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Pirlo et Buffon, ces esthètes…

Eric Maggiori
6 minutes
Pirlo et Buffon, ces esthètes…

L’un dessine le jeu de la Squadra, l’autre en est son ultime rempart infranchissable. Andrea Pirlo et Gigi Buffon, champions du monde de 2006, sont en train de transcender l’équipe d’Italie. Jusqu’où ?

Ils ont gagné le match à eux deux, hier soir. Il est 23h21, très précisément, lorsqu’Andrea Pirlo pose son ballon sur le point de pénalty. L’Italie est menée 2-1 aux tirs au but. Si Pirlo rate, c’en est quasiment fini, du moins psychologiquement, pour les Italiens. Joe Hart est chaud bouillant. Pirlo s’élance. Panenka. But. Une folie, qui change totalement le cours de l’histoire. « J’ai vu le gardien qui était un peu chaud et j’ai pensé qu’il fallait tirer comme ça, c’était plus simple. Du coup, cela lui a mis une pression pour la suite » , assure le milieu de terrain juste après la rencontre. En effet, ce péno renverse la tendance. Derrière, Ashley Young rate, puis Nocerino score. La pression passe alors sur les épaules de Gigi Buffon. Un gardien qui a en vu, dans sa carrière, des séances de tirs au but. Il a gagné un Mondial comme ça. Il a aussi été éliminé en quarts de finale d’un Euro comme ça. Ashley Cole s’élance. Gigi part du bon côté. Il ne la repousse même pas, il la bloque. Ce ballon auquel il s’agrippe en hurlant, c’est le symbole de la qualification qu’il tient désormais dans ses mains. Derrière, Diamanti ne tremble pas. L’Italie est en quarts. Mais tout le monde en est bien conscient : les grands messieurs de la soirée, ce sont ces deux esthètes aux cheveux longs. L’un capable de changer l’ascendant psychologique de la séance de tirs au but avec un geste fou, l’autre qui met un coup de massue sur la tête des Anglais. Les grands joueurs sont décisifs dans les moments-clefs.

L’architecte et le pilier

C’est désormais l’Allemagne, déjà battue en 2006, qui se dresse sur la route des Azzurri. Même pas peur. Pirlo et Buffon les ont déjà mis en échec, il y a six ans. C’était la demi-finale de la Coupe du monde, en Allemagne. On joue la prolongation, lorsque Lukas Podolski se retrouve seul face à Gigi Buffon. Le joueur de Cologne décoche une minasse du gauche. Gigi s’envole et détourne le ballon d’une claquette au-dessus de la barre. Les Allemands sont écœurés. Quelques minutes plus tard, sur un corner, Pirlo récupère le ballon. Au lieu de tenter une frappe, l’architecte du Milan AC temporise et glisse une merveille de passe aveugle à Fabio Grosso. La suite appartient à l’Histoire. Buffon. Pirlo. Déjà, il y a six ans, ces deux-là avaient emmené la Nazionale sur le toit du monde. Visiblement, le temps n’a pas vraiment d’effet sur eux. Or, cette saison, ces deux-là ont déjà réalisé un championnat exceptionnel, couronné par un sacre de champion d’Italie et un titre honorifique de seule équipe d’Europe invaincue dans son championnat. Et pourtant, il y a encore quelques mois, Pirlo et Buffon semblaient être arrivés en bout de parcours.

Avant de débarquer à la Juventus, Andrea Pirlo avait réalisé une drôle de saison au Milan AC. Très souvent blessé, le joueur n’avait pu disputer que 17 matches de Serie A, pour un seul but (une frappe de 30 mètres en lucarne contre Parme, quand même). Arrivé en fin de contrat, Pirlo demande un nouveau contrat de trois ans, mais ne sent plus la confiance des dirigeants milanais, qui étaient persuadés qu’après dix années passées à Milan, Pirlo avait donné tout ce qu’il avait à donner. Du coup, il est offert gratuitement à la Juventus. Bizarrement, à Turin, il réalise la saison la plus pleine de sa carrière : 37 matches disputés sur 38, sa seule absence, contre Cesena, étant due à une suspension. Quant à Buffon, son trou noir a duré près d’un an. Blessé pendant la Coupe du monde 2010, il mettra beaucoup de temps à revenir à son niveau. Il passe même plus de la moitié de la saison 2010-11 loin des terrains, laissant Storari faire le job à sa place. Mais bon… Sans Buffon, la Juve termine septième. Pas forcément une coïncidence.

Une erreur en 38 matches

Cette saison, quasiment sans prévenir, déclic. Les deux « anciens » (qui n’ont finalement que 33 et 34 ans) reviennent rapidement au top de leur forme. Il ne faut que quelques matches de la Juve pour comprendre que Pirlo avait juste besoin d’un changement de décor pour retrouver toute sa motivation. Il irradie le jeu de la Juventus avec des ouvertures et des passes décisives folles et permet à la Vieille Dame de reprendre le Scudetto au Milan AC, après six années de disette (sur le terrain). Mine de rien, Pirlo n’a plus perdu un match de championnat d’Italie depuis le 18 décembre 2010, un Milan-Roma remporté par les Giallorossi 1-0. Et encore, il n’était resté sur la pelouse que 22 minutes. Buffon, lui, a perdu pour la dernière fois le 15 mai 2011, face à Parme. Cette année, le grand Gianluigi (car il a un vrai prénom) a été impérial, en réalisant des parades de grande classe, notamment lors des chocs face à l’Inter (2-0) et la Lazio (1-0). En fin de saison, il a commis une énorme bourde contre Lecce, qui aurait pu coûter très cher aux Turinois. Tout le monde s’est alors uni autour de lui. « Une erreur en 38 matches ? On peut pardonner ça à cet immense gardien » , s’insurge son coach Antonio Conte. Pas touche à Gigi.

Tout était donc écrit pour que Pirlo et Buffon réalisent un énorme Euro, après avoir réalisé une toute aussi énorme saison. Pourtant, juste avant le début de la compétition, le tremblement de terre. Buffon aurait misé plus d’un million et demi d’euros sur des matches. Cette nouvelle, qui fait vaciller la Nazionale en pleine affaire du Calcioscommesse, aurait pu avoir un impact psychologique sur le portier. Tu parles. Sa réponse ? « Avec mon argent, je peux acheter des montres, des terrains, ou les donner à un ami. Je fais ce que je veux. » Pan ! Les vannes sur ses petits paris continuent de fuser, mais lui ne s’en préoccupe pas. Ses répliques, ils les donnent sur le terrain, en étant irréprochable depuis le début de la compétition. Pas besoin de parler de Pirlo, qui illumine le jeu de la Squadra depuis le premier match contre l’Espagne, avec déjà deux passes décisives (pour Di Natale et Cassano) et un superbe coup franc à son actif. Jeudi, l’Allemagne les attend. Et les médias teutons, à l’instar de la Bild, ne s’y trompent pas : « L’Italie est notre bête noire. Mais nos deux vrais obstacles, ce sont Buffon et Pirlo. » Que Joachim Löw en prenne acte.

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