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Henrikh Mkhitaryan, son cœur Valence
Avant de devenir la plus grande légende du football arménien, Henrikh Mkhitaryan a fait ses gammes à Valence, dans la Drôme. Fils d’un buteur mémorable du club local, il est allé au niveau supérieur et disputera, avec l’Inter Milan, sa deuxième finale de Ligue des champions en trois ans.

Dans l’interminable soirée du 31 mai prochain, tout Marseille se rongera les ongles, de peur de voir le PSG remporter, lui aussi, la Ligue des champions et mettre fin à l’exception olympienne. Les supporters phocéens pourraient être accompagnés par d’autres irréductibles, basés dans une ville 200 kilomètres plus au nord, à Valence. Certains Drômois seront en effet pour l’Inter – plus que contre Paris – afin de soutenir l’idole locale : Henrikh Mkhitaryan. Le meneur de jeu aux 95 sélections en Arménie, meilleur buteur de l’histoire du pays avec 32 réalisations, sait qu’il peut compter sur cette enclave pour devenir le premier joueur à remporter les trois coupes d’Europe en disputant les trois finales : Ligue Europa 2017 avec Manchester United, Ligue Conférence avec l’AS Roma et donc peut-être la C1 avec les Nerazzurri, deux ans après avoir échoué en finale contre Manchester City.
Hamlet, prince de la Drôme
Mais pourquoi diable les Valentinois supporteraient davantage l’Inter qu’un club français ? Parce qu’ils ont été les premiers à voir que Mkhitaryan serait un grand joueur. Il suffisait d’être au bord de la main courante du stade de la Palla au début des années 1990 pour s’en rendre compte. Krikor Amirzayan, président de l’association culturelle Arménia et journaliste, rejoue avec fierté les premiers pas du gamin, né en janvier 1989 à Erevan et débarqué cinq mois plus tard en France : « En poussins, Henrikh était un excellent dribbleur et un excellent jongleur. Déjà à l’époque, on voyait qu’il avait des qualités au-dessus de la moyenne. À 4-5 ans, tout le monde disait que ça allait être un futur champion. On sentait même qu’il était meilleur que son père. » Oui, avant Henrikh, il y a surtout eu Hamlet.

Accueilli par Amirzayan et d’autres membres de l’association Spiurk-Arménie en 1989, quelques semaines après le terrible séisme survenu dans la région de Spitak, il devient l’un des premiers à passer à l’Ouest, et ce, grâce au foot. « On a fait un match amical contre Abovyan, une ville arménienne jumelée avec Valence, et je vois un mec magnifique, je dis tout de suite : “Si vous voulez monter, il faut le faire signer.” Il avait un super état d’esprit, il revenait défendre, et puis offensivement il n’y avait rien à lui apprendre, il allait très vite, il avait une super détente », se souvient parfaitement Pierre Ferrazzi, coach de l’USJOA de l’époque.
À Valence, il y avait une ambiance particulière, la musique orientale tout le temps dans ce quartier, donc le petit a forcément apprécié ça, il ne se sentait pas dépaysé.
Sous sa houlette, le club de la communauté arménienne, fondé dans les années 1920 après l’exil forcé de la population face au génocide perpétré par l’empire ottoman, monte les échelons quasiment chaque année, passant de la promotion d’honneur à la Division 2 et devenant la première équipe communautaire à atteindre le niveau professionnel en France. « Hamlet a tout de suite été une star, c’était un boulet de canon, personne ne lui résistait quand il avait le ballon », explique Gilbert Léonian, pasteur de vocation, qui n’a pas pour autant délaissé son amour pour le foot. De son côté, Roberto Toutoundji, figure du club et gardien du temple de la mémoire arménienne à Valence, voyait ces exploits avec ses yeux d’adolescent et compare l’ancien buteur du club à Kylian Mbappé. Cinquième de D2 la première année, Valence et sa vedette, le premier Arménien venant directement du pays à porter le maillot bleu et blanc, terminent cinquièmes, à deux petits points de l’élite.
Fan des Yeux dans les Bleus
Pas de quoi troubler la famille Mkhitaryan – dont les Valentinois avaient malencontreusement ajouté un « i » entre le « m » et le « k », créant toujours la confusion dans la prononciation – qui retrouve un petit coin d’Arménie autour du stade de la Palla, du café de Lyon, du Samy bar et du bar de la Cigogne. Aujourd’hui encore, 10% de la population locale est issue de cette diaspora. « À Valence, il y avait une ambiance particulière, la musique orientale tout le temps dans ce quartier, il n’était qu’avec des Arméniens ou des Valentinois qui aimaient bien notre mentalité, donc le petit a forcément apprécié ça, il ne se sentait pas dépaysé », estime Roberto Toutoundji, qui appelle constamment le joueur de l’Inter par ce qualificatif affectueux. « Il y avait trois choses qui fédèrent la communauté : l’église, la maison de la culture et le foot. Entre les catholiques, protestants et orthodoxes, chacun a sa chapelle. La maison de la culture ne pouvait pas autant fédérer que le foot parce que c’était politique. Le foot fait tomber toutes les barrières, c’est un lieu où l’armenité pouvait vivre », détaille Gilbert Léonian, ayant officié à Valence de 1982 à 1993.
C’est peu dire que Henrikh Mkhitaryan s’épanouit le plus souvent au bord des terrains. Chaque dimanche matin, il participe même à la séance pères-fils organisée par Pierre Ferrazzi en guise de décrassage. « C’était déjà un petit champion, il voulait jouer comme son père », souligne le coach, toujours marqué par la ressemblance, tant au niveau du visage que du jeu, entre les deux. « Toujours dans les pattes de son père », selon Krikor Amirzayan, il vient jouer au ballon avant, pendant et après les entraînements des seniors de l’USJOA, quand ce n’est pas dans la rue, voire dans la maison familiale où il n’hésitait pas à enfiler l’uniforme entier, du maillot aux chaussettes, au grand dam de Marina Tashchyan, sa mère, soucieuse pour ses meubles. Cette dernière a également eu un rôle dans l’amour du sport de son fils, puisqu’elle a longtemps occupé le poste de secrétaire adjointe de la Fédération arménienne, tandis que la sœur du meneur de jeu, Monika, est responsable communication stratégie de l’UEFA. Elles peuvent toutes deux témoigner de la joie du garçon le soir du 12 juillet 1998 et de ses heures passées devant la télé à poncer la VHS des Yeux dans les Bleus, amoureux de Zinédine Zidane et de Youri Djorkaeff. Évidemment.
De l’incruste à l’entraînement au dîner à Dortmund
« Je les ai côtoyés dans le cadre amical, sa femme prenait des cours de français avec ma femme. On a passé de superbes moments tous ensemble. Henrikh avait 5 ans, sa sœur un peu plus. Ce sont des gens charmants, très humains », retrace Léonian. Hasard du destin, il est devenu le pasteur d’Issy-les-Moulineaux en 1993, l’année où Hamlet Mkhitaryan y a été transféré. Malheureusement, dans les Hauts-de-Seine, le joueur est diagnostiqué d’une tumeur au cerveau qui ne lui laisse que peu de temps à vivre. « On aurait dû tout faire pour le garder, ils n’auraient jamais dû accepter de mettre à la porte un Arménien. Il a été stupéfié, je me demande même si le cancer n’a pas été causé par ce départ, il en pleurait, ça a été un choc immense pour lui. J’aurais dû démissionner pour protester, c’est mon regret éternel », se désole encore Ferrazzi. En mars 1996, la famille rentre en Arménie, accompagnée dans cette douleur par le pasteur, dans un pays dévasté par la guerre et où meurt, à seulement 33 ans, la légende valentinoise.
Alors, Henrikh frappe plus fort, court plus longtemps, et arpente chaque jour le centre d’entraînement de Pyunik qui porte depuis cette disparition le nom de son père. Pas suffisant pour réussir les détections à Marseille, Lyon et Lille. « Il n’a pas été retenu parce qu’il paraissait un peu fragile, il n’était pas assez musclé. Finalement, ils ont eu tort parce qu’il a eu peu de blessures et il tient toujours 90 minutes à 36 ans. Ils doivent s’en mordre les doigts aujourd’hui. Nous, les 700 000 Arméniens de France, on aurait voulu qu’il joue en Ligue 1 », soupire Amirzayan. Ses transferts au Shakhtar, Dortmund, Manchester United, Arsenal, Rome et Milan ne lui font pas pour autant perdre la tête et oublier ses premiers pas dans la Drôme : « J’étais à l’école maternelle ici, j’ai beaucoup d’amis, je faisais du foot avec mon père. »
Henrikh Mkhitaryan est l’enfant du pays. À Valence, on se l’est approprié. Valence adore cette famille, même les non-Arméniens.
Là-bas aussi tout le monde se souvient de sa jeunesse. « Il a gravité dans Valence tout petit et, aujourd’hui, tous ceux qui l’ont connu en parlent souvent parce que c’est impossible d’oublier », d’après Toutoundji. Au point de même faire circuler quelques légendes urbaines, dont Chanth Kirakossian se serait bien passé : « On n’est pas amis, je ne peux pas me considérer comme proche de lui. » Cet homme modeste pourrait pourtant se targuer d’être ami sur Facebook avec celui dont l’actuelle coupe de cheveux rappelle Goran Pandev ou Avatar, le dernier maître de l’air. « Vers 12-13 ans, il était de passage en France avec sa mère et mon parrain de mariage m’avait dit : “Chanth, il y a un jeune Arménien dans le coin, il joue bien au foot, est-ce que tu peux l’accompagner un peu ?” Du coup, je l’avais incrusté à deux entraînements du FC Bourg-lès-Valence, et effectivement, il était super fort ! Le soir, on avait partagé le repas avec sa famille chez mon parrain et compagnie. Si on se croise aujourd’hui, je suis sûr qu’il me reconnaîtrait, je ne suis pas inquiet là-dessus », restitue-t-il. Pour souligner l’humilité et la gentillesse de Henrikh Mkhitaryan, il raconte avoir dîné avec lui, Pierre-Emerick Aubameyang et des amis drômois après un match de Dortmund.

En 2013, le milieu offensif était de nouveau revenu sur ses terres, pour un match entre l’Arménie et le Luxembourg « au stade Pompidou, là où il a vu son père marquer tant de buts », dixit Roberto Toutoundji, et où l’USJOA, devenu ASOAV en 1992, a battu l’OM de Bernard Tapie. Ce jour-là, malgré son statut de star montante, il attend de longues minutes après la rencontre pour partager photos et dédicaces avec les fans, et des souvenirs avec les nombreux membres de la communauté. « Henrikh Mkhitaryan est l’enfant du pays. À Valence, on se l’est approprié. Valence adore cette famille, même les non-Arméniens. Dès qu’il y a quelque chose sur Henrikh, tout le monde se passe le mot, lit les articles, regarde les matchs, c’est le sang qui parle », conte Krikor Amirzayan. En 2017, pour la finale de Ligue Europa remportée par les Red Devils avec un but de l’enfant prodige, le journaliste faisait partie de la soixantaine de personnes rassemblées dans la villa d’un Arménien de Valence devant un écran géant, quand d’autres étaient dans les cafés du centre-ville, prêts à fêter ce sacre par procuration. « Bon, les jeunes Valentinois sont comme ceux de toute la France, je travaille dans l’Éducation nationale et je vois qu’ils vont être pour le PSG, c’est normal, atteste Roberto Toutoundji. En revanche, dans la communauté arménienne, même si c’est un club français en face, on espère que c’est Henrikh qui gagnera. »
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Tous propos recueillis par EL, sauf ceux de Henrikh Mkhitaryan issus de Canal+.