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« Pour beaucoup de Croates, aller à la Coupe du monde, c’est aller à la guerre »

Propos recueillis par Nicolas Jucha
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Dans un pays où le nationalisme domine les stades, les White Angels, groupe de supporters historique du NK Zagreb, a décidé de prendre le contrepied en fondant un club dissident. Évoluant dans les divisions inférieures croates, le NK Zagreb 041 se veut tolérant et activiste social. L'un de ses membres nous a expliqué le concept, et fait un topo sur la situation socio-politique du football croate.

Qui sont les White Angels ?Kirminho, des White Angels : On est un groupe de supporters traditionnellement associé au NK Zagreb, et plus précisément au secteur E des tribunes du stade Kranjčevićeva. On existe depuis 1989, mais notre naissance officielle date du 11 novembre 2000, quand l’association a été fondée. En 2015, on a entrepris de grands changements pour lutter – sans succès – contre l’incompétence et la corruption du président du club. L’idée était de remettre le club aux mains des supporters. Nous avons désormais renoncé à l’idée d’aller au stade supporter notre club de cœur. À la place, nous avons voulu tenter quelque chose de différent. Nous avons créé un nouveau club, le NK Zagreb 041, que nous voulions plus proche de nos principes et de l’esprit authentique du vieux NK Zagreb.

NK Zagreb 401, c’est un peu la volonté d’offrir une alternative non nationaliste dans le foot croate ? Le NK Zagreb est un vieux club, fondé en 1908. Il a toujours été dans l’ombre des plus grands clubs, comme le Dinamo Zagreb après la Seconde Guerre mondiale. Malgré tout, il a toujours eu une solide et loyale base de supporters à Zagreb. Surtout à Trešnjevka, dans le centre de Zagreb, où son stade est situé. Le club était performant dans les années 1970 et 1980. Il est resté performant même après l’indépendance, allant jusqu’à gagner un championnat en 2001. Mais depuis, les choses se sont détériorées à cause d’un management corrompu. Le problème venait essentiellement du président Dražen Medić, arrivé en 2005. Il dirige le club comme si c’était sa propriété féodale. Il a également changé le logo et les couleurs du club… ce qui a érodé la base de supporters. Les White Angels se sont battus contre lui, jusqu’à ce que nous comprenions qu’il fallait sauver l’esprit du vieux NK Zagreb. Cela a été le point de départ. Le côté anti-fasciste n’est pas une motivation première, mais cela correspond aux valeurs de notre groupe.

La plupart des ultras des autres groupes nous méprisent, voire ne nous considèrent pas comme de vrais supporters. Tout ça parce que nous ne correspondons pas à une image forte, nationaliste et macho.

C’est difficile d’assumer un tel positionnement en Croatie en 2018 ?Bien sûr, beaucoup de gens ne nous apprécient pas à cause de nos positions et actions. La plupart des supporters et ultras des autres – et bien plus grands – groupes nous méprisent, voire ne nous considèrent pas comme de vrais supporters. Tout ça parce que nous ne correspondons pas à une image forte, nationaliste et macho. Si bien qu’on reçoit parfois des menaces, des provocations, mais on fait en sorte de les ignorer. Mais nos positions nous apportent aussi des soutiens d’une certaine partie de la société croate qui partage nos idées.

Quelles sont les convictions politiques de votre groupe ?Notre groupe n’adhère à aucune idéologie spécifique. Il y a des gens avec des sensibilités diverses parmi nous. À côté du Zagreb 401, nous chérissons l’idée d’un activisme social, et on est fermement convaincus que notre association de supporters, et chaque individu à l’intérieur peut contribuer au combat contre différentes formes de sectarisme dans le football et la société. La haine, la violence, la discrimination, le racisme, le fascisme, l’homophobie… Des choses qui n’ont pas leur place dans le football. Dans notre stade, la tolérance prévaut. En dehors des matchs, on organise des concerts, des meetings activistes et des ateliers de travail. On a aussi organisé des tournois 5 contre 5 pour les réfugiés et les demandeurs d’asile. On est en contact régulier avec d’autres groupes similaires en Europe, dans le football et d’autres domaines d’initiatives activistes. Par exemple, on a plusieurs fois participé à des événements comme le Tournoi Antira à Hambourg. Dans le passé, certains de nos membres ont aussi été actifs dans des groupes internationaux comme Football Supporters Europe.

Le football a été utilisé par l’État comme le symbole d’un nouvel État indépendant. La fierté nationaliste a été associée au contexte de l’ère yougoslave. La situation n’a pas changé depuis.

Comment expliquez-vous une telle emprise du nationalisme dans les stades croates ?C’est lié à l’histoire sociale et politique de la Croatie sur les 30 dernières années, voire plus. Les tensions nationalistes de la fin de la période yougoslave ont d’abord éclaté dans les stades de football, et les allégeances dans les clubs ont toujours été étroitement liées avec les identités nationales et ethniques. Dans les années 1980, les groupes ultras et hooligans étaient parmi les premiers à être politisés et radicalisés. Pendant et après la « Homeland War » , le terme en Croatie pour évoquer la guerre de 1991 à 1995, le football et le sport en général ont été utilisés par l’État comme les symboles d’un nouvel État indépendant. La fierté nationaliste a été associée au contexte de l’ère yougoslave. La situation n’a pas changé depuis. Par exemple, il y a quelques jours, l’équipe nationale a participé à une cérémonie. Durant cette cérémonie, le sélectioneur a reçu un drapeau national des mains du commandant en chef de l’armée. Un drapeau qu’il doit symboliquement emmener en Russie, pour le Mondial. En gros, l’idée, c’est qu’aller à la Coupe du monde, c’est comme aller à la guerre… Aucun média mainstream n’a critiqué ce geste, l’opinion publique non plus.

En 2015, la Fédération croate a été condamnée par l’UEFA à cause d’une croix gammée dessinée sur la pelouse pendant un match de l’équipe nationale. Cela va très loin…Les chants et la symbolique d’extrême droite étaient habituels dans les stades croates avant même l’histoire de la croix gammée de 2015. Par exemple en 2006, à Livorno, pendant un match de la sélection croate, des supporters croates ont formé une croix gammée avec leurs corps histoire de provoquer les supporters de Livorno, qu’ils savaient orientés « à gauche » . Ce qu’il s’est passé en 2015 est horrible, mais les coupables n’ont jamais été confondus. Cet incident a une signification politique et sociale, c’est lié à l’État croate, à la Fédération de football croate, et aux groupes de supporters radicaux. Je crois qu’à l’époque, c’était une provocation à l’égard de l’UEFA, qui exige des positions anti-racistes, et que les partis politiques au pouvoir auraient vu avec bienveillance une exclusion de la Croatie des compétitions européennes…

Certains joueurs comme Josip Šimunić ont été critiqués à l’étranger pour avoir chanté l’hymne de la milice Ustasha, Ready for Homeland. Quelles ont été les réactions en Croatie ? Après cet incident, il a été nommé adjoint au sein de l’équipe nationale… Que dire de plus ? Il s’est défendu en expliquant que chanter n’avait rien à voir avec le fascisme, et qu’il ne s’agissait que de pur patriotisme. Mais il a reçu une amende pour incitation à la haine. Et, bien que mis à l’amende par l’UEFA également, il a été soutenu par la Fédération croate. Pour la partie la plus nationaliste et la plus à droite de la société, Šimunić est devenu un héros. Le club officiel de supporters de la sélection nationale a d’ailleurs commercialisé des T-shirt à son effigie après l’incident. Cela doit être considéré dans un spectre plus large, qui englobe le révisionnisme historique, et un mouvement de réhabilitation des Ustashas. Un mouvement qui a commencé après la partition de la Yougoslavie, mais s’est intensifié ces dernières années. Il y a par exemple une pétition pour faire de Ready for Homeland un salut officiel de l’armée croate. Une cause supportée par Šimunić lui-même et d’autres intellectuels de droite. Et même des dirigeants importants de l’église catholique croate.

Le 22 juin, il y a eu une cérémonie à Sisak, pour la journée de la lutte anti-fasciste en Croatie. Les White Angels y ont participé ?Nous n’y avons jamais participé en tant que groupe, cette commémoration n’a pas grande valeur dans la société croate. Ce qu’il se passe à Sisak, c’est un protocole pour politiciens de seconde catégorie qui font des discours hypocrites. La plupart des membres de notre groupe préfère l’évènement alternatif tous les mois de mai à Zagreb, où l’on célèbre la libération de la ville des occupants nazis et fascistes en 1945.

La situation socio-politique en Croatie ne diffère pas beaucoup de celles d’autres pays d’Europe de l’Est comme la Pologne ou la Hongrie, sauf que la situation économique est pire chez nous.

C’est juste de dire que la société croate est divisée entre les nationalistes et les anti-fascistes ?D’une certaine manière. Même s’il y a des nuances dans chaque idéologie. Mais selon moi, la situation socio-politique en Croatie ne diffère pas beaucoup de celles d’autres pays d’Europe de l’Est comme la Pologne ou la Hongrie, sauf que la situation économique est pire chez nous.

Beaucoup en Croatie semblent faire l’amalgame entre anti-fascisme et communisme, entre communisme et ère yougoslave… Comment les gens peuvent-ils avoir de tels désaccords sur leur passé récent ?Ce n’est pas propre à la Croatie. Notre région a été le théâtre d’un grand mouvement de résistance partisan durant la Seconde Guerre mondiale. Et durant la Yougoslavie socialiste, la lutte anti-fasciste était l’une des pierres angulaires de l’idéologie. Dès lors que l’État yougoslave s’est désagrégé, la cause anti-fasciste a perdu sa signification pour de nombreuses personnes. Les désaccords viennent des tensions inter-ethniques et politiques nées pendant la Seconde Guerre mondiale et qui, n’étant pas réglées, ont explosé de nouveau à la fin des années 1980, avec l’essor du nationalisme serbe, lequel a alimenté l’essor du nationalisme croate. Tous les gens qui étaient du côté des vaincus pendant la Seconde Guerre mondiale – et leurs descendants – estiment aujourd’hui que le moment est venu d’être vindicatifs. Le sujet est complexe, et mon avis vaut ce qu’il vaut, je ne suis pas historien…


Dans cet article :
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Dans cet article :

Propos recueillis par Nicolas Jucha

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