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Les FAR font tomber le treillis

Par Quentin Müller et Timothée Vinchon, à Rabat et Meknès
Les FAR font tomber le treillis

Ancien club du défunt roi Hassan II, l’AS Forces armées royales n’a plus le lustre d'antan. L’ex-machine à gagner des trophées s’est enraillée. Autrefois ogres privilégiés du championnat marocain, les FAR souffrent depuis 1999 de la mort de leur père. Il y a deux ans, le Wydad Casablanca en a profité pour reprendre le leadership des championnats. De quoi amener les Militaires à revoir leur stratégie.

Dans le café Corner, non loin de l’avenue Hassan II de Meknes, quelques habitués s’installent en terrasse. Les fumées qui s’échappent des cigarettes viennent chatouiller les nombreux portraits en noir et blanc d’Hamadi Hamidouch accrochés un peu partout aux murs. Attaquant star du CODM Meknès au milieu des années 60, puis fer de lance de l’Association sportive des Forces armées royales (AS FAR), l’homme est connu de tous dans la ville. Le « casque d’or » habite non loin. Rentré depuis peu de son pèlerinage à la Mecque, il reçoit au dernier étage d’un immeuble. « J’attends des invités et on va bien manger ce soir, mieux qu’en Arabie saoudite où ils ne proposent que du riz » , plaisante-t-il. Le gaillard est toujours aussi imposant du haut de son mètre 86. Le même qui, en 1966, terrassa le Maghreb de Fès d’un but d’extraterrestre : « J’étais en forme, je venais de boucler une saison en D2 à 73 buts. Je marquais quatre, cinq, six buts par match. Donc quand la balle est arrivée en profondeur et qu’elle m’a excentré au poteau de corner, je n’ai pas paniqué. J’ai fait sens inverse et j’ai couru vers mon but. Le gardien était toujours avancé, alors à trente mètres, je me la suis levée et j’ai fait un ciseau. Boum, pleine lucarne. » Ce jour-là, le roi est en tribune et n’a rien loupé de l’exploit de ce jeune attaquant. Promis à un avenir radieux, le joueur est transféré dans la foulée. « J’avais vu Sa Majesté en tribune pendant la remise de la Coupe qui m’avait demandé de rejoindre les FAR, mais je pensais que c’était du vent. Quelques jours après, un gendarme m’a convoqué et m’a dit que le roi m’attendait le jour même. Ce soir-là, il y avait une soirée avec mes amis. J’avais mis la cravate. Personne n’était au courant. Puis les gendarmes sont venus me chercher. Je suis monté dans la voiture avec la sirène et les motards. Comme on était en pleins troubles politiques, les gens de Meknès ont protesté en croyant qu’on m’arrêtait. »

Devoir national

L’AS FAR n’est pas un club comme les autres au Maroc. Après l’indépendance en 1956, celui qui n’est pas encore Hassan II, mais le jeune prince Moulay El-Hassan, passionné de sport – et supporter anonyme à ses heures perdues – pose l’idée de créer un club issu de l’Armée royale qui serait « comme une locomotive pour le football marocain, pour tirer les autres clubs vers le haut » , explique Moncef Lyazghi, spécialiste des politiques publiques et des lois du sport. Un petit décret royal en 1958, du scouting sous forme de tournois dans les camps militaires, et c’est chose faite. Né dans un couffin doré et entouré de bonnes fées, le club va vite devenir la favorite au bal des princesses de la Botola. À l’opposé d’un club lambda, le « club du roi » n’a pas à faire ses classes à force de roustes dans les divisions inférieures et accède directement à l’antichambre de la D1. Succès immédiat, une petite Coupe du trône dans la musette moins d’un an après la création, et montée dans l’élite dès 1959. Le club récolte très vite plus de décorations qu’un vétéran des parachutistes. Entre 1960 et 1971, ce sont sept titres de champion qui viennent garnir l’armoire à trophées. Le club impressionne, et force le respect du public, avec ses installations et son fonctionnement militaires, qui en font un club professionnel avant l’heure. « On s’entraînait six fois par semaine, de 15h à 18h, alors que les autres équipes, c’était du mardi au jeudi, entre 12h et 14h » , se rappelle Hamadi.

Mais pour de nombreux observateurs de l’époque, le sportif n’est pas seul motif de son succès. « Lors de la saison 1963-1964, il y a eu un match entre les FAR et le club de MAS Fès. Les FAR ont perdu. Ils ont agressé l’arbitre. Cela fit un énorme scandale dans la presse. Face au risque de prendre des points de pénalité, les FAR ont annoncé qu’ils quittaient le championnat, ce qui créerait un séisme pour le championnat, car les points seraient redistribués, risquant par exemple de faire tomber le Raja Casablanca en seconde division. La Fédération a donc négocié avec les FAR pour qu’ils ne quittent pas le championnat » , détaille Moncef Lyazghi. Une Fédération royale marocaine de football qui avait vu le jour quatre mois après l’Indépendance, déjà sous la supervision du prince… À l’image d’Hamadi, les FAR raflent également les meilleurs joueurs du championnat en invoquant le devoir national. Jusqu’au début des années 1990, l’AS FAR, club-locomotive, voulu par le monarque, enchaîne les succès (12 titres nationaux). Il fournit de nombreux cadres à l’équipe nationale. Mais avec la mort de Hassan II, en 1999, les Militaires perdent l’inconditionnel soutien du palais.

Davantage branché jet-ski et selfies, Mohammed VI laisse la gestion des affaires sportives – dont la présidence de l’AS FAR – à l’un des fidèles de son père, le général Benslimane. Gardien de but de la première équipe en 1958, l’homme est depuis devenu le plus haut gradé de l’armée royale et est à la tête de l’appareil sécuritaire marocain. La trajectoire en boulet de canon du club se courbe rapidement, les résultats ne suivent pas. Le club se dirige vers un retour à la vie civile, avec le stress post-traumatique qui va avec.

« On est devenu un club quasi lambda »

Attablé dans un café chic d’Agdal, quartier aisé de Rabat, Zakarya, vingt-cinq ans, et Rachid, vingt-trois ans, représentent la nouvelle génération de supporters des FAR. Eux n’ont connu que deux titres de champion, et surtout la lutte contre le maintien. « La mort du roi a été un tournant » , croit Rachid. Depuis 1999, les Militaires n’ont en effet gagné que deux petits titres de champion. « La théorie qu’on avait, c’est que le club, ces dernières années, s’est surtout efforcé de survivre, de maintenir sa position dans l’élite et c’est tout. Avant, c’était un club spécial, mais depuis 2005, on est devenu un club quasi lambda » , déplore Zakarya. Né de deux parents militaires, Rachid, comme Zakarya, ont un temps fait partie du groupe d’ultras Askary Rabat, le premier du Maroc. À l’époque, sa création découle d’une série de revendications nées d’un ras-le-bol commun. Une révolution dans l’histoire des FAR, tant, avant 2005, il était fortement déconseillé d’égratigner les Militaires. « Personne ne savait vraiment ce qu’on risquait. Alors personne ne l’avait jamais fait. Les supporters venaient au stade et repartaient avec la même humeur qu’on perde ou qu’on gagne » , se souvient Zakarya. Mais la nouvelle génération en tribune ose rêver : « Avant, la communication du club était nulle. On ne savait même pas quel joueur était recruté. On découvrait nos recrues lors du premier match de la saison. Les militaires ne sont pas très à l’aise dans ce domaine, c’est bien connu. Pour vous dire, le club n’accordait jamais d’interview avec les joueurs ou les gens du club. Il fallait avoir une autorisation des autorités militaires pour avoir la moindre interview. Donc en 2005, on a revendiqué une communication plus souple, un site web officiel, une boutique du club, que les supporters puissent assister aux entraînements, qu’il y ait des civils dans la direction du club, qu’on puisse avoir des abonnements tribune. »

Onze ans après, les FAR ont enfin leur site web et leur boutique officielle. Ironie de l’histoire, le club a fini quatrième l’an passé et son début de saison est loin d’être ridicule. Un truc à faire tomber le treillis.

Par Quentin Müller et Timothée Vinchon, à Rabat et Meknès

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