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Santa Cruz : 100 ans à la vie, à la mort

Par Eric Delhaye, à Recife (Brésil)
Santa Cruz : 100 ans à la vie, à la mort

Cette année, le Santa Cruz FC a fêté son centenaire. Un siècle au cours duquel l'histoire du club brésilien de Recife s'est moins jouée sur le terrain que dans ses tribunes. Où il est question de Jésus, d'une cuvette de WC meurtrière et de matchs de D4 devant 60 000 torcedores. Des affluences folles qui lui valent aujourd'hui d'être surnommé le club « le plus aimé » du pays.

La saison 2014 du Santa Cruz Futebol Clube a commencé dans une chapelle de Nossa Senhora da Imaculada Conceição, une église moderniste qui domine Recife, métropole du Nordeste brésilien surnommée « Hellcife » pour son mariage entre chaos urbain et chaleur de friteuse. Ce samedi 18 janvier 2014, il a fallu sortir le jeune père Roberto de chez lui, l’affaire ne pouvant attendre : il y a là le président du club Antônio Luiz Neto, son jeune fils et un cercle de dirigeants. Soit une demi-douzaine de fidèles, la Vierge, le Christ, un ventilateur et un drapeau tricolor. « Que Dieu bénisse l’équipe du Santa Cruz. Qu’en cette année du centenaire, le club remporte de nombreuses victoires, que le travail accompli soit récompensé, qu’il diffuse le bonheur autour de lui. La saison est entre les mains de Dieu. Amen. » Passée l’oraison, chacun traverse la nef en empruntant toujours la même allée, conformément à un chapelet de superstitions qui n’a pas grand-chose à voir avec la foi chrétienne. « Attention, chat noir ! » , chambre d’ailleurs le père Roberto, blagueur, lui-même torcedor tricolor derrière son look propret d’employé de banque. Il n’y a pas de félin dans l’église, mais pire que cela : au moment où le président prie la vierge haute de 5 mètres, débarquée de France en 1904, un homme ombrageux se tient tout près et observe la scène d’un œil torve. Sur ses épaules : le maillot du Sport de Recife, l’ennemi. « Je n’aime pas ça » , grommelle un dirigeant en tournant les talons. Le quartier du Morro da Conceição, dont la paroisse est flanquée d’un petit terrain de football, est pourtant connu comme un fief du Santa Cruz. Sur le parvis, un jeune acrobate a donc été réquisitionné pour escalader un poteau électrique et le coiffer du drapeau fraîchement béni. Les couleurs rouge, blanc et noir flottant de nouveau sur la ville, la troupe rassérénée peut remonter dans son minibus. Direction le premier match du Santa Cruz Futebol Clube de cette saison historique.

Son début de saison 2014, le Santa Cruz l’a joué à Caruaru, une ville de l’intérieur du Pernambouc, paumée à 130 bornes de Recife. Motif : la suspension pour trois matchs du stade d’Arruda, suite à une baston dont ses torcedores étaient tenus pour responsables. « Le fait est que les bagarres de rue, dans un pays où la violence est endémique, relèvent de la police et non du club. Punir l’institution Santa Cruz, c’est une injustice » , peste le président dans le minibus qui le conduit à Caruaru. Il n’est pas seul sur la route : une caravane de motos, voitures tunées et bus de ville fonce à tombeau ouvert. Soit 8 000 torcedores pour un match de reprise, alors que le déplacement confine à l’expédition au regard de la quatre-voies défoncée, du bétail qui traverse la route et de la conduite erratique de l’automobiliste nordestin. Entourant une pelouse qui évoque les valons pelés de la campagne alentour, les tribunes sont à moitié remplies. Largement de quoi faire du bruit tandis que le Santa Cruz domine logiquement un adversaire de rang inférieur. Sur le chemin du retour, minibus présidentiel et torcedores envahissent les cafétérias de bord de route. Bière Skol, cochon grillé, fromage fondu et chants à la gloire du club : « Santa mon amour éternel / Jamais je ne nierai que je suis tricolor / Toujours je t’aimerai / Jamais je ne t’abandonnerai. »

Maradona, vendeurs de crack et canne à sucre

Dans les rues chaotiques de Recife, où des télés antédiluviennes crachent les matchs dans la fumée des churrascos et les effluves de cachaça Pitu, on vanne volontiers : « Tu sais pourquoi Maradona va venir entraîner le Santa Cruz ? Parce que c’est la seule drogue qu’il n’a pas encore essayée. » Une drogue dure dans une ville shootée au football, tous sexes et conditions confondus : cinquième plus grande agglomération du Brésil avec 3,8 millions d’habitants, Recife a le titre officieux de « capitale du ballon » si l’on s’en tient au climat passionné qu’il y génère. Náutico, Sport et Santa Cruz divisent les couples, les familles, les quartiers, sans que personne ne soit en mesure d’expliquer clairement comment on naît dans un camp plutôt que dans un autre. Club historique de la bourgeoisie blanche, le Náutico, qui est descendu de série A en série B, a quitté son vieux stade d’Aflitos et joue désormais devant un public clairsemé à l’Arena Pernambuco, érigée pour la Copa do Mundo. À l’inverse, le Sport Club do Recife est monté de série B en série A. Vainqueur de la Copa do Brasil en 2008 avant de griller quatorze entraîneurs en quatre ans, il a vu jouer Vavá, Ademir et Juninho sous son maillot rubonegro. Sa puissance pourrait lui valoir de concurrencer les riches clubs du Sud s’il pouvait enfin se débarrasser d’un voisin pouilleux et braillard qui lui dispute la vedette : ce maudit Santa Cruz, porté par une ferveur populaire hors normes. Une ferveur née en 1914 dans le quartier de Boa Vista, aujourd’hui épicentre de l’animation de Recife avec ses bouis-bouis, ses échoppes crasses, ses bouchons et ses vendeurs de cracks.

Sur la place devant le parvis de l’église Santa Cruz, encore préservée de sa circulation incessante et vierge de ses deux bistrots, onze ados se réunissent alors pour taper dans la balle et draguer la garota. Parmi les sujets de discussion : la fin du tramway à ânes, les aéroplanes de Santos-Dumont et bien sûr le football dont le petit peuple s’entiche. Récemment importé par les Anglais, il est alors pratiqué par les classes plutôt aisées, donc plutôt blanches. Le 3 février 1914, alors qu’ils ont entre 13 et 14 ans, ils déposent les statuts du club qu’ils baptisent du nom de leur paroisse, avant de coller branlée sur branlée aux impudents qui les défient. De quoi gagner quelques réis que certains veulent immédiatement investir dans une machine à presser les cannes à sucre. Mais un des gamins protège la caisse : « Le Santa Cruz est né pour vivre éternellement. » De fait, la jeune popularité du Santa Cruz FC tient à une attraction encore jamais vue dans le football du Nord-Nordeste : il y a un joueur noir dans l’équipe, Teófilo Batista de Carvalho « Lacraia » . Une sensation, vingt-cinq ans après l’abolition de l’esclavage au Brésil. D’autant que le racisme a encore de beaux jours devant lui : en 1921, le président Epitácio Pessoa insiste pour qu’aucun métisse ne fasse partie de la Seleção lors du championnat sud-américain. Il se trouve que Teófilo est l’un des meilleurs joueurs du club dont il a dessiné l’écusson. Il est surtout celui qui attire au stade les couches populaires qui ne se reconnaissent pas dans le Sport et le Náutico – ce dernier attendra les années 60 pour signer un joueur professionnel noir. « Les footballeurs de la première génération post-abolition portaient un idéal de justice et d’égalité, analyse le psychologue Silvio Ferreira, président du conseil délibératif du club. C’est cette dimension imaginaire que l’on ne peut pas arrêter et c’est pourquoi le Santa Cruz ne peut pas mourir. »

« Une voix m’a imploré de répandre le bien »

Même parvis, même façade d’architecture coloniale, même date, « 1716 » , inscrite sur le fronton, un siècle plus tard. En ce lundi 3 février 2014, le Santa Cruz Futebol Clube fête son centenaire. Tandis que des explosions de pétards ont retenti toute la journée dans le quartier de Boavista, des milliers de torcedores se sont donné rendez-vous en début de soirée. Les anciens joueurs sont là, dont Ricardo Rocha passé par le Real au début des années 90. Spok et Maestro Forró, stars du frevo (genre musical carnavalesque, ndlr), montent sur scène : ils sont Tricolor, comme avant eux Chico Science, fondateur du Mangue Beat et toujours idole de la jeunesse recifense, dix-sept ans après sa mort. Pendant que l’on craque des fumigènes sur le parvis transformé en kop bouillant, une messe est célébrée dans l’église où sont brandis drapeaux et écharpes là aussi dans un climat de virage.

Bien sûr, Jésus est là. Jesus Tricolor, Pedro Luna de son vrai nom, a grandi avec le Santa Cruz : son père conduisait le bus des joueurs durant les glorieuses seventies. Torcedor dès ses 12 ans, le petit Jesus participait aux bagarres provoquées aux portes du stade par les ados fauchés qui voulaient entrer gratos. En 2005, après une finale du Campeonato Pernambucano remportée contre le Náutico, il a même sauté des tribunes pour embrasser l’écusson tricolor dessiné sur la pelouse avant d’être viré à coups de matraques. Un peu calmé, il s’est tourné vers le théâtre et le heavy metal, deux passions qui lui ont permis d’assumer le port de la barbe et des cheveux longs. Avec tunique blanche et couronne d’épines, Pedro est devenu Jésus sur scène, avant de militer dans le même accoutrement lors des manifestations qui ne cessent de secouer le pays.

« Jésus était le premier révolutionnaire, le Marx de l’époque » , hasarde le trentenaire, étudiant en sciences sociales. Habitant d’une favela, il raconte qu’une jeune torcedora lui a demandé de venir au stade en Jésus pour porter un message de paix : « J’ai pris ma décision au cours d’une retraite quand, dans un rêve, une voix m’a imploré de répandre le bien. La semaine d’après, j’étais à Arruda dans un drap de lit découpé par ma mère. » C’était en 2010. Depuis, Jesus Tricolor promène son sourire dans les tribunes populaires, pose pour les photos et s’applique à esquiver les accusations de blasphème dans un pays où la religion est un sujet sensible : « Mon personnage est un mélange de foi, d’amour du Santa Cruz et de volonté de changer les choses. » Dans les tribunes, cela veut dire par exemple s’interposer entre police militaire et supporters. Il a sa chanson, son sponsor – un hôtel par-ci, des sandales en cuir par-là -, sa chanson, son blog, 15 000 fans sur Facebook et un projet de lutte contre la violence dans les stades. « Un jour, on m’a demandé de rendre une visite surprise à Chico, un ancien dirigeant de la Fédération régionale qui est cloué chez lui par un handicap. Je n’étais même pas habillé en Jésus, mais, quand il m’a vu, il a pleuré d’émotion. Alors que je ne suis qu’un simple supporter. » Jésus parmi les siens…

Par Eric Delhaye, à Recife (Brésil)

La suite et la fin du reportage sur le Santa Cruz FC à découvrir demain.

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