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Jacques Wattez, le roc de Boulogne
Infatigable dirigeant de l’US Boulogne Côte d’Opale durant un quart de siècle (1994-2018), chef d’entreprises à succès, Jacques Wattez est brutalement décédé ce dimanche à 74 ans des suites d’un malaise cardiaque. Capable d’envoyer ses joueurs à 6 heures du mat’ récupérer leur paye au port, président au grand cœur et épicurien au possible, ce personnage singulier aura connu le graal en 2009 avec l’accession en Ligue 1. Son empreinte sur la cité portuaire et le football du Nord Pas-de-Calais est indiscutable.

23 mars 2010, stade Robert-Diochon. Dans les dédales de l’enceinte rouennaise, Jacques Wattez fulmine. L’USBCO, son USBCO, qu’il façonne depuis 1994 et qui séjourne alors pour la première fois de son histoire en Ligue 1, vient d’être éparpillée façon puzzle par Quevilly (CFA) en quarts de finale de Coupe de France (3-1). Le dernier carré lui passe sous le nez, le président tire à balles réelles : « C’est bien fait pour notre gueule, on a joué comme des seigneurs, tance le solide gaillard devant les caméras. Je suis honteux d’être boulonnais. Je crois que je vais me taire, car je risquerais d’aller loin et de dire des choses que je pourrais regretter. On réglera ça en famille, je peux vous le certifier. » En famille, comprendre dans les couloirs du stade de la Libération ou au port de Boulogne, son fief.
Cinq ans plus tôt, Christophe Hogard, milieu de terrain boulonnais (2003-2006), se rappelle avoir déboulé à 6 heures du matin à la criée, à deux pas des bateaux de pêche. Les résultats étaient mauvais, le président convoqua son équipe à l’aube « récupérer le chèque de la paye, jure l’ex-footballeur, finaliste de la Coupe de France avec Calais en 2000. Il voulait montrer à l’équipe les vraies valeurs du travail. Ti’Mousse (Anthony Lecointe, actuel entraîneur adjoint de l’USBCO en Ligue 2) était aussi employé par Jacques. Il bossait avant de venir s’entraîner. » À l’époque, Philippe Montanier est sur le banc boulonnais. L’heure est au CFA (désormais National 2), aux prémices de l’ascension fulgurante du club de la Côte d’Opale, catapulté du quatrième échelon à la Ligue 1 en l’espace de quatre saisons.
Jacques est parti de très bas pour amener Boulogne en haut et ça ne se fait pas en un claquement de doigts. Il faisait tout à fond.
« Après un très mauvais match, il m’avait dit : “Je vais les envoyer là-bas au port, ils verront ce que c’est”, se souvient celui qui entraînera par la suite la Real Sociedad ou encore Lens. C’était une bonne idée, mais il ne fallait pas que ce soit perçu comme une punition pour les joueurs. » Et puis un jour, « dans un froid de canard », le groupe a débarqué pour la vente de poisson avant un « petit-déjeuner avec les pêcheurs et l’entraînement à 7h30. L’idée était de dire aux gars : “Putain on a une chance incroyable de ne faire que du foot quand dans la pêche des gens travaillent très durement.” Les joueurs ont pris conscience des choses. »
Le « Gervais Martel maritime »
Voilà pour le personnage Jacques Wattez, le « Gervais Martel maritime », image habilement Benjamin Parrot, directeur général du Racing Club de Lens. Margat (enfant en patois) de Boulogne-sur-Mer, fils de mareyeurs, Jacques Wattez était une gueule, un nom, une voix. Un phrasé encore entendu samedi dernier dans les gradins de la Libé pour la réception de Saint-Étienne, quelques heures avant ce fichu malaise cardiaque à l’âge de 74 ans. Entrepreneur né (il dirigera jusqu’à une quinzaine d’entreprises et plusieurs centaines de salariés dans l’univers des produits de la mer), déterminé à mettre Boulogne sur la carte et capable d’envoyer paître des ministres en visite sur les quais, éperdument amoureux de football, il suivra les traces du paternel, Pierre, président de Boulogne entre 1958 et 1965.
Hommage à Jacques Wattez C’est avec une profonde émotion et une immense tristesse que nous avons appris, ce matin, la disparition de Jacques Wattez, ancien président emblématique de l’US Boulogne Côte d’Opale durant 25 années. pic.twitter.com/1v6ARx75dF
— US Boulogne CO (@usbco_officiel) August 24, 2025
Les Rouge et Noir étaient près de se noyer dans la Manche, Jacques Wattez redressera le navire, avec l’appui de la ville, à la fin du siècle dernier. S’ensuivit un quart de siècle d’une présidence passionnée, d’accessions puis de relégations, de valse d’entraîneurs, de bringues phénoménales en coups de gueule mémorables, d’émergence de noms ronflants (Franck Ribéry, N’Golo Kanté), de larmes de joie lorsqu’une raclée infligée à Amiens (4-0) envoyait sa ville dans l’élite et de parties de golf avec Gervais Martel à Wimereux, à Arras ou au Touquet. « C’était épique, en rigole aujourd’hui l’ex-boss artésien. On ne jouait pas pour perdre. Jacques est parti de très bas pour amener Boulogne en haut et ça ne se fait pas en un claquement de doigts. Il faisait tout à fond. »
Le président indestructible
Jusqu’à paraître insubmersible, même lorsque certains voulaient lui rafler le club. Philippe Montanier se dit profondément touché par cette « disparition brutale » de celui qui, au début de leur aventure commune, l’invitait à des réunions de travail à la maison, avec « une très belle cave » (rires) mais surtout un « côté pro et humain très attachant que je n’ai jamais retrouvé ensuite ». Le technicien n’a pas oublié non plus ces jours de mai 2009 où l’information de son départ à Valenciennes, après avoir permis la montée de Boulogne en Ligue 1, fuite dans la presse. « Jacques était vexé parce que je ne l’avais pas prévenu. Le lendemain, j’ai débarqué dans son bureau au port en lui expliquant pourquoi, en renonçant à ma prime de montée. Et 15 ans plus tard, on se parlait encore… »
Assister à un match entre lui et Gervais, c’était quelque chose. Un côté un peu canaille, avec un vocabulaire franc mais toujours du respect.
Administrateur du Racing Club de Lens, Jacques Wattez était « une personne capable de donner des conseils dénués de toute intention personnelle, ce qui est rare dans ce milieu, juge le DG des Sang et Or Benjamin Parrot. Il n’y avait pas d’opportunisme, c’était spontané. Cet été, il m’avait invité à la Course des Caps (avec des navires Imoca) à Boulogne pour couper, m’oxygéner un peu pendant la période estivale. Il sentait les choses. Dès qu’il y avait un transfert ou des rumeurs, il me contactait pour filer des contacts. Assister à un match entre lui et Gervais, c’était quelque chose. Un côté un peu canaille, avec un vocabulaire franc, mais toujours du respect. » Dans sa ville de toujours, le choc de la disparition a été mesuré à 9 sur l’échelle de Richter. Philippe Montanier le pensait « indestructible », il pleure aujourd’hui « un président charismatique dont c’était le club, à l’opposé des fonds d’investissement et des présidents délégués. Il était à l’image de Gervais Martel ou Louis Nicollin ».
Décès de Jacques Wattez, administrateur de Lens et ancien président de l’US BoulognePar Florent Caffery, à Boulogne-sur-Mer