Le Superdepor est mort !
Avant l’apparition du Superdepor, la Corogne était surtout connue pour ses fruits de mer, la pluie et Zara.
C’est effectivement ici, dans le « finisterra » espagnol, qu’Amancio Ortega commença, en 1975, à vendre des pulls jacquards aux marins-pêcheurs du coin.
Rapidement, il devint le roi du textile espagnol et européen avec son entreprise Inditex. Une success story passionnante digne d’un reportage pour Capital, qui n’aura cependant pas troublé la quiétude d’une ville qui laissait habituellement indifférent le commun des mortels.
Pas aussi belle que Saint-Jacques de Compostelle, ni aussi populaire que Vigo, La Corogne, il est vrai, a toujours été étiquetée comme une ville où l’on s’ennuyait ferme. L’apparition du Superdepor au milieu des années 90 a permis de changer la donne…
Brazil Connection
Tout commence le 13 Juillet 1993, lorsque le club présente en grande pompe les Brésiliens Bebeto et Mauro Silva.
L’explosion médiatique connue ce jour-là est le premier pas vers l’un des plus beaux miracles du football espagnol de ces 30 dernières années.
Lorsque les Cariocas débarquent, le club vient à peine de sauver sa place en première division au terme d’un match de barrage remporté contre le Betis.
Le Depor n’est pas encore Super mais entend bien le devenir. Son président, Lendoiro, un gros Galicien semblant tout droit sorti des années 30 d’Al Capone, est prêt à dilapider sa fortune pour faire parler de son club.
Pour obtenir rapidement des résultats, il engage un entraîneur du cru, Arsenio, afin de marmonner le patois local, facilement compréhensible par les Brésiliens de l’équipe.
Dès sa première année, Bebeto et sa pointure 36 enquille 29 buts. Les Brésiliens, pierres angulaires de l’équipe, se sont parfaitement adaptés, comme prévu.
Ce n’est pas encore Copacabana, mais la plage de Riazor qui a donné son nom au stade est déjà en plein émoi devant le pichichi de la Liga.
Les vieux loups de mer se permettent même d’effacer de leur mémoire un certain Luis Suarez, considéré comme le meilleur joueur de l’histoire du club (1).
Le club, modeste, se veut ambitieux et ne souhaite pas se contenter d’une troisième place déjà historique, et d’une image sympathique acquise sur la base d’un jeu alléchant.
Lors de la dernière journée de la Liga version 95, le Depor s’apprête même à devenir le premier club d’une ville de moins de 200 000 habitants à remporter le titre.
Toute l’Espagne est alors derrière les Bebeto, Mauro Silva, Fran, Nando, Claudio et surtout Djukic, qui se prépare à tirer un penalty historique. Celui du titre. Ce jour-là Bebeto, qui les met normalement tous au fond, se dérobe sous la pression. Finalement, le malheureux Yougoslave donnera un titre inespéré à la ‘Dream-Team’ de Cruyff. La défaite est lourde et dramatique, mais une légende est en marche.
La légende est en marche
Loin de rester sur une image de loser magnifique qui en aurait contenté plus d’un, la Corogne gagnera un an plus tard la Coupe du Roi contre le Real Madrid, à Bernabeu. Le Superdepor est enfin super pour quelque chose.
Le départ en 97 de Bebeto et d’Arsenio n’y changeront rien. Au contraire. Sous la houlette d’Irureta, le club devient l’antichambre attitrée de la lusophonie en Espagne : Rivaldo, Pauleta, Djalminha, Luizao, Donato, Emerson et bien d’autres viennent ainsi garnir une colonie qui fit couler beaucoup d’encre à l’époque, puisque hormis Fran, techniquement incroyable, aucun membre du onze titulaire n’était espagnol.
Le Deportivo régale, tout en gagnant au fil des semaines en constance et en expérience. En 2000, l’apothéose arrive finalement avec le titre de champion, le premier de l’histoire du club (2).
Le Depor est alors le deuxième grand club d’Espagne derrière le Real mais devant le Barça, englué à cette époque dans une crise sportive et institutionnelle sans précédent.
Les ‘Blanquiazules’ furent de fait l’une des seules alternatives au règne des Galacticos. Contre les Merengue, le Superdepor se permit même de gâcher la fête du centenaire du club de la capitale en finale de la Coupe du Roi. La victoire au Bernabeu prit même des allures d’opération terroriste pour tous les socios présents lors de ce fameux “Centenariazo”.
Ne restait plus alors au Depor qu’à briller en dehors des frontières espagnoles pour être considéré comme un grand club. Avec le merveilleux Valeron à la baguette, le Superdepor atteignit le zénith de sa réussite lors du quart de finale retour de Ligue des Champions contre le Milan AC. Après avoir perdu 4-1 à San Siro, les Ibériques explosèrent les Rossoneri au cours de la plus belle nuit de leur histoire. Pandiani, Naybet, Diego Tristan, Jorge Andrade, Manuel Pablo, Duscher, Makaay, Fran et le vieux Mauro Silva furent les héros de cette soirée extraordinaire. Mais pas ceux de la demi-finale perdue contre le Porto de l’inconnu Mourinho, futur vainqueur de la compétition. Paradoxalement, le Superdepor mourut à ce moment-là.
La déclin du Superdepor
Malgré l’argent récolté durant sa campagne européenne, le Superdepor vivait effectivement au dessus de ses moyens. Lendoiro commença alors par se séparer de ses meilleurs joueurs, et donc de son meilleur moyen de promotion. A l’époque ce dernier affirmait qu’il s’agissait « d’une année de transition » . Une transition qui a vraisemblablement pris goût à l’éternité…
A la tête du club depuis 20 ans, Lendoiro est sans doute celui qui a le plus fait pour le club. Il est aussi celui qui pourrait définitivement le rayer de la carte du foot-élite ibère. Le président le plus ancien à son poste dans la Liga a ainsi vu tous ses alliés disparaître peu à peu. Ami du maire socialiste de la ville Paco Vasquez et du président de la Galice Fraga, un franquiste notoire qui l’appuyait financièrement, Lendoiro a toujours gouverné son club à sa guise, et de la même manière qu’il le faisait à ses débuts au Riazor, faisant par conséquent fi de l’évolution du football.
En 1988, le club avait une dette de 500 millions de pesetas. Aujourd’hui elle s’élève à plus de 220 millions d’euros. La dette a donc été multipliée par 57…Une aberration qui ne semble toutefois pas effrayer l’intéressé : « La dette est un placement contrôlé » …Le Superdepor de l’économiste à deux balles, à l’image de tous les autres clubs de Liga, se reposait sur les millions générés par les droits télé.
Un trésor de guerre qui permettait de se payer des stars avec une relative facilité, quitte à rentrer dans la surenchère. Au pire, les clubs se faisaient racheter le stade et les terrains immobiliers par les mairies si la dette devenait trop importante. C’est en gros ce qu’a voulu faire Lendoiro, avant de se voir fermer la porte par son ami Vazquez.
Un président controversé
Paradoxalement Lendoiro est peut-être le seul qui gagne de l’argent avec le club. Depuis sa retraite politique et l’acquisition de son statut de président professionnel, sa fortune personnelle a augmenté de 10 millions d’euros…Un beau pactole, et un vrai scandale puisque pour détenir une feuille de salaire, il faudrait déjà que le Depor soit inscrit au registre du commerce. Ce qui n’est pas le cas puisque le club appartient aux socios.
En France, on appelle donc cela du détournement de fonds sociaux. Et vu que Lendoiro n’est pas de droite pour rien, il a aussi fait du Depor une entreprise familiale au sein de laquelle ses enfants occupent des postes PLUS QUE vagues. En France, on appelle donc cela des emplois fictifs.
Question faits divers, les joueurs ne sont pas mal non plus. Munua et Aoute, les deux gardiens, en sont récemment venus aux mains, et Lotina, l’entraîneur, complètement dépassé par la situation, vient de déclarer qu’il avait beaucoup de mal à constituer une équipe avec le peu de talent qu’il reste encore dans un club en totale banqueroute.
L’année dernière, avec Caparros, le meilleur entraineur-formateur de la péninsule, le club n’avait pas réussi à faire passer son contingent de jeunes pour des stars en devenir. Seuls Guardado, Riki et Coloccini tiennent encore une baraque qui menace de s’écrouler définitivement. Lors de la dernière victoire du Depor, le Riazor affichait pourtant complet depuis longtemps. Les socios semblent effectivement être les seuls à avoir vraiment pris conscience de la gravité de la situation. S’ils étaient aussi nombreux, c’était également pour accueillir le retour de Valeron, LE joueur espagnol le plus classe de sa génération.
Après deux ans d’absence à cause de problèmes au genou, « El Mago » a masqué la misère du jeu galicien avec 25 minutes de pur football. La survie du club (et de son jeu) est maintenant entre ses pieds. Et après tout, rien n’est impossible. Amancio Ortega a bien bâti un empire avec des pulls jacquards…
Bétis-La Corogne, 21h
Par Javier Prieto Santos
1- Seul Ballon d’or espagnol jusqu’à présent, et figure du Barça et de l’Inter d’Helenio Herrera. Lire So Foot 51.
2 – Le premier club à mettre à mal la domination du Barça, du Real et de l’Atletico. Le dernier à ne pas faire partie de ce triptyque fut l’Athletic Bilbao en 1984.
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