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Quand Brescia vivait son âge d’or avec Baggio et Guardiola

Par Lucas Duvernet-Coppola et Stéphane Régy, à Brescia
18 minutes

Lanterne rouge de Serie B, Brescia est également dans le rouge. Si bien que le club lombard est désormais promis à la faillite en raison de l’incapacité de son propriétaire, Massimo Cellino, de s’acquitter d’une partie des dettes. Un destin qui renvoie 24 ans en arrière quand les Rondinelle comptaient dans leur rang Roberto Baggio et un certain Pep Guardiola, qui en parle comme de la « meilleure période de sa vie ».

Quand Brescia vivait son âge d’or avec Baggio et Guardiola

Il est un mot associé partout dans le monde à des choses terrifiantes, et que l’Italie seule accole à son football : le blitz. De l’autre côté des Alpes, le blitz – éclair, en allemand – définit une opération de transfert dont le but consiste à engager à la surprise générale un joueur annoncé ailleurs. Il peut se produire à chaque mercato, mais déploie surtout son charme l’été, quand les Italiens sont à la plage, les yeux plongés dans leurs quotidiens sportifs, à se demander entre deux baignades à quoi ressemblera la nouvelle saison de Serie A. Comme toute discipline, le blitz a ses personnages légendaires, directeurs sportifs ou présidents aux qualités de persuasion et de manipulation sans pareilles, dont on évoque les exploits comme on se rappelle un but d’anthologie : Adriano Galliani de l’AC Milan, Luciano Moggi de la Juventus, Corrado Ferlaino du Napoli. Pour ces professionnels-là, le blitz a une odeur : celle des halls d’hôtel d’où l’on sort par des portes dérobées, des pneus d’avions privés qui crissent de freiner trop brutalement, des cendriers qui se remplissent jusqu’aux premières lueurs du jour, des attachés-cases sans âge qui s’ouvrent au moment où on ne s’y attend plus, dévoilant in extremis le contrat à parapher. Enfin, le blitz se reconnaît à ce qu’il comporte en général une infraction à la légalité, et celui par lequel commence cette histoire ne fait pas exception.

Dans un aéroport du nord de l’Italie, Luigi Corioni enchaîne les clopes sous un panneau « Interdit de fumer ». Le président du Brescia Calcio est accompagné de son directeur sportif, Gianluca Nani. Le mercato se termine dans quelques jours, et les deux hommes attendent leur avion pour Barcelone. Leurs agendas ne le mentionnent pas, s’ils le disaient tout haut personne ne les croirait, et pourtant les attend en Catalogne Josep Maria Orobitg, l’agent du capitaine du FC Barcelone, Josep Guardiola. C’est le mois de septembre 2001. Voilà le contexte : après onze ans et 384 matchs – toute une vie –, Pep veut changer d’air pour la première fois de sa carrière. On dit que l’Angleterre s’est renseignée. On dit que la Juventus a avancé ses pions. Mais à quelques jours de la clôture du mercato, Guardiola, n’a encore signé nulle part. Tout cela est parvenu jusqu’aux oreilles de Mauro Pederzoli, le manager de Brescia, pas parce qu’il a un réseau de dingue, mais parce que sa femme est espagnole, et qu’il passe la moitié de son temps en Catalogne. C’est lui qui a soufflé au président Corioni : et pourquoi pas Guardiola ? L’affaire n’a rien d’évident. Brescia est un club de seconde zone qui n’a jamais rien gagné, qui n’attend rien, et qui n’espère guère plus. Corioni, cependant, a deux atouts dans sa manche. Le premier est le même que celui de la Juventus : la Serie A est alors le plus grand championnat du monde, ce que Guardiola sait très bien, lui qui a pris quelques années plus tôt 4-0 en finale de Coupe des champions par l’AC Milan alors qu’il pensait son FC Barcelone invincible. Le second est sans équivalence dans le monde : à Brescia joue depuis un an Roberto Baggio, le numéro 10 avec qui rêvent d’évoluer tous les footballeurs. À cela, Guardiola est encore moins insensible. Au terme de l’entretien entre son agent, Luigi Corioni et Gianluca Nani, le capitaine du Barça entre dans la pièce et tend la main : « Va pour Brescia. »

C’était la joie, la meilleure période de ma vie, un groupe extraordinaire. On rigolait beaucoup.

Pep Guardiola, à propos de son expérience à Brescia

Le 26 septembre 2001, c’est vêtu d’une chemise d’un genre hawaïen et d’un jean pattes d’eph que l’Espagnol débarque à Brescia. Étonnement et railleries de ses nouveaux coéquipiers. Certes, la ville n’est pas l’épicentre du cool, mais elle se trouve tout de même en Lombardie, à moins de cent kilomètres de Milan : personne ne s’y habille comme ça depuis des années. Un signe annonciateur de ce qui suit : plus la journée avance, plus la situation échappe à Guardiola. Brescia évolue peut-être dans le plus grand championnat du monde, mais le quartier général du club est un hôtel qui tient davantage des rendez-vous inavouables d’entre midi et deux que du club-house. Quant au centre d’entraînement, il se compose en tout et pour tout de deux terrains de foot collés à l’établissement. Ce décor modeste est le royaume de l’entraîneur du club, Carlo Mazzone. En poste depuis la saison précédente, l’homme de 64 ans est une légende du football italien. Romain incapable de s’exprimer autrement que dans le dialecte de sa ville, vainqueur d’une Intertoto avec Bologne et à l’origine de plusieurs promotions avec Ascoli, il est passé à la postérité pour avoir fait débuter le jeune Francesco Totti dans l’équipe première de la Roma. C’est lui qui a convaincu Baggio de le rejoindre à Brescia pour l’une des dernières aventures de sa carrière. Lui aussi qui, la saison précédente, a eu l’idée géniale de replacer le jeune Andrea Pirlo devant sa défense, en meneur de jeu reculé. Après le départ de ce dernier pour l’AC Milan, Mazzone a passé l’été à faire des pieds et des mains pour arracher le milieu Federico Giunti aux Rossoneri. Il lui a même promis qu’il débuterait titulaire. Aussi, l’arrivée de Guardiola au même poste, dont il n’a pas été prévenu, est-elle pour lui un dilemme moral. Le soir venu, alors que Pep s’avance vers le Mister pour se présenter, ce dernier tranche dans le vif. « Je ne voulais pas de toi », dit-il au Catalan. Après quoi Guardiola engloutit son dîner, et part pleurer dans sa chambre.

Quatre jours plus tard, l’ancien capitaine du Barça est présenté à ses nouveaux tifosis. Ce 30 septembre, Brescia reçoit l’Atalanta Bergame. Les deux villes, distantes de 50 kilomètres, sont rivales depuis au moins 1156, de telle sorte que le mot « derby » ne suffirait pas pour qualifier l’ambiance qui règne dans et autour du stade. Après avoir fait coucou dans le rond central avec un drôle de gilet beige, Guardiola prend place en tribune, entre Gianluca Nani et Luigi Corioni. Le stade Mario Rigamonti, plus petit que la plus petite tribune du Camp Nou, ressemble à un échafaudage susceptible de s’écrouler à tout moment. Il y a du bruit, des pots de fumée, une ouverture du score de Baggio pour les locaux, trois buts de l’Atalanta avant la mi-temps, les chants des supporters visiteurs contre la pauvre mère de Mazzone en guise de célébration et lui, jogging, parka, crâne dégarni, qui les insulte en retour en sautillant comme un démon. Lorsque Baggio réduit le score à la 75e, la première réaction de Mazzone n’est pas pour replacer ses joueurs. Elle est pour les supporters de l’Atalanta. Il leur dit : « Si on marque le troisième but, je viens devant votre tribune. » Ce qu’il fait effectivement lorsque Baggio égalise sur coup franc à la 92e : Mazzone part alors comme une fusée devant les Bergamasques. Un adjoint tente de le retenir, mais il ne veut rien savoir, il veut en découdre, il insulte en romain tous leurs morts, et quand il fait demi-tour, le stade tout entier l’acclame, l’arbitre l’expulse, lui ne proteste pas, lève les mains au ciel comme un bandit qui se rend, et le Rigamonti l’acclame plus fort encore. Au coup de sifflet final, Pep Guardiola, pas là depuis une semaine, se retourne vers Gianluca Nani avec deux questions : « Est-ce qu’ici tous les matchs ressemblent à ça ? Est-ce que Mazzone est toujours aussi fou ? »

Joute médiévale et bataille judiciaire

Presque 25 ans plus tard, Emanuele Filippini n’a pas oublié cette drôle d’entrée en matière. Lui était de la reprise de l’entraînement en septembre 2001, et sur la feuille de match ce 30 septembre, titulaire au milieu de terrain, avec son jumeau Antonio. Les deux frères sont nés et ont été formés à Brescia, où ils ont vécu plusieurs vies. Se moquer des habits de Guardiola à son arrivée ? Coupable, plaide Emanuele, assis en terrasse d’un café du centre historique de sa ville. Ce 3-3 aux allures de joute médiévale contre l’Atalanta ? Surprenant quand on vient d’ailleurs, c’est vrai, admet encore Filippini. Il n’empêche. Sur son lit de mort, au moment où sa vie défilera sous ses yeux, ses dimanches passés à jouer dans son club de toujours avec Roberto Baggio et Pep Guardiola en occulteront bien d’autres. « Ça a été le plus grand moment de ma carrière et de l’histoire du club », coupe-t-il définitivement. Vincenzo Corbetta aussi était au stade Rigamonti lors de ce fameux match. Lui avait pris place dans la tribune de presse. Il écrivait pour Bresciaoggi, le quotidien de la ville. Deux décennies et autant de matchs de son club plus tard, il fait le même métier au même endroit, et sa phrase est identique à celle de Filippini : « Jamais avant et jamais après Brescia n’a connu une telle période dorée. » Quant à la Curva Nord, cet endroit où l’on retire parfois son amour plus vite qu’on ne l’a donné, elle est pour une fois à l’unisson de tout le monde. Ce match, ces joueurs, cette époque, resteront « à jamais bénis », s’émeut Dario, cinq décennies à s’égosiller derrière les cages. Le plus fou ? Pep Guardiola en personne fait ce genre de sorties. À chaque interview qui retrace sa carrière, le propos fuse comme un souvenir d’été indélébile : bien sûr le Barça, bien sûr le Bayern, bien sûr Manchester City, mais jamais le Catalan n’a oublié cette époque où il jouait avec le numéro 28 dans le dos, la date d’anniversaire de sa première fille, Maria. Une phrase comme une autre, tirée de sa dernière intervention à la télévision italienne : « C’était la joie, la meilleure période de ma vie, un groupe extraordinaire. On rigolait beaucoup. »

En Italie, le Catalan ne met pas longtemps à retourner son vieil entraîneur. Après une paire d’entraînements, Carlo Mazzone réunit son groupe et fait la déclaration suivante à Giunti, mais en fait à tout le monde : « C’est moi qui t’ai voulu, mais comment pourrais-je ne pas faire jouer l’autre ? Il est trop fort. » Ainsi commence l’idylle entre Guardiola et sa nouvelle vie. En un éclair, le Catalan devient pour les plus jeunes le grand frère que ses dirigeants fantasmaient. Le genre de coéquipier à prononcer des phrases de grand sage, comme « Ce n’est pas toi qui dois transpirer, c’est la balle », comme le raconte Federico Agliardi, alors jeune gardien âgé de 16 ans. Passes courtes, charisme tranquille, vision du jeu, sa présence sur le terrain se révèle aussi à la hauteur des attentes. Brescia obtient des résultats au-dessus de son triste ordinaire, joue bien, et lorsque les maudits genoux de Roberto Baggio le font trop souffrir, c’est lui, Guardiola, qui porte le brassard. Mazzone, qui se contente d’observer, les jours de grand froid et de brouillard, les séances d’entraînement depuis la fenêtre de sa chambre d’hôtel, lui fait désormais une confiance aveugle. La vie est belle sur le terrain, et encore plus en dehors. Dès ses premières semaines, Guardiola trouve le long de la tranquille et cossue Via Amba d’Oro ce qu’il n’a jamais eu à Barcelone : une maison à quinze minutes à pied du centre-ville, ses églises, ses œnothèques et ses rues pavées, où il peut déambuler les mains dans les poches sans que personne ne vienne l’importuner. Brescia est une ville riche, siège de nombreuses industries, où l’on sait réserver ses élans passionnels aux seuls dimanches de match. C’est aussi une ville où l’on peut se faire de vrais amis. Guardiola devient ainsi l’intime d’Edoardo Piovani, le manager de l’équipe, et de Baggio, qu’il fera plus tard venir à Barcelone pour le présenter à ses stars Xavi, Iniesta, Messi, en l’introduisant ainsi : « Il était meilleur que vous. » Lorsqu’il ne joue pas, Guardiola apprend l’italien en écoutant Francesco De Gregori – La Storia siamo noi est sa chanson préférée –, mange là où les locaux mangent : la pizzeria l’Altra Piedigrotta, dans le quartier de Mompiano, en face du stade, ou bien le Seconda Classe, près de la gare. Le reste du temps, il lance sa voiture en direction de la rive ouest du lac de Garde, où se dresse, entre autres merveilles, l’Osteria dell’Orologio, un restaurant simple et historique dans le cœur de Salo dont il apprend à connaître toute la carte. Oui, tout cela est très séduisant, mais prend fin brutalement le 4 novembre 2001.

Vous pensez vraiment qu’un joueur de sa trempe a besoin de se doper pour jouer contre Piacenza ?

Luigi Corioni, après le contrôle positif de Pep

Dixième journée de Serie A, Stadio Olimpico, Rome. Après une défaite contre la Lazio, Guardiola est contrôlé positif à la nandrolone. Deux semaines plus tôt, le même résultat était sorti après un match contre Piacenza. Corioni réagit d’abord comme tous les présidents de sa génération le font : en piochant une clope dans son paquet pour balayer d’un revers de la main l’accusation : « Vous pensez vraiment qu’un joueur de sa trempe a besoin de se doper pour jouer contre Piacenza ? » Ce qui ne change pas les chiffres, hélas, têtus. Le taux de nandrolone de l’Espagnol, neuf nanogrammes dans le sang, est bien au-dessus des deux nanogrammes autorisés. C’est le début d’une bataille judiciaire faite d’incompréhensions et de dénégations, de contre-tests effectués par le joueur pour prouver sa bonne foi mais non reconnus par les juges, et qui se terminera huit ans plus tard par un communiqué des instances sportives italiennes pour blanchir le joueur. En attendant, Guardiola écope d’une suspension de quatre mois longue comme un jour sans pain. Quelque chose se casse. Le Catalan regarde impuissant Baggio se blesser, revenir en état de grâce, sauver ses coéquipiers de la relégation, et voit la sélection espagnole s’envoler sans lui pour la Coupe du monde 2002. Alors, comme pour calmer son spleen, Pep parle d’une « envie de rejouer la Ligue des champions », et signe à la Roma. Mais dans la capitale, tout va de travers : Guardiola ne se sent pas à son aise, l’entraîneur, Fabio Capello, ne le fait pas jouer. Les jours, les semaines, les mois passent, d’une tristesse infinie. Noël arrive, et l’ancien capitaine du Barça n’a disputé que quatre matchs de championnat, et un de Coupe d’Europe. Alors ? Alors, blitz d’hiver. Le 31 janvier 2003, dans les arrêts de jeu du mercato d’hiver, Luigi Corioni refait signer Guardiola à Brescia. Il se raconte en ville que cette fois, c’est Mazzone, et surtout Baggio, qui lui ont soufflé l’idée. Cette deuxième lune de miel n’est pas beaucoup plus longue que la première, mais voir Pep et Robi échanger à nouveau des ballons a un goût d’éternel. Guardiola et Brescia finissent la saison ensemble, avant de se séparer pour de bon. À l’été 2003, l’Espagnol prend la direction du Qatar, essentiellement pour jouer au golf avec Gabriel Batistuta. Le Divin Codino prend sa retraite le 16 mai 2004, à San Siro, remplacé six minutes avant la fin du match, acclamé par le stade, ses coéquipiers, ses adversaires, les arbitres. Appelez cela la fin d’une époque.

Faux départ, vrai fantasme

Printemps 2024, Brescia. Posées au pied des arcades de la Piazza della Loggia, la plus belle place de la ville, des couronnes de fleurs fraîches et des bougies encore allumées rappellent que la veille, Sergio Mattarella, le président de la République italienne, était là, au même endroit. Mattarella est venu commémorer les 50 ans du « massacre de la Loggia », 8 morts et 102 blessés en marge d’un rassemblement antifasciste, l’un des attentats les plus sinistrement célèbres des années de plomb italiennes. L’ambiance est lourde en ville. Elle est en vérité d’autant plus lourde pour les Bresciani qu’ils ont commencé ce mois de mai en voyant leur équipe se faire éliminer des play-off pour monter en Serie A, et l’Atalanta Bergame remporter la Ligue Europa. Les trajectoires des deux clubs ennemis, ces vingt dernières années, ont pris des directions radicalement opposées. Tandis que l’Atalanta construisait pas à pas les conditions de son succès actuel, Brescia, depuis le départ de Guardiola et celui de Baggio, n’en finit plus de sombrer vers le grand nulle part. Luigi Corioni, le président historique, est mort en 2016. Le fantasque et fantastique Carlo Mazzone est mort en 2023. Rester en Serie B est devenu le seul objectif de saisons toutes plus blanches les unes que les autres. « Jamais nous n’avons été aussi heureux qu’il y a vingt ans, et le pire, c’est qu’on ne s’en rendait même pas compte », dit Dario, le vieil ultra, en triturant son écharpe aux couleurs du club. Tout ce qui a été entrepris ces dernières années pour relancer la machine a échoué : Andrea Pirlo, l’enfant chéri du pays, a refusé de prendre la présidence du club alors qu’il en était question à la fin de sa carrière de joueur. Mario Balotelli, l’autre grand joueur issu de la ville, est venu faire une pige en 2019, mais l’expérience a tourné au fiasco. Le club est même aujourd’hui promis à la faillite, et donc risque la disparition.

Le grand regret que j’ai, c’est qu’on aurait pu lancer la carrière d’entraîneur de Guardiola quand il a arrêté de jouer. Mais on ne l’a pas pris, parce qu’il n’avait pas encore d’expérience.

Fabio Corioni, fils de l’ancien président du Brescia Calcio

Est-ce que le destin du Brescia Calcio aurait pu être différent ? Fabio Corioni, fils de, et présent dans l’organigramme du club jusqu’en 2015, s’en mord encore les doigts. Car la réponse est oui. « Le grand regret que j’ai, dit-il aujourd’hui, c’est qu’on aurait pu lancer la carrière d’entraîneur de Guardiola quand il a arrêté de jouer, en 2006. À l’époque, on était en Serie B, on avait des bons jeunes, on voulait remonter en A. Il a été question de le prendre. Même : on aurait pu le prendre. Mais on ne l’a pas pris, parce qu’il n’avait pas encore d’expérience. À la place, il est allé entraîner l’équipe B du Barça, où il a fait ce qu’il a fait, avant de devenir ce qu’il est devenu… » En Lombardie, on se console parfois en se disant que Pep Guardiola, le meilleur entraîneur du monde, a toujours porté quelque chose de Brescia en lui. Soit qu’il choisisse le club comme sparring-partner en matchs de présaison, comme il l’a fait avec le Bayern, au terme de stages au bord du lac de Garde. Soit qu’il invite les dirigeants du club à assister à son triomphe, comme il l’a fait en 2009 à Rome, pour la finale de Ligue des champions entre le Barça et Manchester United (2-0). Les plus avertis voient même du Brescia sur le terrain. C’est le cas d’Emanuele Filippini, ancien entraîneur des U17, 18, 19, 20, et 21 de la Nazionale, et qui a fait ses premières gammes avec son ancien coéquipier lorsque ce dernier coachait Munich. Filippini l’affirme : c’est à Brescia que le Catalan a appris à organiser les phases défensives de ses futures équipes. Le jour où il lui a rendu visite en Bavière, déroule-t-il comme on présenterait une preuve, Guardiola faisait effectuer à ses défenseurs les mêmes exercices de mise en place que ceux que Mazzone proposait à ses joueurs à Brescia.

Josep Guardiola en match de présaison avec le Bayern contre Brescia, en juillet 2013 – Photo : Pierre Teyssot / Icon Sport
Josep Guardiola en match de présaison avec le Bayern contre Brescia, en juillet 2013 – Photo : Pierre Teyssot / Icon Sport

L’ancien capitaine du Barça n’a jamais nié. Il serait même du genre à en rajouter une couche. Au lendemain de la disparition de Carlo Mazzone, mort à 86 ans, le Catalan, déjà entraîneur de Manchester City, s’était présenté en conférence de presse avec un tee-shirt immortalisant son ancien Mister lors de sa folle chevauchée contre l’Atalanta. Une façon de rendre hommage, en même temps que de marquer le fait que l’histoire ne s’est jamais arrêtée entre lui et le club lombard. Du reste, Guardiola se rend toujours régulièrement en Italie. Tous, à Brescia, l’aperçoivent parfois, de loin en loin. Le récit est toujours le même : celui d’un type discret qui vient rendre visite à ses amis, mange un morceau à l’Altra Piedigrotta, à l’Osteria dell’Orologio, puis repart sans un bruit. Tout le monde le salue, personne ne le dérange : il fait partie de la famille. Quant aux chiffres, on peut leur faire dire ce qu’on veut. Oui, l’Espagnol n’a joué que 25 petits matchs sous les couleurs bleu et blanc. C’est peu. Mais sur les 15 qu’il a disputés avec Roberto Baggio, ils n’en ont perdu que deux. Un choc contre l’Inter, à la dernière seconde, et un autre contre la Juventus, à trois minutes du coup de sifflet final. C’est en général cette seconde statistique qu’on sert en ville.

De même, il ne faut pas attendre longtemps pour qu’au-dessus des assiettes de charcuterie et des verres d’apéritif, l’hypothèse affleure dans la conversation : et si, un jour, Pep Guardiola venait entraîner le club ? Lancée en l’air par les anciens joueurs, les anciens dirigeants, les supporters, la question est toujours flottante, comme fournie avec ses points de suspension. La poser est une manière de se dire qu’on a un jour existé, que tout ne s’est pas envolé, qu’un futur est peut-être possible, un futur aussi rose que celui de l’Atalanta. Mais y répondre serait forcément décevant : tout le monde sait bien que c’est impossible. Salaire, conditions de travail, joueurs à disposition… Aucune case ne pourra jamais être remplie. Cela n’empêche pas que Pep Guardiola lui-même joue de temps à autre avec. Et s’il plaquait tout pour recommencer à Brescia ? Sans doute que lui n’y croit pas davantage. Mais laisser la question exister, c’est pouvoir, loin des pétrodollars qui le nourrissent, continuer à se ranger du côté du romantisme. Ou, moins cyniquement, se rappeler qu’un jour, dans une petite ville italienne de second rang, le football ne fut enfin que cela : une affaire de plaisir, de rencontres et d’amitié.

Brescia perd officiellement son statut professionnel

Par Lucas Duvernet-Coppola et Stéphane Régy, à Brescia

Tous propos recueillis par LDC et SR.

Article initialement paru dans le n°223 de février 2025, consacré à Pep Guardiola.

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