globale autour de l’évolution du football français. Que proposez-vous concrètement ? On a souvent tendance à vouloir opposer les clubs moyens aux gros clubs. Je pense qu’il faut qu’on dépasse ça. Je suis le premier supporter du PSG, Lyon, Marseille ou Monaco pour qu’ils gagnent une Coupe d’Europe, ça tirerait le foot vers le haut. Mais pour en arriver là, je pense qu’il faut qu’on valorise les autres divisions : il faut revaloriser la L2, il faut arrêter l’hypocrisie en National et faire une Ligue 3 professionnelle – comme la plupart des championnats – et ça valoriserait immédiatement la L2. Par exemple, il n’y aurait plus la question du statut pro en cas de descente, ce qui rassurerait les partenaires et les collectivités. Ça passe aussi par un équilibre des droits TV entre L2 et L1, c’est le nerf de la guerre. Il faut avoir une réflexion sur le foot en général et derrière tous les clubs en profiteront. Mais il ne faut pas d’abord penser à son club, et ensuite penser au football.

On en revient toujours à ces fameux droits TV. En quoi la période qui arrive est un tournant pour le foot français ?

Il faut sauter sur l’occasion des nouveaux droits TV pour enclencher ce que j’appelle le Big Bang du foot.

Je défends l’idée qu’il est essentiel de profiter des nouveaux droits TV (les diffuseurs ont déboursé 1,153 milliard d’euros pour s’attacher les droits TV de la Ligue 1 sur la période 2020-2024, N.D.L.R.) pour se poser les bonnes questions : ne pourrait-on pas sauter sur cette occasion pour lancer des réformes et enclencher ce que j’appelle le Big Bang du foot. Je suis persuadé que cela rendrait tout le monde plus fort.

Êtes-vous inquiet à quelques mois de ce basculement ? Je suis plutôt un optimiste, j’ai toujours beaucoup d’espoir. Ces nouveaux droits TV, c’est comme Le Mans-PSG : c’est une chance, c’est extraordinaire, mais il faut bien le gérer, sinon ça peut être un danger à l’arrivée. Et il faut voir plus loin que dans trois mois, il faut déjà penser à dans quatre ans pour ne pas repasser sous le milliard, voire ambitionner d’aller encore au-dessus.

Vous parlez beaucoup du foot amateur. Qu’est-ce que ça représente pour vous ? À mon époque, être champion de France amateur, ça voulait dire quelque chose. J’aimerais qu’on rebaptise cette N2 en CFA, puis les quatre promus en Ligue 3 pourraient se retrouver lors d’un week-end en mai pour faire un vrai tournoi final désignant le champion de France.

Je n’oublie pas d’où je viens, mon père m’a transmis cette passion et je veux faire avancer le foot dans sa globalité, parce que je sais que ça profitera au Mans. Le faire comprendre, c’est un gros challenge.

Et ça serait aussi l’occasion pour réunir tous les présidents amateurs, voire même ceux des clubs professionnels, pour montrer qu’il n’y a qu’un football. Cela pourrait mettre en valeur les gens qui bossent pour le foot amateur. J’ai un grand respect pour tous les présidents, je suis épaté par la longévité de Jean-Michel Aulas par exemple. Mais je connais aussi beaucoup de présidents de clubs amateurs, et leur investissement est sans faille. Je n’oublie pas d’où je viens, mon père m’a transmis cette passion et je veux faire avancer le foot dans sa globalité, parce que je sais que ça profitera au Mans. Le faire comprendre, c’est un gros challenge.

Justement, avez-vous reçu le soutien d’autres présidents ? Êtes-vous écouté dans le milieu ? (Il réfléchit.) J’en parle dès qu’on m’offre la possibilité d’en parler. J’ai la conviction qu’on y viendra, même si ça prendra du temps. Il faut créer l’étincelle. Quand on en parle individuellement aux autres présidents, qui peut véritablement être contre ? Mais le foot est une grosse machine difficile à faire bouger. J’y crois, donc je continuerai d’en parler.

Est-ce possible pour les présidents de clubs professionnels de vraiment travailler ensemble autour d’une réflexion globale ? J’ai envie de vous dire oui. Il faut y croire. Quand je suis arrivé au Mans FC, on n’avait pas de stade, il y avait une secrétaire, aucun salarié et un mois et demi plus tard, on démarrait le championnat. Il fallait y croire, c’est ce qu’on fait dans la vie.

Mais il ne faut pas une part d’égoïsme, aussi, lorsqu’on est président d’un club de foot ? Ce sont vos intérêts avant ceux des autres, non ? Ce n’est peut-être pas de l’égoïsme… C’est vrai qu’on est bouffé par le quotidien dans le foot pro, car les enjeux sont plus importants. Mais il faut donner le bon exemple, sinon ça devient compliqué pour ceux d’en bas. On a de vrais entrepreneurs dans le foot français, des gens intelligents, et cette idée finira peut-être par passer. Vous savez, j’ai disparu du paysage professionnel pendant dix ans, je suis revenu pour une première réunion en septembre et c’était pour apprendre la disparition de la Coupe de la Ligue. (Il rumine.) Je ne comprends pas, j’ai l’impression qu’on prend une nouvelle direction et j’ai envie de dire ce que je pense.

Qu’est-ce qui a changé dans le foot en l’espace de dix ans ? Le foot a pris une dimension supplémentaire, ce n’est plus pareil.

À l’époque, quand on faisait une réunion entre présidents, il y avait 90% ou 95% de Français, entrepreneurs dans leur ville. Là, j’avais un Américain, un Espagnol, un Suisse à ma table, et ça change complètement l’approche.

Il y a eu l’arrivée des Qataris, des fonds d’investissement, et le foot français a pris une dimension internationale qui n’existait pas il y a dix ou quinze ans. À l’époque, quand on faisait une réunion entre présidents, il y avait 90% ou 95% de Français, entrepreneurs dans leur ville. Lors de la dernière réunion, j’avais un Américain, un Espagnol, un Suisse à ma table, et ça change complètement l’approche. Ces investisseurs ont amené d’autres moyens, d’autres joueurs, on a quelques-uns des meilleurs en France, c’est important. Toutes ces nouveautés, ce sont autant de nouvelles visions dans le monde du foot.

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