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Le foot français se met au Golfe
Tout le monde regardait avec envie le foot anglais, perfusé par les pétrodollars et voilà que déjà certains entonnent, devant un risque de délocalisation inversé, le vieux refrain communisto-gaulliste du "produisons français". Même notre sainte trinité L1 - Canal Plus - Orange est désormais menacée. Al Jazeera voudrait venir retransmettre notre beau championnat. La vengeance de la parabole sur le décodeur ?
L’arrivée des investisseurs qataris dans le foot français a été une “divine surprise” pour la Ligue Nationale de Football en ce mois de juin. En s’emparant du PSG, les investisseurs de l’Émirat avaient ainsi réussi à relancer, même de manière partiellement fantasmée, un mercato atone, guère dopé par l’arrivée d’Evian-Thonon Gaillard dans l’élite. Enfin l’entrée en lice d’Al Jazeera pour l’acquisition des droits télé de la L1 (après les avoir achetés pour l’international, pour un coût modeste certes) a apparemment sauvé les clubs pros d’un face à face périlleux avec un groupe Canal, désireux de réduire sa contribution luxueuse à un championnat jugé décevant.
Si beaucoup laissent entendre que les “amitiés” du Président de la République ne seraient pas étrangères à ce soudain engouement pour le foot tricolore, il serait erroné de croire qu’un tel géant médiatique se positionne sur le marché hexagonal uniquement pour satisfaire une demande du locataire de l’Élysée. Depuis longtemps, sa stratégie de développement, au-delà de son cœur de métier, c’est-à-dire l’information continue, où Al Jazeera est parvenue à concurrencer la BBC et surtout CNN, s’est grandement opérée sur le terrain du sport et du foot en particulier (bien que s’étant fait subtiliser ceux de la Premier League). Cette bataille du “soft power” qui se joue au niveau mondial s’invite donc en France, une porte d’entrée idéale afin de s’implanter directement en occident. Enfin. Derrière les embardées patriotiques d’une Chantal Jouanno qui imagine encore que les fonds gaulois possèdent meilleur goût que ceux américains ou venus du Golfe, se manifeste avant tout l’incapacité structurelle et culturelle du capitalisme français à soutenir seul un football professionnel tricolore dont le manque de souffle financier est souvent présenté, sûrement à tort, comme son principal handicap.
Dans le domaine de l’entertainment mainstream, de la distraction grand public, tout comme en géopolitique économique, le monde se révèle de plus en plus multipolaire. Et pour l’instant, au sein d’un football professionnel fondamentalement déficitaire et sur-endetté, seuls les Oligarques russes et les émirs du Golfe Persique disposent encore des moyens et de la volonté tactique d’investir à perte dans l’espoir raisonnable de gagner sur les autres tableaux, en marketing diplomatique comme en visibilité globale. Finalement, l’Arabe est un capitaliste comme un autre. Et Thiriez n’a surement et visiblement pas envie d’appliquer des quotas en la matière.
Nicolas Kssis-Martov
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